L’arrêt commenté, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, tranche une question relative à l’application par un État membre d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à des biens spécifiques. En l’espèce, la législation nationale d’un État membre prévoyait un taux de TVA de 8 % pour les livraisons de biens destinés à la lutte contre les incendies, alors que le taux normal s’établissait à 23 %. L’organe exécutif de l’Union, estimant cette pratique contraire aux dispositions de la directive 2006/112/CE, a initié une procédure précontentieuse. Après une lettre de mise en demeure en date du 17 février 2011 et un avis motivé du 22 février 2013, restés sans suite satisfaisante de la part de l’État membre concerné, l’organe exécutif a saisi la Cour d’un recours en manquement. Devant les juges, il soutenait que le droit de l’Union, et plus précisément les articles 96 à 98 de la directive précitée, s’opposait à l’application d’un taux réduit de TVA à des biens ne figurant pas dans la liste exhaustive de l’annexe III de cette même directive. L’État membre ne contestait pas l’absence des biens de lutte contre les incendies de ladite annexe. Toutefois, il justifiait sa pratique par des circonstances exceptionnelles, tenant à l’importance de la mission de protection contre les incendies et aux difficultés budgétaires qu’entraînerait une hausse du taux de TVA applicable. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si un État membre pouvait, au nom de la protection d’un intérêt général fondamental et pour des motifs budgétaires, maintenir un taux réduit de TVA pour des biens non expressément visés par les dérogations prévues par le droit de l’Union. La Cour de justice répond par la négative, en déclarant que l’État membre a manqué aux obligations qui lui incombent. Elle rappelle que la liste des biens et services éligibles à un taux réduit est d’interprétation stricte et que des considérations d’ordre sociopolitique sont inopérantes pour justifier une violation du droit de l’Union. L’analyse de cette décision conduit à examiner la censure inévitable d’une dérogation non autorisée au système commun de TVA (I), avant d’apprécier la portée de cette solution qui réaffirme la primauté du droit de l’Union en matière fiscale (II).
I. La censure d’une violation caractérisée du principe de neutralité fiscale
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une application rigoureuse des textes régissant le système commun de TVA. Elle se fonde sur le caractère limitatif des dérogations au taux normal (A) et rejette fermement les justifications d’ordre politique et budgétaire avancées par l’État membre (B).
A. L’interprétation stricte des dérogations au taux normal de TVA
La Cour rappelle avec constance la structure du système commun de TVA, qui repose sur l’application d’un taux normal à toutes les livraisons de biens et prestations de services. L’article 98 de la directive 2006/112/CE permet certes aux États membres d’appliquer un ou deux taux réduits, mais cette faculté est strictement encadrée. Comme le souligne la Cour, « les taux réduits de TVA ne peuvent être appliqués qu’aux seules livraisons de biens et aux prestations de services inclus dans les catégories figurant à l’annexe III de la directive 2006/112 ». Cette annexe constitue donc une liste exhaustive et non une simple illustration des catégories éligibles.
En l’espèce, il était constant entre les parties que les biens destinés à la lutte contre les incendies ne relevaient d’aucune des catégories mentionnées à l’annexe III. Dès lors, la conclusion de la Cour apparaît juridiquement implacable. Toute dérogation au principe du taux normal constitue une exception et doit, à ce titre, faire l’objet d’une interprétation stricte. Permettre à un État membre d’étendre le champ des taux réduits au-delà des cas prévus par la directive reviendrait à vider de sa substance l’objectif d’harmonisation fiscale poursuivi par le législateur de l’Union. La décision s’inscrit ainsi dans une jurisprudence bien établie qui vise à préserver l’intégrité et la cohérence du marché intérieur en évitant les distorsions de concurrence que pourrait engendrer une application hétérogène de la TVA.
