Cour de justice de l’Union européenne, le 18 décembre 2007, n°C-220/06

Par un arrêt du 18 décembre 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’articulation des règles de concurrence avec le régime de service postal universel. En l’espèce, une administration publique espagnole avait conclu un accord de collaboration pour la prestation de services postaux avec l’opérateur public chargé du service postal universel. Cet accord, conclu sans procédure d’appel d’offres, portait à la fois sur des services réservés et des services ouverts à la concurrence. Une association professionnelle d’entreprises concurrentes a contesté la validité de cet accord, estimant qu’il violait les principes de publicité et de libre concurrence. La juridiction nationale saisie, l’Audiencia Nacional, a alors interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle pratique avec le droit communautaire. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si les règles du traité relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, ainsi que les principes encadrant les marchés publics, s’opposent à ce qu’un État membre permette l’attribution directe de contrats de services postaux non réservés à l’opérateur historique. La Cour de justice répond par la négative pour les services réservés, mais censure une telle pratique pour les services non réservés, qu’ils relèvent du champ d’application de la directive sur les marchés publics de services ou, à défaut, des principes fondamentaux du traité. La solution retenue distingue ainsi nettement le régime applicable aux prestations relevant du service universel de celui des activités concurrentielles, tout en encadrant strictement les dérogations possibles aux règles de mise en concurrence.

I. La distinction fondamentale entre services postaux réservés et non réservés

La Cour de justice fonde son raisonnement sur une dichotomie claire entre les services postaux qui relèvent du monopole légal du prestataire du service universel et ceux qui sont ouverts à la concurrence. Elle affirme ainsi la soumission des services postaux au droit commun des marchés publics, tout en reconnaissant une exception logique pour les activités réservées (A), ce qui conduit à une application rigoureuse des règles de publicité et de mise en concurrence pour tous les services non réservés (B).

A. L’exclusion logique des services réservés du champ concurrentiel

La Cour commence son analyse par l’examen du statut des services postaux réservés. Elle rappelle que la directive 97/67/CE permet aux États membres de réserver certains services au prestataire du service universel « dans la mesure où cela est nécessaire au maintien de ce service ». De cette faculté découle une conséquence inéluctable sur le plan des marchés publics. La Cour constate que « pour autant que des services postaux sont, en conformité avec cette directive, réservés à un seul prestataire du service universel, de tels services sont nécessairement soustraits à la concurrence, aucun autre opérateur économique n’étant autorisé à offrir lesdits services ». Par conséquent, les règles communautaires en matière de passation de marchés publics, dont l’objectif est de garantir une concurrence non faussée, ne sauraient s’appliquer à des prestations pour lesquelles toute concurrence est légalement exclue. L’attribution directe de tels services à l’opérateur historique est donc jugée conforme au droit communautaire, car elle ne fait que traduire dans la relation contractuelle une situation de monopole préexistante et autorisée par le droit dérivé.

B. L’application rigoureuse des règles de marché public aux services non réservés

Pour les services non réservés, l’analyse de la Cour est radicalement différente. Elle examine si un accord tel que celui en cause doit respecter les règles de la directive 92/50/CEE relative aux marchés publics de services. La Cour précise que la qualification de l’acte en droit interne, en l’occurrence un « accord de collaboration », est sans pertinence, car « la définition d’un marché public de services relève du domaine du droit communautaire ». Elle identifie les éléments constitutifs du marché public : un contrat écrit, à titre onéreux, entre un pouvoir adjudicateur et un prestataire. La Cour laisse à la juridiction nationale le soin de vérifier deux points factuels essentiels : le respect du seuil financier d’application de la directive et la nature véritablement contractuelle de l’accord. Sur ce dernier point, elle précise que l’absence de liberté de refus de contracter pour le prestataire ne suffit pas à écarter la qualification de contrat, à moins que l’accord ne soit en réalité « un acte administratif unilatéral édictant des obligations à la seule charge de Correos, acte qui se départirait sensiblement des conditions normales de l’offre commerciale de cette société ». Si ces conditions sont remplies, la directive s’applique, imposant une procédure de mise en concurrence. Dans le cas contraire, la Cour précise que les principes fondamentaux du traité, notamment l’égalité de traitement, la non-discrimination et l’obligation de transparence qui en découle, s’appliquent de toute façon, interdisant en principe une attribution directe sans publicité adéquate.

II. Le rejet des justifications nationales à la soustraction des services non réservés à la concurrence

Le gouvernement espagnol avançait plusieurs arguments pour justifier l’attribution directe du contrat, qui sont tous écartés par la Cour. Celle-ci procède à une interprétation stricte de l’exception de quasi-régie, dite « in house » (A), et refuse par ailleurs de valider la création d’un droit exclusif au profit de l’opérateur historique pour les marchés publics de services postaux (B), réaffirmant ainsi la primauté des objectifs de libéralisation.

A. L’interprétation stricte de l’exception de quasi-régie (« in house »)

Pour échapper aux règles de passation des marchés publics, une attribution directe peut être justifiée si les conditions de la jurisprudence « Teckal » sont remplies. Cette exception, dite de quasi-régie ou « in house », suppose que le pouvoir adjudicateur exerce sur l’entité attributaire un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et que cette entité réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent. Sans même se prononcer sur la condition du contrôle analogue, la Cour écarte l’application de cette exception en se fondant sur le critère de l’activité. Elle constate qu' »il est constant que Correos, en tant que prestataire du service postal universel en Espagne, ne réalise pas l’essentiel de son activité avec le Ministerio ni avec l’administration publique en général, mais que cette société rend des services postaux à un nombre indéterminé de clients dudit service postal ». La Cour souligne que le critère de l’activité a pour finalité de garantir l’application des directives de marchés publics lorsqu’une entreprise contrôlée par une autorité publique est active sur le marché et donc en concurrence avec d’autres entreprises. L’opérateur postal, par sa nature même, est tourné vers le marché dans son ensemble, ce qui rend la condition de l’activité essentielle impossible à satisfaire dans ce contexte.

B. L’impossibilité d’étendre les droits exclusifs au-delà du périmètre du service universel

La Cour examine ensuite si une disposition nationale peut légalement créer un droit exclusif au profit de l’opérateur historique pour la fourniture de services postaux aux administrations publiques, ce qui permettrait d’écarter la directive 92/50 en vertu de son article 6. La Cour juge qu’une telle disposition serait incompatible avec le traité. Elle se fonde sur la finalité de la directive 97/67, qui est d’instaurer une « libéralisation progressive et contrôlée dans le secteur postal ». À ce titre, « les États membres n’ont pas la faculté d’élargir à leur gré les services réservés aux prestataires du service postal universel ». Cette interdiction vaut non seulement pour la réservation de types de services (« réservation horizontale »), mais également pour la réservation de catégories de clients (« réservation verticale »). Permettre à un État membre de réserver l’ensemble des marchés publics de services postaux à l’opérateur historique reviendrait à vider de sa substance le processus de libéralisation. Enfin, la Cour écarte l’application de l’article 86, paragraphe 2, du traité CE comme justification, car la directive 97/67 constitue déjà la mise en œuvre de cet article pour le secteur postal, en définissant elle-même l’équilibre entre les nécessités du service d’intérêt économique général et les impératifs de la concurrence.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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