Par un arrêt en date du 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conséquences juridiques découlant du défaut de transposition d’une directive par un État membre dans le délai qui lui était imparti.
En l’espèce, une directive relative à la coordination des procédures de passation des marchés dans des secteurs spécifiques avait été adoptée par les institutions de l’Union. Cet acte imposait aux États membres de prendre les dispositions nationales nécessaires à sa mise en œuvre avant l’expiration d’un délai déterminé. Constatant qu’un État membre n’avait pas procédé à cette transposition dans le temps prescrit, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement à son encontre. La phase précontentieuse n’ayant pas permis de régulariser la situation, la Commission a saisi la Cour de justice afin qu’elle constate officiellement l’infraction au droit de l’Union.
La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si l’absence d’adoption par un État membre des mesures de transposition d’une directive dans le délai fixé par celle-ci constitue un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu des traités.
À cette question, la Cour de justice a répondu par l’affirmative de manière explicite. Elle juge en effet que le simple fait pour l’État mis en cause de ne pas avoir « mis en vigueur, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive », suffisait à caractériser une violation de ses obligations. Par conséquent, la Cour a condamné l’État membre pour manquement.
Cette décision, bien que classique dans sa solution, rappelle avec fermeté la nature des obligations pesant sur les États membres s’agissant de la transposition des directives (I), tout en soulignant la portée d’une telle constatation de manquement dans l’ordre juridique de l’Union (II).
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I. La consécration du manquement étatique au devoir de transposition
Le jugement de la Cour de justice repose sur une application rigoureuse des règles relatives aux actes de droit dérivé, en rappelant d’abord le caractère impératif de l’obligation de transposition (A), pour ensuite procéder à une constatation objective du manquement (B).
A. Le caractère impératif de l’obligation de transposition
Conformément à l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique une exigence de transposition effective et complète, dont le respect dans le délai imparti constitue une condition essentielle. Le délai n’est pas une simple indication, mais un élément juridique contraignant qui vise à garantir une application simultanée et homogène du droit de l’Union sur tout son territoire.
Cette exigence découle également du principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne, qui impose aux États membres de prendre toutes les mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou des actes des institutions. Le défaut de transposition dans les temps constitue une rupture de cette confiance mutuelle sur laquelle repose l’ensemble de l’édifice juridique de l’Union. La décision commentée réaffirme ainsi que la transposition est un devoir fondamental et non une simple faculté laissée à la discrétion des États.
B. La constatation objective du manquement par le juge de l’Union
Dans le cadre d’un recours en manquement, la Cour de justice opère un contrôle objectif. Elle se limite à vérifier si, à la date d’expiration du délai de transposition, l’État membre a formellement adopté l’ensemble des mesures nationales requises pour assurer la pleine application de la directive. Le raisonnement de la Cour est factuel et ne laisse aucune place à l’appréciation des raisons qui pourraient justifier le retard. Des difficultés d’ordre interne, qu’elles soient politiques, administratives ou techniques, sont inopérantes pour exonérer un État de sa responsabilité.
La Cour énonce ainsi que le manquement est caractérisé dès lors que l’État n’a pas « mis en vigueur, dans le délai prescrit, les dispositions » adéquates. La seule carence suffit, indépendamment de toute intention ou de toute conséquence dommageable. Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’égalité des États membres devant leurs obligations. L’arrêt illustre parfaitement cette mécanique contentieuse où la Cour, une fois la preuve du défaut de transposition rapportée par la Commission, n’a d’autre choix que de constater le manquement.
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II. La portée de l’arrêt et les garanties d’effectivité du droit de l’Union
La déclaration de manquement par la Cour de justice n’est pas une simple sanction symbolique ; elle emporte des conséquences précises pour l’État défaillant (A) et réaffirme plus largement les principes structurants de l’ordre juridique de l’Union (B).
A. Les conséquences directes de l’arrêt pour l’État membre défaillant
Le jugement rendu par la Cour de justice a un caractère déclaratoire : il constate officiellement l’existence d’une violation du droit de l’Union. En vertu de l’article 260, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’État membre dont le manquement a été reconnu est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt dans les plus brefs délais. Sa première obligation est donc de mettre fin à l’infraction en adoptant sans plus tarder la législation de transposition qui fait défaut.
Si cet État ne se conforme pas à l’arrêt, la Commission peut introduire un nouveau recours en manquement, cette fois sur le fondement de l’article 260, paragraphe 2. Cette seconde procédure peut aboutir à la condamnation de l’État au paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte. Ce mécanisme coercitif constitue une garantie essentielle de l’autorité des arrêts de la Cour et de l’effectivité du droit de l’Union, en incitant financièrement les États récalcitrants à respecter leurs engagements.
B. La réaffirmation des principes fondamentaux de l’ordre juridique de l’Union
Au-delà du cas d’espèce, cette décision, à l’instar de tous les arrêts en manquement pour défaut de transposition, revêt une portée systémique. Elle est une manifestation du principe de primauté du droit de l’Union, qui impose aux États de faire prévaloir les normes européennes sur leur droit national. En sanctionnant la passivité d’un État, la Cour veille à ce que le droit de l’Union ne reste pas lettre morte et produise ses effets de manière uniforme dans tous les États membres.
De plus, une telle décision protège indirectement les droits que les directives ont vocation à conférer aux particuliers. En l’occurrence, la directive sur les marchés publics vise à garantir une concurrence non faussée et un accès équitable des opérateurs économiques aux contrats publics. Le retard dans sa transposition prive ces acteurs des droits et des garanties qu’elle institue. Le contrôle exercé par la Cour assure ainsi que la construction d’un marché intérieur et la réalisation des objectifs des politiques de l’Union ne soient pas entravées par la négligence des États.