B. Le rejet des justifications fondées sur des considérations sociopolitiques
Face au manquement objectivement constaté, l’État membre défendeur avançait une argumentation fondée sur l’importance de la mission de service public de lutte contre l’incendie et sur les conséquences financières préjudiciables d’une augmentation du taux de TVA. La Cour écarte cet argument de manière péremptoire, en affirmant que de tels motifs ne sauraient justifier une infraction aux règles de l’Union. Elle juge en effet que « des arguments de nature sociopolitique ne sauraient justifier qu’un État membre enfreigne les dispositions de l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 ».
Cette position, bien que sévère en apparence, est fondamentale pour la préservation de l’ordre juridique de l’Union. Admettre une telle justification créerait une brèche dangereuse, ouvrant la voie à d’innombrables dérogations fondées sur les spécificités et les priorités politiques de chaque État membre. La Cour ne nie pas la légitimité de l’objectif poursuivi par l’État, mais elle rappelle que le respect du droit de l’Union constitue une obligation primordiale qui ne saurait céder devant des considérations d’opportunité politique ou budgétaire internes. La protection des missions étatiques fondamentales doit être assurée par des moyens compatibles avec le droit de l’Union, par exemple par une augmentation des dotations budgétaires directes, financées par les recettes fiscales globales de l’État.
La décision confirme ainsi avec force que la procédure en manquement repose sur la constatation objective du non-respect par un État membre de ses obligations, indépendamment des intentions ou des difficultés qui ont pu conduire à ce manquement.
II. La réaffirmation de la primauté du droit de l’Union en matière d’harmonisation fiscale
Au-delà de la stricte question technique de la TVA, cet arrêt revêt une portée significative en ce qu’il réaffirme la supériorité des normes de l’Union sur les considérations de droit interne (A) et conforte la logique du système commun de TVA, pilier de l’harmonisation du marché intérieur (B).
A. L’inefficacité des arguments tirés de l’ordre juridique interne
La Cour rappelle une jurisprudence constante selon laquelle un État membre ne saurait se prévaloir de dispositions, de pratiques ou de situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union. En l’espèce, l’argumentation de l’État mis en cause, tirée de la nature fondamentale de la mission de lutte contre les incendies et des contraintes de son budget national, relève précisément de cette catégorie d’arguments inopérants.
Le mécanisme du recours en manquement prévu à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) a pour seule finalité de faire constater objectivement une défaillance d’un État membre. Il ne s’agit pas d’un procès en responsabilité où les motifs ou les difficultés de l’État pourraient être pris en compte pour atténuer sa faute. En matière d’harmonisation fiscale, cette rigueur est indispensable. L’efficacité du système commun de TVA repose sur la confiance mutuelle entre les États membres et sur l’assurance que tous appliquent les mêmes règles de base, garantissant ainsi une concurrence non faussée. Permettre à un État d’invoquer ses propres contraintes internes pour s’affranchir de la règle commune reviendrait à nier le principe même de primauté du droit de l’Union, qui est la clé de voûte de la construction européenne.
B. La préservation de la logique du système commun de TVA
La décision commentée illustre parfaitement l’importance de l’harmonisation de la TVA pour le bon fonctionnement du marché intérieur. L’objectif de la directive 2006/112 est d’assurer que la taxe pèse de manière neutre sur tous les biens et services, quelle que soit leur origine au sein de l’Union. L’application d’un taux réduit non autorisé par un État membre constitue une forme d’aide indirecte qui, bien que motivée par un intérêt général louable, fausse les conditions de concurrence. Elle avantage les fournisseurs des biens concernés sur le territoire de cet État par rapport à ceux établis dans d’autres États membres où le taux normal s’applique.
En refusant de valider la dérogation polonaise, la Cour ne fait pas preuve d’un formalisme excessif. Elle préserve la cohérence d’un système conçu pour éliminer les entraves fiscales aux échanges intracommunautaires. Si chaque État pouvait définir unilatéralement les secteurs qu’il juge prioritaires et leur appliquer un taux réduit, le système commun de TVA serait rapidement vidé de sa substance, laissant place à une mosaïque de régimes fiscaux nationaux incompatibles avec les objectifs du marché unique. La solution, en apparence technique et rigide, est donc au service d’une ambition politique et économique plus vaste : celle d’un espace économique intégré et unifié.