Cour de justice de l’Union européenne, le 17 septembre 2009, n°C-519/07

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 29 septembre 2011 se prononce sur l’intensité du contrôle que le juge de l’Union doit exercer sur les décisions de la Commission européenne en matière de concentrations. En l’espèce, une opération de concentration entre deux entreprises du secteur laitier avait été autorisée par la Commission, sous réserve d’un engagement de cession d’une partie des activités de l’entité issue de la fusion. L’entreprise cédante a présenté un candidat pour la reprise de ces activités. La Commission a toutefois rejeté cette proposition par une décision du 30 avril 2003, estimant que le repreneur proposé ne présentait pas les garanties de viabilité et d’indépendance suffisantes pour maintenir une concurrence effective et durable sur le marché concerné. Saisi d’un recours en annulation contre cette décision de rejet, le Tribunal de première instance des Communautés européennes, par un arrêt du 12 septembre 2007, a rejeté le recours. Les juges de première instance ont considéré que l’appréciation portée par la Commission sur l’aptitude d’un candidat-repreneur relevait de son large pouvoir d’appréciation en matière économique et ne pouvait, dès lors, faire l’objet que d’un contrôle juridictionnel restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. L’entreprise requérante a formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit en limitant à ce point l’étendue de son contrôle. La question de droit qui était ainsi posée à la Cour de justice était donc de déterminer si le contrôle juridictionnel exercé sur une décision de la Commission rejetant un candidat-repreneur dans le cadre d’engagements de concentration doit se limiter à la détection d’une erreur manifeste d’appréciation ou s’il doit revêtir une portée plus étendue. Par son arrêt, la Cour de justice annule la décision du Tribunal, considérant que celui-ci a appliqué à tort un standard de contrôle juridictionnel trop limité. Elle juge que l’appréciation de la Commission en la matière n’implique pas des analyses économiques et prospectives aussi complexes que celles relatives à l’examen de l’opération de concentration elle-même, et que le contrôle du juge ne saurait par conséquent être restreint. Cette décision clarifie utilement l’étendue du contrôle juridictionnel (I), ce qui a pour conséquence de renforcer la protection juridique des entreprises concernées (II).

I. La clarification bienvenue de l’étendue du contrôle juridictionnel

L’arrêt commenté apporte une précision substantielle sur l’office du juge de l’Union en matière de contrôle des concentrations. Il le fait en écartant une approche déférente à l’égard du pouvoir d’appréciation de la Commission pour ce type de décision (A) et en consacrant l’exigence d’un contrôle complet (B).

A. Le rejet d’un contrôle juridictionnel restreint

Le Tribunal avait estimé que l’analyse par la Commission des qualités d’un candidat-repreneur constituait une appréciation économique complexe. Il en avait déduit que son contrôle devait se limiter à vérifier « l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ». Cette approche traditionnelle accorde une marge de manœuvre considérable à l’institution, le juge ne sanctionnant que les erreurs les plus grossières et évidentes. La Cour de justice censure ce raisonnement. Elle établit une distinction fondamentale entre l’analyse prospective des effets d’une concentration sur un marché et l’évaluation plus factuelle des qualifications d’un repreneur potentiel. Selon la Cour, « l’appréciation par la Commission d’un candidat-repreneur […] ne se caractérise pas par des analyses économiques et prospectives aussi complexes que celles qu’elle doit effectuer lors de son examen d’une opération de concentration ». Le juge du pourvoi estime donc que le Tribunal a commis une erreur de droit en appliquant le standard du contrôle restreint à une situation qui ne le justifiait pas, réduisant ainsi indûment la portée de sa mission de contrôle.

B. L’affirmation d’un contrôle juridictionnel complet

En lieu et place du contrôle de l’erreur manifeste, la Cour de justice restaure le principe d’un contrôle qualifié de complet ou de normal. Ce contrôle impose au juge de l’Union de vérifier non seulement la matérialité des faits retenus par la Commission et l’absence d’erreur manifeste dans leur appréciation, mais également l’exactitude des qualifications juridiques qui en découlent. Autrement dit, le Tribunal aurait dû examiner de manière approfondie si les éléments du dossier permettaient valablement à la Commission de conclure que le candidat-repreneur n’était pas apte à maintenir une concurrence effective. Il ne s’agit plus seulement de traquer l’évidence d’une erreur, mais d’opérer une vérification pleine et entière de la logique et du bien-fondé de l’analyse menée par l’institution. Cette solution rappelle que si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation, celui-ci n’est pas discrétionnaire et doit pouvoir être soumis à un contrôle juridictionnel effectif, garant du respect du droit.

Cette redéfinition du standard de contrôle applicable n’est pas une simple question technique. Elle modifie l’équilibre institutionnel et se traduit par une amélioration notable de la situation des opérateurs économiques.

II. Le renforcement conséquent de la protection des entreprises

En précisant l’office du juge, la Cour de justice tire les conséquences du droit à une protection juridictionnelle effective. La valeur de cette décision réside dans la garantie accrue qu’elle offre aux entreprises (A), tandis que sa portée se mesure à l’aune des nouvelles exigences qu’elle impose à la Commission et au Tribunal (B).

A. La valeur de la décision : une garantie accrue des droits des entreprises

L’arrêt constitue une avancée pour les droits de la défense et la sécurité juridique. En soumettant les décisions de rejet d’un repreneur à un contrôle approfondi, la Cour offre aux entreprises une voie de recours bien plus tangible. Celles-ci ne sont plus confrontées à la tâche quasi impossible de devoir démontrer une erreur flagrante de la part de la Commission. Elles peuvent désormais contester plus efficacement l’analyse de l’institution sur des bases factuelles et argumentatives solides, avec l’assurance que le juge examinera en détail le bien-fondé de chaque critère appliqué. Cette jurisprudence contraint la Commission à motiver de manière plus rigoureuse et circonstanciée ses décisions, qui doivent pouvoir résister à un examen judiciaire exigeant. La décision commentée renforce ainsi la soumission de l’administration au droit, en s’assurant que son pouvoir d’appréciation s’exerce dans un cadre légal strict et sous la surveillance effective du juge.

B. La portée de la décision : une nouvelle exigence pour la Commission et le Tribunal

La portée de cet arrêt est significative. Il doit être regardé comme un arrêt de principe qui fixe pour l’avenir le cadre du contrôle juridictionnel pour toutes les décisions similaires. Concrètement, la Commission européenne sait désormais que ses analyses relatives aux candidats-repreneurs seront scrutées avec une plus grande acuité. Elle devra veiller à ce que ses dossiers soient solidement étayés en fait et en droit pour éviter des annulations contentieuses. Pour le Tribunal de l’Union européenne, l’arrêt implique une charge de travail potentiellement plus lourde. Il ne peut plus se contenter d’un examen superficiel et doit entrer dans le détail des appréciations économiques et stratégiques de la Commission. Cette évolution jurisprudentielle pourrait conduire à un plus grand nombre d’annulations de décisions de la Commission dans ce domaine spécifique, incitant cette dernière à une prudence et une rigueur accrues dans l’application des remèdes en matière de concentration.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture