La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 17 septembre 2020 une décision fondamentale relative à la libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur. Ce litige porte sur la compatibilité d’une législation nationale imposant la négociation exclusive de l’électricité sur des plateformes centralisées gérées par un opérateur unique.
Une entreprise de production énergétique a conclu des contrats de vente sur une plateforme électronique étrangère entre les mois de décembre 2014 et de février 2015. L’autorité de régulation nationale lui a infligé une amende pour violation de l’obligation de proposer l’intégralité de sa production sur le marché national.
Le tribunal de première instance du secteur 1 de Bucarest a annulé cette amende en considérant que la négociation hors des plateformes étatiques n’était pas nécessairement illicite. Saisi en appel, le tribunal de grande instance de Bucarest a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’interprétation du traité.
Le producteur soutient que l’obligation de passer par un opérateur unique constitue une limitation des canaux de distribution incompatible avec la liberté fondamentale de toute exportation. L’autorité de régulation invoque la transparence nécessaire du marché et la sécurité de l’approvisionnement énergétique pour justifier le maintien d’une telle contrainte commerciale.
La question posée porte sur la qualification d’une mesure imposant aux producteurs de négocier exclusivement par l’intermédiaire d’un marché national concurrentiel et centralisé à l’exclusion d’exportations directes. La Cour juge qu’une telle législation constitue une restriction à l’exportation disproportionnée par rapport à l’objectif de sécurité publique officiellement recherché par l’État.
Il convient d’étudier la qualification de cette mesure nationale comme une restriction injustifiée avant d’analyser le rejet des motifs de sécurité publique par le juge de l’Union.
I. La qualification de l’obligation de négociation centralisée comme mesure d’effet équivalent
A. L’application des règles du traité en l’absence d’harmonisation exhaustive
L’autorité nationale prétend que le litige doit être tranché au seul regard du droit dérivé en raison d’une prétendue harmonisation législative complète du secteur énergétique. La Cour précise toutefois que la directive de 2009 établit seulement des principes généraux sans opérer une harmonisation exhaustive du domaine des transactions de l’électricité.
Le juge rappelle que l’électricité relève du champ d’application des règles du traité concernant la libre circulation des marchandises malgré sa nature physique particulière et impalpable. L’absence de règles d’harmonisation spécifiques au moment des faits permet donc d’apprécier la législation nationale au regard des dispositions fondamentales du droit primaire européen.
B. L’entrave aux exportations résultant de l’interdiction des contrats bilatéraux directs
Une mesure est restrictive lorsqu’elle affecte « davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national ». L’obligation de vente centralisée prive les producteurs ayant des licences à l’étranger de la possibilité de négocier bilatéralement leur électricité pour l’exporter directement.
Les juges considèrent que cette interdiction implicite des exportations directes oriente prioritairement l’électricité produite vers la consommation interne au détriment des échanges transfrontaliers entre les États. Une telle priorité donnée à l’approvisionnement du marché national constitue par conséquent une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative prohibée par le droit européen.
L’identification d’une entrave injustifiée à la circulation des marchandises impose d’analyser les justifications invoquées par les autorités nationales pour maintenir ce dispositif restrictif et discriminatoire.
II. L’échec des justifications tirées de la sécurité de l’approvisionnement énergétique
A. La reconnaissance de la sécurité d’approvisionnement comme objectif de sécurité publique
L’État membre affirme que sa législation garantit la transparence des contrats et favorise une concurrence loyale pour assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de ses consommateurs. Le juge reconnaît que « la protection de la sécurité d’approvisionnement énergétique est susceptible de relever des raisons de sécurité publique » au sens du traité de fonctionnement.
Cet objectif légitime permet théoriquement de déroger au principe de libre circulation si la mesure répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique. La Cour vérifie donc si le monopole de négociation sur une plateforme unique est apte à garantir la sécurité énergétique sans excéder les limites nécessaires.
B. Le caractère disproportionné et incohérent de la mesure nationale restrictive
Le dispositif est jugé incohérent car les intermédiaires peuvent exporter l’électricité achetée sur le marché de gros sans subir les restrictions imposées aux seuls producteurs nationaux. La Cour souligne également que « la garantie d’approvisionnement en électricité ne signifie pas la garantie d’approvisionnement en électricité au meilleur prix » pour les acteurs nationaux.
Des considérations purement économiques ne peuvent pas justifier des restrictions aux exportations sous peine de remettre en cause le principe même du marché intérieur de l’Union. Il existe des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales pour assurer la transparence des marchés comme les mécanismes de coopération et de surveillance entre les autorités régulatrices.