Cour de justice de l’Union européenne, le 17 septembre 2020, n°C-449/18

Par un arrêt du 17 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne a mis un terme à un litige de longue date en matière de droit des marques, portant sur l’enregistrement d’un patronyme de renommée mondiale. En l’espèce, un sportif de renommée mondiale a déposé en 2011 une demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne « MESSI », sous forme figurative, pour des articles de sport. Le titulaire de marques antérieures de l’Union européenne, « MASSI », verbales et figuratives, enregistrées pour des produits similaires, a formé opposition à cette demande. L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a d’abord accueilli cette opposition en retenant l’existence d’un risque de confusion entre les signes, une décision qui fut confirmée par sa chambre de recours.

Saisi par le demandeur à l’enregistrement, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de l’EUIPO par un arrêt du 26 avril 2018. Les juges ont estimé que la renommée mondiale du demandeur était un fait notoire qui neutralisait les similitudes visuelles et phonétiques entre les deux signes, écartant ainsi tout risque de confusion dans l’esprit du public pertinent. L’EUIPO ainsi que le titulaire des marques antérieures ont alors formé deux pourvois distincts devant la Cour de justice, soutenant que la renommée d’une personne ne devait pas être un critère pertinent dans l’appréciation globale du risque de confusion et que le Tribunal avait erronément conclu à l’absence de ce risque. Se posait donc à la Cour la question de savoir si la célébrité d’une personne, dont le nom fait l’objet d’une demande de marque, peut constituer un facteur conceptuel pertinent capable de neutraliser des similitudes visuelles et phonétiques avec une marque antérieure, écartant ainsi le risque de confusion. La Cour de justice a rejeté les pourvois, validant le raisonnement du Tribunal. Elle a jugé que la renommée du nom du demandeur constituait un élément conceptuel apte à « neutraliser les similitudes visuelles et phonétiques » avec la marque antérieure.

Cette décision consacre la prise en compte de la perception réelle du public, influencée par la notoriété, dans l’appréciation du risque de confusion (I), tout en soulevant des questions quant à la portée de cette solution sur l’équilibre entre les intérêts des titulaires de marques et ceux des personnalités célèbres (II).

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**I. La consécration de la renommée comme facteur neutralisant le risque de confusion**

La Cour de justice confirme une approche où la dimension conceptuelle d’un signe, lorsqu’elle est suffisamment forte, peut primer sur les similitudes matérielles traditionnellement examinées (A), consacrant ainsi la prééminence de la perception concrète du public sur une analyse abstraite des signes (B).

**A. Le dépassement de l’appréciation traditionnelle des similitudes**

En droit des marques de l’Union européenne, l’appréciation du risque de confusion repose sur une analyse globale qui prend en compte l’interdépendance entre la similitude des produits et celle des signes. Pour les signes, cette analyse s’articule classiquement autour de trois axes : visuel, phonétique et conceptuel. En l’espèce, une approche purement formelle aurait inévitablement conduit à retenir un risque de confusion. Les signes « MESSI » et « MASSI » présentent une proximité visuelle évidente, due à leur structure et à leur longueur quasi identiques, ainsi qu’une similarité phonétique forte. L’EUIPO avait d’ailleurs fondé sa décision initiale sur ce constat, estimant que ces ressemblances étaient suffisantes pour induire le consommateur en erreur, compte tenu de l’identité des produits visés.

Cependant, le Tribunal, dont le raisonnement est ici validé, a introduit un facteur correcteur décisif. Il a jugé que « la renommée de la personne qui demande l’enregistrement de son nom en tant que marque est l’un des facteurs pertinents pour l’appréciation du risque de confusion ». Ce faisant, il a déplacé le centre de gravité de l’analyse des aspects matériels des signes vers leur signification dans l’esprit du public. La Cour de justice entérine cette démarche en rejetant l’argument des requérants selon lequel la renommée du demandeur serait un élément extérieur et non pertinent. Elle confirme que l’appréciation globale inclut nécessairement la manière dont le signe est perçu, et cette perception est indissociable des connaissances du public.

