La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le 18 décembre 2014 une décision fondamentale concernant les conditions d’octroi de la protection subsidiaire. Cette affaire traite de l’articulation entre le droit au séjour pour des raisons médicales graves et le régime de protection internationale défini par la directive 2004/83/CE.
Un ressortissant d’un pays tiers, résidant sur le territoire d’un État membre, souffrait de séquelles importantes consécutives à une agression subie dans son pays d’accueil. Il avait obtenu une autorisation de séjour pour raisons médicales, car son état de santé nécessitait des soins indisponibles dans son pays d’origine. L’intéressé a sollicité le bénéfice d’allocations de remplacement de revenus et d’intégration, prévues par la législation nationale pour les personnes handicapées. Le Service public fédéral de la sécurité sociale a rejeté cette demande au motif que le requérant ne possédait pas la nationalité requise.
Saisie d’un recours, le Tribunal du travail de Liège a interrogé la Cour constitutionnelle de Belgique par un jugement du 8 novembre 2012. La juridiction de renvoi a alors adressé une question préjudicielle à la Cour de justice pour déterminer si le statut de protection subsidiaire s’étendait à une telle situation. Elle cherchait à savoir si les articles 28 et 29 de la directive imposaient d’accorder la protection sociale et les soins de santé à ce demandeur. Le problème juridique posé réside dans l’interprétation de la notion d’atteinte grave, notamment lorsqu’elle résulte d’une maladie et de l’absence de traitement adéquat.
La Cour de justice décide qu’un État membre n’est pas tenu de faire bénéficier de la protection sociale ces ressortissants autorisés à séjourner pour raisons médicales. Elle souligne que les risques de détérioration de la santé ne constituent pas des atteintes graves s’ils ne résultent pas d’une privation de soins intentionnelle. L’analyse portera d’abord sur l’interprétation restrictive des critères de la protection subsidiaire, avant d’envisager la limitation des droits sociaux qui en découle nécessairement.
I. L’interprétation stricte des critères de la protection subsidiaire
A. L’exigence d’un traitement infligé par un acteur
La Cour rappelle que l’octroi de la protection subsidiaire suppose l’existence de motifs sérieux de croire que le demandeur courrait un risque réel de subir des atteintes graves. L’article 15, sous b), de la directive définit ces atteintes comme « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ». Cette formulation implique que les souffrances doivent être causées par le comportement délibéré d’un tiers, qu’il soit étatique ou non.
Le juge européen précise que les atteintes graves doivent être constituées par le comportement d’un acteur, conformément à la liste établie à l’article 6 de la directive. Une maladie grave, dont l’aggravation résulterait de l’inexistence de traitements adéquats, ne saurait être qualifiée d’atteinte grave au sens du droit de l’Union. Le risque de détérioration de la santé ne provient pas d’une volonté de nuire, mais des insuffisances générales du système de santé du pays d’origine.
B. L’exclusion des motifs humanitaires du cadre européen
Les États membres conservent la possibilité d’adopter des normes plus favorables pour l’octroi de la protection internationale, selon l’article 3 de la directive précitée. Toutefois, la Cour limite cette faculté en exigeant que ces normes nationales restent compatibles avec l’économie générale et les objectifs du texte européen. L’octroi du statut de protection subsidiaire pour des raisons médicales serait contraire à la logique de protection internationale poursuivie par le législateur de l’Union.
Le considérant 9 de la directive écarte explicitement les personnes autorisées à séjourner pour des raisons humanitaires ou par bienveillance du champ d’application de ce régime. La Cour considère que le statut conféré par la législation nationale pour raisons médicales relève d’une protection nationale distincte de la protection subsidiaire européenne. Cette distinction fondamentale entre les régimes de protection empêche l’assimilation automatique des bénéficiaires de titres de séjour humanitaires aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.
II. La restriction du bénéfice des prestations sociales et de santé
A. Le lien indissociable entre statut et droits sociaux
Les articles 28 et 29 de la directive prévoient l’accès à l’assistance sociale et aux soins de santé uniquement pour les bénéficiaires des statuts qu’elle harmonise. Puisque le requérant ne remplit pas les conditions de la protection subsidiaire, il ne peut revendiquer le bénéfice de ces dispositions de droit dérivé. La Cour affirme que les États membres ne sont pas tenus d’accorder ces prestations spécifiques aux étrangers séjournant sous un régime purement national.
Cette solution préserve la cohérence du système européen en liant strictement le contenu de la protection aux critères d’éligibilité définis aux chapitres précédents de la directive. L’accès aux allocations pour personnes handicapées reste ainsi conditionné à la reconnaissance officielle du statut de réfugié ou de bénéficiaire de la protection subsidiaire. Le droit de l’Union n’impose pas d’égalité de traitement en matière sociale pour les ressortissants protégés au titre d’une législation humanitaire nationale.
B. La préservation de la marge de manœuvre nationale
La Cour reconnaît que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme peut, dans des cas exceptionnels, interdire l’éloignement d’un étranger gravement malade. Néanmoins, cette obligation de non-éloignement n’entraîne pas l’obligation d’octroyer le statut de protection subsidiaire avec tous les droits sociaux et financiers y afférents. Les considérations humanitaires militant contre l’éloignement ne suffisent pas à transformer un titre de séjour médical en un statut de protection internationale harmonisé.
En définitive, le droit de l’Union laisse aux États membres le soin de déterminer les prestations sociales accordées aux étrangers autorisés à séjourner pour raisons médicales. La décision du 18 décembre 2014 confirme que la protection subsidiaire est un outil de protection contre des persécutions et non un mécanisme de solidarité sanitaire. Les États demeurent souverains pour organiser leur aide sociale tant qu’ils respectent les droits fondamentaux garantis par les conventions internationales et leur constitution.