Par un arrêt du 17 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur la compatibilité d’une réglementation nationale avec le droit de l’Union en matière de non-discrimination. En l’espèce, un candidat s’est vu refuser la possibilité de s’inscrire à un concours de recrutement pour des postes de commissaire de police au motif qu’il avait dépassé la limite d’âge fixée à trente ans. Le candidat a contesté cette décision, arguant qu’elle constituait une discrimination fondée sur l’âge. Après une première décision défavorable, la juridiction d’appel a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si le droit de l’Union, et plus particulièrement la directive 2000/78/CE portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi, s’oppose à une disposition nationale qui fixe une telle limite d’âge pour l’accès à un corps de la fonction publique. La Cour de justice a répondu qu’une telle réglementation est en principe contraire au droit de l’Union, sauf si elle est justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante et qu’elle respecte le principe de proportionnalité. L’analyse de la Cour rappelle ainsi fermement les conditions strictes encadrant les dérogations au principe de non-discrimination (I), tout en procédant à une appréciation rigoureuse de la proportionnalité de la mesure au regard des objectifs invoqués (II).
I. L’encadrement strict des justifications à la discrimination fondée sur l’âge
La Cour de justice examine successivement les deux fondements possibles de justification prévus par la directive 2000/78/CE. Elle analyse d’abord si la limite d’âge peut constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante (A), avant de vérifier si elle peut être justifiée par un objectif légitime de politique de l’emploi (B).
A. La qualification restrictive de l’exigence professionnelle essentielle
La Cour rappelle que, conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78, une différence de traitement peut être admise lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle, une caractéristique liée à l’âge constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Il ne s’agit pas de l’âge en soi, mais d’une capacité physique qui y serait corrélée. La Cour a déjà jugé que « la possession de capacités physiques particulières est une caractéristique liée à l’âge » et que certaines missions de police, impliquant l’usage de la force physique, peuvent justifier une telle exigence.
Toutefois, dans le cas présent, l’application de cette dérogation est subordonnée à la nature réelle des fonctions exercées. La juridiction de renvoi estimait que les fonctions de commissaire de police étaient essentiellement de nature administrative et directoriale. Il appartient donc au juge national de vérifier si, dans les faits, la possession de capacités physiques particulièrement élevées est nécessaire à l’accomplissement des tâches habituelles de ces fonctionnaires. Si les missions exigeant une condition physique exceptionnelle sont marginales ou inexistantes, la limite d’âge ne peut se fonder sur cette disposition. La Cour insiste sur une analyse concrète et non abstraite des fonctions, limitant ainsi le champ de cette justification aux seules activités où la capacité physique est indissociable de l’exercice professionnel.
B. L’appréciation des objectifs légitimes de politique de l’emploi
À titre subsidiaire, la Cour examine si la mesure peut être justifiée au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive, qui autorise des différences de traitement si elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime. La directive mentionne notamment « la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite ». La Cour écarte rapidement l’argument de la formation, faute d’éléments probants.
Concernant la nécessité d’assurer une période d’emploi raisonnable, la Cour adopte une approche pragmatique. L’âge de la retraite pour le personnel concerné étant fixé à soixante et un ans, un recrutement même après trente ans garantirait une carrière de plusieurs décennies. Dans ce contexte, la Cour juge qu’une telle limite d’âge « ne peut, en principe, être considérée comme étant nécessaire en vue d’assurer aux commissaires concernés une période d’emploi raisonnable avant la retraite ». Cette analyse montre que la justification doit reposer sur des éléments concrets et non sur de simples affirmations générales, renforçant la protection contre les discriminations arbitraires.
II. Le contrôle approfondi de la proportionnalité de la mesure
Au-delà de l’existence d’un objectif légitime, la Cour de justice contrôle avec une attention particulière que la mesure choisie par l’État membre est bien proportionnée. Elle constate d’une part que la limite d’âge apparaît comme une exigence excessive (A) et d’autre part que son manque de cohérence achève de la disqualifier (B).
A. Le caractère excessif de la limite d’âge au regard de l’objectif
La Cour souligne que pour être proportionnée, une mesure restrictive doit être à la fois appropriée et nécessaire. Or, elle identifie des alternatives moins contraignantes pour s’assurer de l’aptitude physique des candidats. L’existence d’épreuves physiques éliminatoires dans le cadre du concours constitue un moyen direct et efficace de vérifier les capacités des candidats, indépendamment de leur âge. La Cour estime que « l’existence d’une épreuve physique éliminatoire dans le cadre du concours concerné constituerait effectivement une mesure adéquate et moins contraignante que la fixation d’une limite d’âge maximal à 30 ans ».
En privilégiant un test individuel des capacités sur une présomption générale et irréfragable liée à l’âge, la Cour réaffirme un principe fondamental de l’égalité de traitement : chaque personne doit être évaluée sur ses mérites propres. L’âge ne peut servir de critère de sélection que s’il est démontré qu’aucune autre méthode d’évaluation plus individualisée n’est possible ou pertinente, ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce.
B. Le défaut de cohérence de la réglementation nationale
Enfin, la Cour met en évidence les nombreuses dérogations à la limite d’âge prévues par la réglementation nationale elle-même. Des limites d’âge supérieures, voire leur suppression, sont prévues pour les candidats déjà membres des forces de police, pour ceux ayant accompli un service militaire ou pour le personnel de l’administration civile. Ces exceptions affaiblissent considérablement la justification de la mesure.
La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence constante selon laquelle « une réglementation n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique ». L’existence de ces dérogations démontre que l’État lui-même ne considère pas l’âge de trente ans comme une condition absolument rédhibitoire pour l’exercice des fonctions de commissaire. Ce manque de cohérence interne prive la mesure de sa légitimité et confirme son caractère disproportionné, la transformant en une barrière arbitraire plutôt qu’en une exigence objectivement justifiée.