Cour de justice de l’Union européenne, le 17 octobre 2018, n°C-503/17

La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision rendue par sa huitième chambre, a statué sur un recours en manquement initié par la Commission européenne à l’encontre d’un État membre. Le litige portait sur la compatibilité de la législation nationale de cet État avec la directive 95/60/CE relative au marquage fiscal de certains produits pétroliers. En l’espèce, un État membre autorisait l’utilisation de gazole, identifiable par un marqueur fiscal, pour la propulsion de bateaux de plaisance privés. Cet usage était pourtant soumis au taux normal des droits d’accise, alors que le marquage est en principe réservé aux carburants bénéficiant d’une fiscalité réduite. La législation nationale prévoyait un mécanisme par lequel l’utilisateur final déclarait cet usage spécifique et s’acquittait du supplément de taxe correspondant au taux plein. Saisie d’une lettre de mise en demeure puis d’un avis motivé par la Commission, l’État membre a maintenu que son système était conforme au droit de l’Union, car il assurait la perception de l’intégralité des droits d’accise et prévenait la fraude. La Commission a néanmoins introduit un recours, estimant que cette pratique vidait de sa substance le système de marquage harmonisé. Le problème de droit soulevé était donc de savoir si la législation d’un État membre qui autorise l’utilisation de gazole fiscalement marqué pour un usage soumis au plein tarif des droits d’accise est compatible avec la directive dont la finalité est précisément d’identifier les carburants bénéficiant d’un taux réduit. La Cour a répondu par la négative, jugeant que l’État membre avait manqué à ses obligations. Elle a estimé que le système de marquage est exclusif aux produits bénéficiant d’un régime fiscal dérogatoire.

La Cour fonde sa décision sur une interprétation stricte de la finalité de la directive, consacrant ainsi l’exclusivité du lien entre marquage et fiscalité réduite (I). En conséquence, elle écarte de manière systématique les justifications d’ordre pratique ou administratif avancées par l’État membre pour défendre son dispositif national (II).

I. La consécration d’un lien exclusif entre marquage fiscal et taxation réduite

Pour constater le manquement, la Cour s’appuie sur une lecture finaliste de la directive, affirmant que le marquage ne peut s’appliquer qu’aux carburants à taux réduit (A), sans quoi l’objectif même du texte serait anéanti (B).

A. L’affirmation d’un principe de marquage réservé aux carburants détaxés

La Cour de justice établit une règle claire en interprétant les dispositions de la directive 95/60. Elle déduit des termes de l’article 1er que l’obligation de marquer les gazoles non taxés au taux plein emporte nécessairement une interdiction de marquer ceux qui le sont. Le raisonnement est mené `a contrario`, la Cour estimant que toute autre lecture serait contraire à la logique du système. Elle énonce ainsi que « les États membres ne sauraient appliquer un tel marquage également au gazole taxé au taux plein, sous peine de porter atteinte à l’objectif dudit marquage ». Cette interprétation crée une corrélation absolue et non négociable entre la présence d’un marqueur chimique et l’application d’un avantage fiscal. Le marquage devient ainsi le signe visible et unique d’une dérogation au régime de taxation normal. L’État membre ne peut donc pas créer une catégorie intermédiaire de carburant marqué mais taxé au taux plein, même s’il met en place un système de recouvrement de la taxe.

B. La sauvegarde de l’effet utile du système de contrôle harmonisé

L’interprétation stricte retenue par la Cour est justifiée par la nécessité de préserver la finalité du dispositif, qualifiée d’« effet utile » de la directive. Cet objectif est de permettre « l’identification facile et rapide du gazole non soumis au niveau de taxation normal ». Si un État membre pouvait marquer indifféremment les carburants, qu’ils soient taxés au taux plein ou réduit, le contrôle visuel immédiat deviendrait inopérant pour les autorités des autres États membres. Un carburant marqué ne signalerait plus de manière univoque une situation fiscale précise, ce qui obligerait à des vérifications documentaires complexes que la directive visait justement à éviter. Admettre la thèse de l’État défendeur reviendrait à permettre qu’un État se conforme à la directive en marquant tous les carburants vendus sur son territoire, rendant le système de marquage harmonisé totalement inutile et vidant la directive de sa substance.

Après avoir ainsi consacré une interprétation finaliste de la directive, la Cour examine et rejette logiquement les arguments de l’État membre qui tentaient de justifier sa pratique par des considérations étrangères à cet objectif.

II. Le rejet des justifications nationales fondées sur des considérations pratiques

La Cour écarte fermement la validité des mécanismes de contrôle alternatifs proposés par l’État membre (A) et refuse de prendre en compte les difficultés économiques et pratiques qui résulteraient d’une application stricte de la directive (B).

A. L’inopposabilité des mécanismes de contrôle nationaux alternatifs

L’État membre soutenait que son système, reposant sur une déclaration de l’utilisateur et la production de reçus, assurait une juste perception de l’impôt et prévenait la fraude. La Cour considère cet argument comme non pertinent. Elle rappelle que le système de marquage a été institué précisément pour faciliter les contrôles et qu’il ne peut être remplacé par d’autres dispositifs, même s’ils aboutissent à un résultat fiscalement équivalent. Elle souligne à ce titre qu’il « importe peu, à cet égard, qu’il existe d’autres moyens de contrôle, tels que la production d’un reçu attestant du paiement de la différence de droits d’accise ». Cette position réaffirme que l’harmonisation prévue par une directive ne porte pas seulement sur l’objectif à atteindre, mais également sur les moyens à mettre en œuvre. Un État membre ne dispose donc d’aucune marge d’appréciation pour substituer ses propres procédures au mécanisme commun prévu par le législateur de l’Union.

B. L’indifférence aux difficultés pratiques et économiques alléguées

Face à ses obligations, l’État membre invoquait enfin le principe de proportionnalité et les difficultés pratiques considérables qu’entraînerait l’interdiction de sa pratique. Il arguait notamment des coûts élevés pour les distributeurs, qui devraient installer des cuves séparées pour un carburant non marqué, et des risques de sécurité pour les plaisanciers en raison de difficultés de ravitaillement. La Cour balaie cette argumentation en la jugeant fondée sur une prémisse erronée, à savoir que la pratique nationale serait compatible avec la directive. Dès lors que cette compatibilité est exclue, les difficultés découlant de l’obligation de se conformer au droit de l’Union ne peuvent constituer une excuse valable pour justifier le manquement. Le respect du droit de l’Union prime sur les contraintes logistiques ou économiques internes, celles-ci devant être résolues dans le cadre d’une application correcte de la législation européenne, et non pour s’y soustraire.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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