La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 18 janvier 2017, une décision fondamentale concernant l’imputation des pratiques anticoncurrentielles au sein d’un groupe d’entreprises. Ce litige s’inscrit dans le cadre d’une entente mondiale sur le marché des tubes cathodiques, impliquant des accords sur les prix et la répartition des marchés. Une société mère contestait sa responsabilité solidaire pour les infractions commises par une entreprise commune qu’elle détenait avec un autre partenaire industriel.
Les faits révèlent que la requérante avait transféré ses activités de production à une filiale commune, dont elle conservait une part minoritaire du capital. L’institution européenne a néanmoins considéré que les deux sociétés mères exerçaient une influence déterminante sur cette entité, justifiant ainsi l’infliction d’amendes solidaires. La requérante a d’abord saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation contre la décision de sanction, lequel fut partiellement rejeté le 9 septembre 2015. Elle a ensuite formé un pourvoi devant la Cour de justice, invoquant une application erronée de la notion d’unité économique.
Le problème juridique posé à la haute juridiction porte sur les conditions de caractérisation d’une influence déterminante exercée par une société mère sur sa filiale commune. Il s’agit de déterminer si la détention de droits de veto stratégiques et l’existence de liens organisationnels suffisent à établir l’existence d’une unité économique. La Cour de justice confirme la solution du Tribunal en validant l’usage d’un faisceau d’indices concordants pour imputer la responsabilité de l’infraction à la société mère.
I. La caractérisation de l’influence déterminante par les prérogatives structurelles
A. La portée probatoire des droits de veto sur la stratégie commerciale
La Cour de justice souligne que l’exercice d’une influence déterminante peut être déduit de la capacité d’une société mère à peser sur les décisions stratégiques. Elle valide le constat selon lequel « la détention d’un droit de veto sur le plan de développement de l’entreprise commune » constitue un élément probant. Ce droit de regard permet d’écarter l’autonomie de la filiale, puisque les choix opérationnels essentiels dépendent alors de l’accord des sociétés mères.
L’arrêt précise que le titulaire d’un tel pouvoir de blocage doit être consulté avant toute adoption de mesures qu’il pourrait potentiellement paralyser. Dès lors, le simple fait qu’un droit de veto n’ait pas été effectivement utilisé n’exclut pas l’exercice d’une influence déterminante. La juridiction estime que ces mécanismes contractuels assurent une convergence nécessaire entre la politique de la filiale et les intérêts des sociétés mères.
B. La consolidation du contrôle par l’existence de liens organisationnels étroits
L’influence déterminante ne repose pas uniquement sur des clauses contractuelles mais s’apprécie au regard de la réalité des relations économiques et juridiques. La Cour relève l’importance du cumul de fonctions par les dirigeants, notamment lorsqu’un administrateur occupe simultanément un poste de direction chez la mère. Ces liens personnels garantissent une connaissance approfondie des objectifs commerciaux de la société holding au sein de la gestion de la filiale.
Par ailleurs, l’existence de relations de fournisseur préférentiel entre les entités renforce la présomption d’une unité économique cohérente sur le marché concerné. La Cour juge que « l’exercice d’un contrôle conjoint par deux sociétés mères indépendantes ne s’oppose pas à la constatation d’une unité économique ». Ce faisceau d’indices permet d’établir que la filiale ne déterminait pas son comportement de manière autonome, justifiant ainsi l’imputation de la responsabilité.
II. La rigueur probatoire de l’unité économique face au contrôle juridictionnel
A. La validation de la méthode du faisceau d’indices concordants
La juridiction confirme que l’exercice effectif d’une influence peut être démontré par un ensemble d’éléments, même si chacun, pris isolément, s’avère insuffisant. Cette approche pragmatique permet de saisir la complexité des relations au sein des groupes industriels modernes sans se limiter à une analyse purement formelle. La Cour rejette l’idée qu’une preuve de l’ingérence dans la gestion opérationnelle quotidienne soit strictement requise pour établir l’unité.
Le juge communautaire valide l’idée que « les dispositions légales ou les stipulations contractuelles relatives à la gestion » peuvent faire présumer l’absence d’autonomie. Cette règle de preuve oblige alors la partie requérante à fournir des explications concrètes pour renverser les constatations faites par l’autorité de concurrence. La cohérence du raisonnement suivi par le Tribunal est ainsi préservée, garantissant une application efficace des règles de protection du marché.
B. Les limites du contrôle de la Cour de justice sur l’appréciation des faits
L’arrêt rappelle fermement que le pourvoi est limité aux questions de droit, excluant tout réexamen souverain des éléments de preuve régulièrement obtenus. La Cour précise qu’elle n’est pas compétente pour substituer sa propre appréciation des faits à celle du Tribunal, sauf cas de dénaturation manifeste. Une dénaturation ne peut être retenue que si l’analyse du juge de première instance apparaît manifestement contraire au contenu des pièces.
En l’espèce, les arguments relatifs à la durée limitée de certaines pratiques ou aux motifs financiers des décisions n’ont pas convaincu la haute instance. La Cour conclut que le Tribunal a correctement appliqué les critères juridiques relatifs à la responsabilité des sociétés mères dans les ententes. Le rejet du pourvoi consacre ainsi une vision large et réaliste de la notion d’entreprise en droit de l’Union européenne.