Cour de justice de l’Union européenne, le 17 novembre 2011, n°C-430/10

Par un arrêt du 17 novembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut restreindre le droit d’un de ses propres ressortissants de quitter son territoire pour des motifs d’ordre public. En l’espèce, un citoyen bulgare avait été condamné en Serbie pour trafic de stupéfiants. À son retour en Bulgarie, les autorités nationales ont pris à son encontre une mesure lui interdisant de quitter le territoire national et de se voir délivrer un passeport, en application d’une loi nationale permettant une telle mesure pour les personnes ayant enfreint la loi d’un autre pays. L’intéressé a contesté cette décision devant une juridiction administrative bulgare, laquelle a saisi la Cour de justice d’une demande de décision préjudicielle. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la compatibilité de la législation nationale avec le droit de l’Union, notamment la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de circuler et de séjourner librement. Il était donc demandé à la Cour si le droit de l’Union s’oppose à ce qu’un État membre interdise à l’un de ses ressortissants de quitter son territoire au motif d’une condamnation pénale prononcée dans un État tiers. La Cour répond que les articles 21 TFUE et 27 de la directive 2004/38 ne s’y opposent pas, mais à la triple condition que le comportement personnel du ressortissant constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, que la mesure soit proportionnée, et qu’elle puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif. Si la Cour réaffirme avec force le principe de la liberté de circulation incluant le droit de quitter son propre État membre (I), elle en encadre strictement les possibles dérogations pour des motifs d’ordre public (II).

I. Le rappel du droit de quitter son propre État membre comme corollaire de la citoyenneté européenne

La Cour de justice commence son raisonnement par rattacher la situation du requérant au champ d’application du droit de l’Union, confirmant ainsi une vision extensive de la liberté de circulation (A). Elle en déduit logiquement l’obligation pour le juge national d’appliquer les garanties prévues par le droit de l’Union, même en l’absence d’une transposition adéquate en droit interne (B).

A. L’extension du champ d’application de la libre circulation au départ du territoire national

L’arrêt rappelle avec clarté que le statut de citoyen de l’Union confère des droits opposables y compris à l’égard de l’État membre d’origine. Le droit de circuler et de séjourner librement, consacré par l’article 21 TFUE, ne se limite pas au droit d’entrer sur le territoire d’un autre État membre ; il inclut fondamentalement le droit de quitter son propre État. La Cour souligne que « les libertés fondamentales garanties par ce traité seraient vidées de leur substance si l’État membre d’origine pouvait, sans justification valable, interdire à ses propres ressortissants de quitter son territoire en vue d’entrer sur le territoire d’un autre État membre ». Cette position confirme que le droit de sortie est une condition préalable indispensable à l’exercice effectif de la libre circulation. En se fondant sur l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/38, qui prévoit explicitement le droit de quitter le territoire d’un État membre, la Cour établit sans ambiguïté qu’une interdiction de sortie relève bien du champ d’application de ladite directive.

B. L’invocabilité des garanties de la directive à l’encontre d’une législation nationale

La juridiction de renvoi précisait que la législation nationale transposant la directive 2004/38 ne s’appliquait pas aux ressortissants bulgares eux-mêmes. La Cour écarte cet argument en rappelant un principe fondamental du droit de l’Union : la primauté et l’effet direct de ses dispositions. Elle juge que cette circonstance ne saurait « avoir pour effet d’empêcher le juge national d’assurer le plein effet des normes du droit de l’Union ». Le juge national est tenu de laisser inappliquée toute disposition du droit interne contraire au droit de l’Union. En l’espèce, l’article 27 de la directive, qui encadre les restrictions à la libre circulation pour des raisons d’ordre public, est jugé suffisamment inconditionnel et précis pour être invoqué par un particulier à l’encontre de son propre État. Ainsi, la protection offerte par la directive ne peut être neutralisée par une transposition incomplète ou incorrecte de la part d’un État membre.

II. L’encadrement strict des restrictions fondées sur l’ordre public

Après avoir affirmé l’applicabilité des garanties européennes, la Cour en précise la substance en définissant les conditions de fond et de forme des limitations à la libre circulation. Elle insiste sur la nécessité d’une appréciation individualisée de la dangerosité (A) et sur l’exigence d’un recours juridictionnel effectif garantissant le respect du droit (B).

A. L’exigence d’une appréciation individualisée de la menace pour l’ordre public

La Cour rappelle que si les États membres déterminent pour l’essentiel les exigences de l’ordre public, cette notion doit être entendue strictement dans le contexte de l’Union. Une mesure restrictive ne peut se justifier que par l’existence d’« une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ». L’arrêt réitère avec force les garanties prévues à l’article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38. Premièrement, les mesures doivent être fondées « exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné ». Des justifications tenant à des raisons de prévention générale sont donc exclues. Deuxièmement, « l’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver de telles mesures ». En l’espèce, la mesure d’interdiction de sortie semblait avoir été prise de manière automatique sur le seul fondement de la condamnation pénale en Serbie. La Cour souligne que cette seule condamnation ne suffit pas à établir que l’intéressé représente une menace répondant aux critères stricts du droit de l’Union, imposant une analyse concrète et individualisée de sa dangerosité.

B. La garantie d’un contrôle juridictionnel effectif

Enfin, la Cour conditionne la légalité de la mesure restrictive à l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif. Se référant à une jurisprudence constante, elle affirme que la personne concernée doit disposer d’un recours permettant de contrôler « en fait et en droit la légalité de la décision en cause au regard du droit de l’Union ». Cette exigence prend une importance particulière au vu des indications de la juridiction de renvoi, selon lesquelles l’autorité administrative bulgare disposait d’un pouvoir discrétionnaire sans véritable contrôle du juge sur l’opportunité de la mesure. Le contrôle juridictionnel doit donc porter non seulement sur la légalité formelle de la décision, mais aussi sur l’appréciation des faits et sa proportionnalité. Cette garantie procédurale apparaît comme le corollaire indispensable des conditions de fond, assurant que les exigences de menace réelle et d’appréciation personnelle ne restent pas lettre morte. L’effectivité du recours suppose également que l’intéressé puisse connaître les motifs de la décision prise à son égard.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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