Par un arrêt rendu en grande chambre, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions dans lesquelles un État membre peut révoquer une assurance d’octroi de nationalité, lorsque cette révocation a pour conséquence de priver définitivement une personne de son statut de citoyen de l’Union.
En l’espèce, une ressortissante d’un État membre, résidant légalement en Autriche, a sollicité l’octroi de la nationalité autrichienne. Les autorités autrichiennes lui ont délivré une assurance d’octroi de nationalité, conditionnée à la preuve, dans un délai de deux ans, de la dissolution de son lien de nationalité avec son État d’origine. L’intéressée a accompli les démarches nécessaires et, sur sa demande, a été déchue de sa nationalité d’origine, devenant ainsi apatride. Par la suite, les autorités autrichiennes ont révoqué ladite assurance et rejeté sa demande de naturalisation au motif qu’elle avait commis, après l’obtention de l’assurance, deux infractions administratives graves au code de la route, ainsi que d’autres infractions mineures avant celle-ci. Saisi d’un recours, le Verwaltungsgericht Wien (tribunal administratif de Vienne) a confirmé la décision de révocation. Un pourvoi a été formé devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice.
Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si la situation d’une personne, devenue apatride après avoir renoncé à sa seule nationalité d’un État membre sur la base d’une promesse de naturalisation, relève du droit de l’Union lorsque cette promesse est ensuite révoquée, empêchant l’intéressée de recouvrer le statut de citoyen de l’Union. En cas de réponse affirmative, il s’agissait de savoir si les autorités nationales sont tenues de procéder à un examen de proportionnalité de leur décision de révocation au regard de ses conséquences sur la situation de la personne.
La Cour de justice répond que la situation d’une telle personne relève, par sa nature et ses conséquences, du droit de l’Union. Elle juge ensuite que les autorités nationales doivent vérifier la compatibilité de la décision de révocation avec le principe de proportionnalité, au regard des conséquences qu’elle emporte. La Cour précise que cette exigence n’est pas satisfaite lorsque la décision est motivée par des infractions administratives au code de la route n’ayant entraîné que des sanctions pécuniaires. Cette décision clarifie ainsi l’étendue de la protection conférée par le statut de citoyen de l’Union (I), tout en soumettant la décision de révocation à un contrôle de proportionnalité rigoureux (II).
I. L’extension du champ d’application du droit de l’Union à la perte conditionnelle de la citoyenneté
La Cour de justice rattache au droit de l’Union une situation où l’individu n’est plus, au moment de la décision litigieuse, un citoyen de l’Union. Pour ce faire, elle requalifie la nature de la renonciation à la nationalité d’origine (A) avant de confirmer la compétence de l’Union en raison de l’atteinte portée au statut fondamental de citoyen (B).
A. La requalification de la renonciation à la nationalité d’origine
La juridiction de renvoi et le gouvernement autrichien soutenaient que le droit de l’Union n’était pas applicable, car la perte de la citoyenneté de l’Union résultait d’un acte volontaire de l’intéressée, antérieur à la décision de révocation. La Cour écarte cette analyse en considérant la démarche dans son ensemble. Elle estime que la renonciation à la nationalité estonienne n’était pas une fin en soi, mais une simple condition procédurale pour acquérir la nationalité autrichienne et, par conséquent, pour maintenir le bénéfice du statut de citoyen de l’Union. La Cour affirme qu’« il ne saurait être considéré qu’une personne telle que [l’intéressée] a volontairement renoncé au statut de citoyen de l’Union ». Au contraire, sa démarche visait à se conformer aux exigences de l’État membre d’accueil pour parachever son intégration.
Cette approche finaliste permet à la Cour de ne pas s’arrêter à la situation juridique instantanée de la personne, devenue apatride, mais de prendre en compte la cause et l’objectif de cette situation. La renonciation à la nationalité et la demande de naturalisation sont analysées comme les deux faces d’un même processus visant à modifier le support national de la citoyenneté de l’Union, sans pour autant viser à y mettre un terme. Ainsi, la perte du statut de citoyen n’est qu’une étape transitoire et conditionnelle, dont le caractère définitif dépend de la décision de l’État d’accueil.
