Cour de justice de l’Union européenne, le 17 septembre 2014, n°C-441/12

Par un arrêt en date du 17 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’applicabilité de la directive 2003/71/CE, dite « directive prospectus », à une vente forcée de valeurs mobilières.

En l’espèce, deux sociétés commerciales se sont vues condamnées par le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch, le 30 novembre 2010, à verser une somme de 500 000 euros à deux autres entités en exécution d’un accord antérieur. Afin de garantir le recouvrement de cette créance, les créanciers ont procédé à une saisie-exécution sur des certificats d’actions détenus par les sociétés débitrices. Par la suite, le Rechtbank Breda, saisi par les créanciers, a ordonné la vente publique de ces certificats par un huissier de justice. Cette juridiction a toutefois précisé que l’obligation de publier un prospectus, prévue par le droit néerlandais transposant la directive, ne s’appliquait pas à une telle vente. Elle a estimé que la législation visait à protéger les investisseurs contre des offres malhonnêtes ou des informations insuffisantes, et non les acquéreurs qui acceptent sciemment les risques inhérents à une vente forcée. Cette décision fut confirmée en appel par le Gerechtshof ’s-Hertogenbosch le 5 avril 2011. Un pourvoi a alors été formé devant le Hoge Raad der Nederlanden.

Estimant que la question de l’assujettissement d’une vente forcée à l’obligation de publication d’un prospectus soulevait une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, la juridiction suprême néerlandaise a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si une vente de valeurs mobilières, réalisée dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée, doit être considérée comme une « offre au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/71/CE, et si, par conséquent, elle est soumise à l’obligation de publication préalable d’un prospectus.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative, en jugeant que « l’obligation de publier un prospectus préalablement à toute offre de valeurs mobilières au public n’est pas applicable à une vente forcée de valeurs mobilières ». La Cour fonde sa solution sur une analyse des objectifs de la directive, qui la conduit à distinguer la nature d’une vente forcée de celle des opérations de marché visées par le texte. Cette solution, fondée sur une interprétation téléologique de la directive, consacre une exclusion de principe pour les ventes forcées (I), dont la justification et la portée méritent d’être examinées (II).

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I. L’exclusion de la vente forcée du champ d’application de la directive prospectus

La Cour de justice justifie sa décision en s’écartant d’une interprétation littérale de la notion d’« offre au public » pour privilégier une approche finaliste (A), qui prend en considération les particularités irréductibles de la procédure d’exécution forcée (B).

A. Une interprétation finaliste de la notion d’offre au public

Bien que la définition de l’« offre au public de valeurs mobilières » donnée par l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la directive soit particulièrement large, la Cour choisit de ne pas s’en tenir à une application littérale. Elle recherche plutôt l’intention du législateur européen en se référant aux objectifs fondamentaux de la directive, tels qu’énoncés dans ses considérants. Il en ressort que le texte vise principalement à « garantir la protection des investisseurs et l’efficacité des marchés ». Le prospectus est ainsi conçu comme un instrument d’information destiné à permettre aux investisseurs « d’évaluer en connaissance de cause le patrimoine, la situation financière, les résultats et les perspectives de l’émetteur ».

Or, selon la Cour, la finalité d’une vente forcée est radicalement différente de celle d’une opération de marché classique. Une telle vente ne s’inscrit pas dans une logique d’investissement ou de levée de capitaux. Elle constitue une mesure d’exécution dont le seul but est le remboursement d’une dette. Comme le souligne la Cour, « les ventes forcées ne visent pas à participer à une activité économique sur le marché des valeurs mobilières, mais se bornent à satisfaire les droits d’un créancier saisissant ». En dissociant ainsi la vente forcée des opérations de marché ordinaires, la Cour la place de fait en dehors du périmètre de protection et de régulation que la directive a entendu instaurer.

B. La prise en compte des spécificités de la procédure d’exécution

Au-delà de cette différence de finalité, la Cour appuie son raisonnement sur des considérations d’ordre pratique qui rendent l’obligation de prospectus incompatible avec la nature même d’une vente forcée. Elle relève que l’application de cette obligation se heurterait à des difficultés considérables. D’une part, elle mettrait en péril l’efficacité de la procédure d’exécution elle-même. La préparation d’un prospectus entraînerait des délais et des coûts significatifs qui non seulement retarderaient le désintéressement du créancier, mais pourraient également diminuer le produit net de la vente, limitant ainsi ses chances de recouvrement.

D’autre part, la Cour pointe des difficultés pratiques quasi insurmontables. Elle s’interroge sur la personne qui aurait la charge d’élaborer le prospectus, et plus encore, sur celle qui en assumerait la responsabilité. Dans le cadre d’une vente forcée, celui qui procède à la vente n’est pas le titulaire des titres, mais un agent de justice agissant pour le compte d’un créancier. En outre, la collecte des informations nécessaires, qui suppose la collaboration de la société émettrice, s’avérerait pour le moins problématique dans un contexte coercitif. Ces obstacles pratiques confirment que le mécanisme du prospectus est inadapté à la situation spécifique de la vente forcée.

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II. La valeur et la portée de l’exclusion de la vente forcée

Cette décision, qui clarifie le champ d’application de la directive prospectus, se justifie au regard des principes fondamentaux du droit de l’Union (A) et, bien que liée aux faits de l’espèce, établit une ligne directrice claire pour l’avenir (B).

A. Une solution justifiée au regard du principe d’égalité de traitement

La Commission européenne, dans ses observations, avait soulevé le risque qu’une exclusion des ventes forcées ne crée une discrimination en défaveur des investisseurs participant à des ventes volontaires. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une application rigoureuse du principe d’égalité de traitement. Elle rappelle que ce principe « exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié ».

Or, la Cour estime que la situation d’un investisseur acquérant des titres dans une vente forcée n’est pas comparable à celle d’un investisseur sur le marché primaire ou secondaire. L’acheteur potentiel dans une vente forcée est conscient du cadre judiciaire de l’opération et du fait que son but n’est pas un investissement classique mais la réalisation d’un actif pour apurer une dette. Cette connaissance du contexte spécifique et des risques qui y sont associés le place dans une position distincte. Par conséquent, l’absence d’un prospectus ne constitue pas un traitement inégalitaire, mais la reconnaissance d’une différence objective de situation.

B. Une portée clarifiant l’esprit de la directive

Bien que la Cour prenne soin de préciser que sa solution s’applique à une vente forcée « telle que celle en cause dans l’affaire au principal », la portée de l’arrêt dépasse le simple cas d’espèce. En privilégiant une interprétation téléologique, la Cour établit un principe directeur : le formalisme de la directive prospectus doit céder le pas devant la nature et la finalité des opérations. Le texte est destiné à réguler les marchés de capitaux et non à entraver les procédures d’exécution judiciaire.

Cette décision apporte une sécurité juridique bienvenue aux créanciers et aux autorités judiciaires des États membres. Elle évite que les procédures de recouvrement de créances soient paralysées par des exigences réglementaires conçues pour un tout autre contexte économique et juridique. En affirmant que la protection de l’investisseur doit être appréciée en fonction de la nature de l’opération, la Cour rappelle que les règles de marché ne sauraient s’appliquer de manière aveugle et indifférenciée. L’esprit de la loi l’emporte ainsi sur sa lettre, consacrant une solution pragmatique et cohérente avec les objectifs du droit de l’exécution.

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Hassan KOHEN
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