Cour de justice de l’Union européenne, le 18 avril 2013, n°C-103/11

Un litige opposait une société spécialisée dans le développement de logiciels de traduction automatique et l’une de ses filiales à une institution de l’Union européenne. Depuis 1975, les relations entre les parties étaient régies par une succession de contrats portant sur l’utilisation, l’amélioration et la migration d’un système de traduction. En 2003, l’institution a lancé un appel d’offres pour la maintenance de sa version du système, attribuant une partie du marché à une entreprise tierce. S’estimant lésées dans leurs droits de propriété intellectuelle et leur savoir-faire, la société mère et sa filiale ont saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en responsabilité non contractuelle. Par un arrêt du 16 décembre 2010, le Tribunal a fait droit à leur demande, condamnant l’institution à verser une indemnité substantielle pour violation de droits d’auteur et de savoir-faire. L’institution a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant la qualification non contractuelle du litige et, par conséquent, la compétence du juge de l’Union. Il était donc demandé à la Cour de justice de déterminer si une action en réparation, fondée sur une prétendue atteinte à des droits de propriété intellectuelle, relève de la responsabilité non contractuelle lorsque les droits et obligations des parties concernant l’œuvre en cause sont définis par un ensemble complexe d’accords. En réponse, la Cour de justice annule la décision du Tribunal, jugeant que le litige est de nature contractuelle. Elle énonce que lorsque l’examen approfondi du contexte contractuel « se révèle indispensable pour trancher ledit recours », la compétence appartient, en l’absence de clause compromissoire, aux juridictions nationales.

I. La réaffirmation d’une stricte répartition des compétences en matière de responsabilité

L’arrêt précise les frontières entre la responsabilité contractuelle et non contractuelle, en rappelant d’abord l’autonomie de la qualification du litige avant de consacrer le contexte contractuel comme un critère dirimant pour déterminer la juridiction compétente.

A. Le caractère autonome de la qualification du litige

La Cour de justice réaffirme avec force que la nature d’un litige ne saurait dépendre de la présentation qu’en font les parties. Le juge de l’Union doit procéder à une analyse objective pour déterminer si le fondement de l’action est contractuel ou délictuel. L’arrêt souligne que « la simple invocation de règles juridiques ne découlant pas d’un contrat pertinent en l’espèce, mais qui s’imposent aux parties ne saurait avoir pour conséquence de modifier la nature contractuelle du litige ». Cette approche garantit la prévisibilité et la sécurité juridique en empêchant que les règles de compétence matérielle ne soient contournées par la seule stratégie procédurale des requérants. En refusant de se laisser lier par les fondements juridiques invoqués, la Cour préserve la répartition des compétences voulue par les traités. La qualification du litige doit donc reposer sur une appréciation souveraine du juge, fondée sur l’ensemble des éléments du dossier.

B. L’indispensable examen du cadre contractuel comme critère de compétence

La Cour précise ensuite le critère permettant d’opérer cette qualification. Elle juge que les juridictions de l’Union doivent vérifier si le recours en indemnité « a pour objet une demande de dommages et intérêts reposant de manière objective et globale sur des droits et des obligations d’origine contractuelle ou d’origine non contractuelle ». Le facteur décisif réside dans la nécessité ou non d’interpréter le contrat pour statuer sur le bien-fondé de la demande. Si l’examen approfondi d’un « véritable contexte contractuel, lié à l’objet du litige » s’avère « indispensable pour trancher ledit recours », alors le litige échappe à la compétence du juge de l’Union. Ce critère fonctionnel déplace l’analyse de la nature de la faute alléguée vers la nature de la relation juridique entre les parties. Peu importe que la violation invoquée soit une atteinte à un droit absolu comme le droit d’auteur, si la portée de ce droit a été aménagée par contrat.

II. L’application du critère au contentieux des droits de propriété intellectuelle

L’application de ce principe conduit la Cour à censurer la méthode suivie par le Tribunal avant de faire prévaloir le cadre contractuel pour exclure la qualification de responsabilité non contractuelle.

A. La censure de l’erreur méthodologique du Tribunal

La Cour de justice critique sévèrement la démarche du Tribunal, qui a confondu l’examen de sa compétence avec l’analyse du fond du litige. Le Tribunal avait en effet procédé à une interprétation détaillée des nombreux contrats pour vérifier si l’institution bénéficiait d’une autorisation lui permettant de procéder aux actes litigieux. Or, en agissant ainsi, il a statué sur le caractère légal ou illégal du comportement de l’institution, ce qui relève du fond de l’affaire. La Cour juge que le Tribunal a « erronément jugé que l’analyse spécifique et concrète du contenu des différents contrats […] relevait de l’examen de sa compétence ». L’interprétation du contrat n’est pas une étape de la vérification de la compétence ; elle est la démonstration même que le litige est de nature contractuelle et que, par conséquent, le juge de l’Union est incompétent. Cette censure rappelle une règle fondamentale de procédure : la question de la compétence doit être tranchée à titre liminaire, sans préjuger du fond.

B. La primauté du contexte contractuel sur la nature de la violation

En l’espèce, la Cour constate l’existence d’un enchevêtrement de relations contractuelles établies sur plusieurs décennies. Ces accords successifs, portant sur le développement, la migration et l’utilisation du logiciel, formaient un « véritable contexte contractuel, lié à l’objet du litige ». Déterminer si l’institution avait le droit de confier des travaux à un tiers impliquait nécessairement d’interpréter les droits et obligations réciproques découlant de ces contrats. Par conséquent, l’illégalité alléguée ne pouvait être établie sans une appréciation de la portée des engagements contractuels. L’action ne pouvait donc être qualifiée de non contractuelle. Cette solution a une portée significative pour les litiges de propriété intellectuelle impliquant des institutions publiques. Elle signifie que, dès lors que l’exercice des droits de propriété intellectuelle a été encadré par un contrat, tout différend relatif à une prétendue violation de ces droits sera vraisemblablement de nature contractuelle, renvoyant les parties devant les juridictions nationales ou l’arbitrage.

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Hassan KOHEN
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