B. L’affirmation de la compétence de l’Union en raison des conséquences sur le statut de citoyen
Fondant son raisonnement sur le caractère fondamental du statut de citoyen de l’Union, la Cour juge qu’une procédure nationale est susceptible de relever du droit de l’Union dès lors qu’elle affecte ce statut. Elle énonce qu’« une telle procédure, prise dans son ensemble, même si elle fait intervenir une décision administrative d’un État membre autre que celui dont la nationalité est demandée, affecte le statut conféré par l’article 20 TFUE ». Peu importe que la personne ait déjà perdu la nationalité d’un État membre au moment de la décision litigieuse ; ce qui compte, c’est que la procédure dans sa globalité est susceptible de la priver des droits attachés à ce statut qu’elle détenait au début de ses démarches.
La Cour renforce son analyse en s’appuyant sur le droit de libre circulation. L’intéressée avait exercé le droit que lui confère l’article 21 TFUE en s’installant en Autriche. La Cour rappelle que ce droit vise à favoriser l’intégration progressive dans la société de l’État membre d’accueil. La naturalisation apparaît alors comme une forme d’« insertion plus poussée », une suite logique de l’exercice de la libre circulation. Priver une personne de la possibilité de mener à bien cette intégration, en la laissant apatride et dénuée de ses droits de citoyen de l’Union, constitue une entrave qui justifie l’application du droit de l’Union. En rattachant la situation au droit de l’Union, la Cour se donne les moyens d’exercer un contrôle sur la décision nationale, lequel prend la forme d’une exigence de proportionnalité.
II. Le contrôle de proportionnalité, garantie contre la perte définitive des droits de citoyen
Une fois la compétence de l’Union établie, la Cour impose aux autorités nationales un contrôle de la décision de révocation. Cet encadrement strict de la révocation de l’assurance de naturalisation (A) se traduit par une appréciation concrète de la proportionnalité, qui exclut de prendre en compte des infractions mineures (B).
A. L’encadrement de la révocation de l’assurance de naturalisation
La Cour rappelle que si la compétence en matière de nationalité appartient aux États membres, ceux-ci doivent l’exercer dans le respect du droit de l’Union. Lorsqu’une décision nationale conduit à la perte du statut de citoyen de l’Union, elle doit être justifiée par un motif légitime et respecter le principe de proportionnalité. La Cour juge qu’« il appartient aux autorités nationales compétentes et aux juridictions nationales de vérifier si la décision de révoquer l’assurance portant sur l’octroi de la nationalité […] respecte le principe de proportionnalité en ce qui concerne les conséquences qu’elle comporte sur la situation de la personne concernée ».
Cet examen doit mettre en balance, d’une part, les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’État membre, tels que la prévention de la double nationalité ou la protection de l’ordre et de la sécurité publics, et, d’autre part, les conséquences de la décision pour l’individu et sa famille. Ces conséquences ne doivent pas être « hypothétiques ou éventuelles ». Parmi les éléments à prendre en compte, la Cour cite la gravité de l’infraction commise et la possibilité pour la personne de recouvrer sa nationalité d’origine. Cette dernière obligation pèse également sur l’État d’origine, qui ne devrait pas finaliser la déchéance de nationalité avant que la nouvelle ne soit acquise.
B. Une appréciation concrète de la proportionnalité excluant les infractions mineures
La Cour ne se contente pas d’énoncer le principe du contrôle de proportionnalité, mais procède elle-même à une application au cas d’espèce, guidant ainsi la juridiction de renvoi de manière très directive. Elle examine la nature des infractions reprochées à l’intéressée. S’agissant des huit infractions antérieures à l’assurance de naturalisation, la Cour estime qu’elles « ne sauraient plus être prises en compte » car elles étaient connues et n’avaient pas fait obstacle à l’octroi de ladite assurance. Pour les deux infractions postérieures, relatives au code de la route, la Cour en minimise la portée.
Elle juge que « des infractions au code de la route, punissables par de simples amendes administratives, ne sauraient être considérées comme susceptibles de démontrer que la personne responsable de ces infractions constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics pouvant justifier que soit rendue définitive la perte de son statut de citoyen de l’Union ». En interprétant strictement les notions d’ordre public et de sécurité publique, la Cour fixe un seuil de gravité élevé. Des amendes de 112 et 300 euros, sans retrait de permis de conduire, ne sauraient justifier une conséquence aussi grave que l’apatridie et la perte définitive des droits fondamentaux liés à la citoyenneté de l’Union. En conclusion de son analyse, la Cour affirme que la décision de révocation « n’apparaît pas proportionnée à la gravité des infractions commises ». Cette solution protectrice renforce considérablement la sécurité juridique des citoyens européens engagés dans un processus de naturalisation au sein d’un autre État membre.