Cour de justice de l’Union européenne, le 17 mars 2022, n°C-545/19

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 17 mars 2022 vient préciser les obligations des États membres en matière de traitement fiscal des dividendes versés aux organismes de placement collectif. En l’espèce, un organisme de placement collectif de droit allemand a perçu des dividendes de sociétés résidentes au Portugal, lesquels ont fait l’objet d’une retenue à la source au taux de 25 %. Cet organisme a contesté cette imposition, arguant qu’une telle retenue n’était pas appliquée aux organismes de placement collectif résidant au Portugal, qui bénéficiaient d’une exonération pour les mêmes revenus. La législation nationale établissait ainsi une différence de traitement fondée sur le lieu de résidence de l’organisme bénéficiaire des dividendes. Saisi d’un recours contre le rejet de sa réclamation par l’administration fiscale portugaise, le tribunal arbitral en matière fiscale a décidé de surseoir à statuer. Il a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de cette réglementation avec la libre circulation des capitaux, garantie par l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question de droit posée était de savoir si un État membre peut légalement imposer les dividendes de source nationale versés à un organisme de placement collectif non-résident tout en exonérant de cette même imposition les organismes résidents. À cette question, la Cour a répondu par la négative, jugeant qu’une telle législation constitue une restriction prohibée à la libre circulation des capitaux. L’analyse de la Cour repose sur la caractérisation d’une discrimination fondée sur la résidence (I), dont la justification est ensuite méthodiquement écartée (II).

I. La caractérisation d’une restriction à la libre circulation des capitaux

La Cour constate d’abord que la législation portugaise instaure un traitement fiscal manifestement moins favorable pour les organismes non-résidents (A), avant de rejeter l’argument selon lequel ces organismes ne se trouveraient pas dans une situation comparable à celle de leurs homologues résidents (B).

A. L’identification d’un traitement fiscal désavantageux

La Cour relève que la réglementation nationale portugaise soumet les dividendes distribués à des organismes de placement collectif non-résidents à une retenue à la source, alors que les organismes résidents en sont exemptés. Cette différence de traitement fiscal a pour conséquence directe de réduire l’attractivité des investissements dans des sociétés portugaises pour les organismes non-résidents. De même, elle peut dissuader les investisseurs résidant au Portugal d’acquérir des parts dans des fonds étrangers, qui subissent une charge fiscale que les fonds nationaux ne supportent pas. La Cour énonce clairement que « un tel traitement désavantageux est susceptible de dissuader, d’une part, les opc non-résidents de procéder à des investissements dans des sociétés établies au Portugal et, d’autre part, les investisseurs résidant au Portugal d’acquérir des parts dans de tels opc et constitue, dès lors, une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE ». Cette différence constitue donc une entrave claire, justifiant un examen au regard des dérogations possibles.

B. Le rejet de la non-comparabilité des situations

L’État membre soutenait que les situations n’étaient pas objectivement comparables, notamment parce que les organismes résidents étaient soumis à d’autres prélèvements, comme un droit de timbre sur leur valeur nette globale. La Cour écarte cet argument en soulignant que ces impôts ne sont pas de même nature. Le droit de timbre est un impôt sur le patrimoine et non sur le revenu, et son assiette ne correspond pas directement aux dividendes perçus. La Cour note que « du fait que sa base d’imposition est constituée par la valeur nette comptable des opc, ce droit de timbre est un impôt sur le patrimoine, lequel ne saurait être assimilé à un impôt sur le revenu des personnes morales ». De plus, un organisme résident pouvait échapper à cette charge en distribuant immédiatement ses revenus, une option non pertinente pour l’impôt prélevé sur l’organisme non-résident. La Cour refuse également de prendre en compte la situation fiscale finale des détenteurs de parts, estimant que l’analyse doit se concentrer sur le traitement de l’organisme lui-même, qui est le bénéficiaire direct des dividendes. Le seul critère de distinction pertinent de la loi étant la résidence de l’organisme, la Cour conclut que « le critère de distinction auquel se réfère la réglementation nationale en cause au principal, portant uniquement sur le lieu de résidence des opc, ne permet pas de constater une différence de situations objective entre les organismes résidents et ceux non-résidents ».

II. L’appréciation des justifications de la restriction

Une fois la restriction caractérisée, la Cour examine si celle-ci peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle rejette successivement l’argument tiré de la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal (A) et celui visant à garantir une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre États membres (B).

A. L’absence de lien direct justifiant la cohérence du régime fiscal

Le gouvernement portugais avançait que son régime fiscal formait un tout cohérent, l’exonération des organismes résidents étant compensée par l’imposition de leurs détenteurs de parts. La Cour rappelle sa jurisprudence constante : pour qu’une telle justification soit admise, il doit exister un lien direct entre l’avantage fiscal accordé et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé. Or, en l’espèce, l’exonération de la retenue à la source au profit des organismes résidents n’était nullement conditionnée à une redistribution effective des dividendes à leurs détenteurs de parts et à l’imposition de ces derniers. La Cour constate donc qu’« il n’existe pas de lien direct, au sens de la jurisprudence […], entre l’exonération de la retenue à la source des dividendes d’origine nationale perçus par un opc résident et l’imposition desdits dividendes en tant que revenus des détenteurs de participations dans cet organisme ». L’argument de la cohérence fiscale est par conséquent jugé inopérant.

B. L’inopposabilité de la répartition du pouvoir d’imposition et la portée de la solution

La Cour se penche ensuite sur la justification relative à la nécessité de préserver la répartition équilibrée du pouvoir d’imposition. Cet argument vise à protéger le droit d’un État membre de taxer les profits générés sur son territoire. Cependant, la Cour oppose une logique implacable, déjà affirmée dans sa jurisprudence antérieure. Elle énonce que « dès lors qu’un État membre a choisi, comme dans la situation en cause au principal, de ne pas imposer les opc résidents bénéficiaires de dividendes d’origine nationale, il ne saurait invoquer la nécessité d’assurer une répartition équilibrée du pouvoir d’imposition entre les États membres afin de justifier l’imposition des opc non-résidents bénéficiaires de tels revenus ». En d’autres termes, un État ne peut légitimement prétendre vouloir taxer les revenus perçus par des non-résidents alors qu’il a renoncé à exercer cette même prérogative sur ses propres résidents. Cette décision, sans être révolutionnaire, confirme avec force la primauté du principe de non-discrimination. Elle rappelle aux États membres que les différences de technique fiscale ne sauraient masquer un traitement de fond défavorable et que le choix d’exonérer les acteurs nationaux emporte des conséquences sur le traitement applicable aux acteurs étrangers pour des revenus de même nature.

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Hassan KOHEN
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