**B. La prééminence du contenu conceptuel lié à la notoriété**

L’apport essentiel de l’arrêt réside dans la confirmation que la dimension conceptuelle peut non seulement être un critère parmi d’autres, mais qu’elle peut, dans certaines circonstances, l’emporter sur les autres similitudes au point de les neutraliser. La Cour considère que le nom du demandeur bénéficie d’une telle célébrité qu’une « partie significative du public pertinent associera le terme “messi” au nom du célèbre joueur de football et percevra, par conséquent, le terme “massi” comme étant conceptuellement différent ». Pour le consommateur d’articles de sport, le signe « MESSI » n’est pas un terme arbitraire ; il renvoie instantanément et sans équivoque à la figure du sportif mondialement connu.

Cette association mentale immédiate crée une différence conceptuelle si puissante qu’elle éclipse les ressemblances orthographiques et sonores. Le public ne verra pas dans la marque « MESSI » une déclinaison de la marque « MASSI », mais bien la marque du joueur lui-même. La Cour entérine ainsi une approche pragmatique, fondée sur la réalité du marché et la psychologie du consommateur. Elle refuse de s’en tenir à une comparaison mécanique qui ignorerait le savoir et les associations d’idées du public. La notoriété n’est donc pas un privilège accordé à une personne, mais un fait social qui modifie la perception même du signe et, par conséquent, l’appréciation juridique qui doit en être faite.

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**II. La portée de la solution sur l’équilibre du droit des marques**

En validant l’importance de la renommée, la Cour ancre le droit des marques dans une réalité économique et sociale (A), mais ouvre également une réflexion sur le traitement potentiellement différencié des demandeurs à l’enregistrement selon leur célébrité (B).

**A. Une interprétation pragmatique au service de la fonction de la marque**

La fonction essentielle d’une marque est de garantir au consommateur l’origine d’un produit ou d’un service, lui permettant de le distinguer de ceux d’une autre provenance. La notion de « risque de confusion » est l’outil juridique qui protège cette fonction. En l’espèce, la Cour de justice adopte une vision particulièrement concrète de ce risque. Conclure à son existence aurait abouti à une situation paradoxale où un nom mondialement connu aurait été jugé susceptible d’être confondu avec une marque moins notoire, alors même que c’est précisément sa célébrité qui le rend unique et immédiatement identifiable.

La décision peut donc être lue comme un rappel que les règles du droit des marques ne doivent pas être appliquées de manière désincarnée. Elles visent à protéger le public d’une erreur sur l’origine, et non à créer des monopoles sur des signes au mépris de la perception réelle des consommateurs. Refuser l’enregistrement aurait constitué une protection excessive de la marque antérieure, au-delà de ce qui est nécessaire pour prévenir une confusion effective. En ce sens, la valeur de l’arrêt est de réaffirmer que l’analyse juridique doit s’adapter aux faits de l’espèce, et la notoriété d’un signe est un fait objectif qui ne saurait être ignoré. La solution est donc conforme à une certaine équité et à une logique économique, reconnaissant qu’un nom propre peut acquérir, par l’usage et la renommée, une charge conceptuelle qui le rend distinctif.

**B. Une potentielle source de déséquilibre pour les futurs litiges**

Si la solution est pragmatique, sa portée doit être mesurée. Elle pourrait être interprétée comme créant un avantage significatif pour les personnalités publiques dans le processus d’enregistrement de leur nom comme marque. Un demandeur anonyme portant le même nom n’aurait vraisemblablement pas obtenu la même décision, les similitudes visuelles et phonétiques avec la marque antérieure ayant alors pleinement joué leur rôle. La question se pose donc de savoir si cette jurisprudence introduit une forme de droit des marques à deux vitesses, où la célébrité conférerait une aptitude distinctive particulière à un nom.

Toutefois, la Cour prend soin de lier son raisonnement à une renommée si exceptionnelle qu’elle constitue un « fait notoire », connu de la quasi-totalité des personnes informées. Il ne s’agit donc pas d’ouvrir la voie à ce que toute notoriété, même relative, suffise à écarter un risque de confusion. La portée de l’arrêt est probablement circonscrite aux cas de célébrité mondiale, où la force de l’association conceptuelle est incontestable. Néanmoins, cet arrêt constituera un précédent majeur pour tous les litiges impliquant des patronymes célèbres. Il invite les offices et les juridictions à quantifier le degré de renommée et son impact sur la perception du public, un exercice qui pourrait s’avérer délicat et faire l’objet de débats nourris dans de futures affaires. La décision, tout en résolvant un cas d’espèce de manière logique, complexifie l’appréciation globale du risque de confusion en y intégrant un paramètre éminemment factuel et variable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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