Par un arrêt du 18 juillet 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en grande chambre, a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut restreindre la libre circulation des citoyens de l’Union pour préserver l’intégrité de son régime d’allocations de chômage. En l’espèce, un ressortissant belge, bénéficiaire d’allocations de chômage et dispensé, en raison de son âge, de l’obligation d’être disponible sur le marché de l’emploi, avait transféré sa résidence en France tout en maintenant une adresse en Belgique. L’office national de l’emploi, après avoir découvert cette situation, a mis fin au versement des allocations et a exigé le remboursement des sommes indûment perçues, au motif que l’intéressé ne respectait plus la condition de résidence effective sur le territoire national.
Saisi du litige, le tribunal du travail de Bruxelles a adressé à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’obligation de résidence imposée par la législation nationale, justifiée par la nécessité de contrôler la situation des chômeurs, constituait une entrave disproportionnée à la liberté de circulation et de séjour garantie par les articles 17 et 18 du traité CE (devenus articles 20 et 21 TFUE). En substance, la juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur l’équilibre à trouver entre une liberté fondamentale du citoyen européen et les prérogatives de contrôle d’un État membre en matière de sécurité sociale.
La Cour de justice a répondu que la liberté de circulation ne s’opposait pas à une telle clause de résidence. Elle a estimé que, bien que constituant une restriction à cette liberté, la mesure était justifiée par un objectif d’intérêt général et proportionnée à celui-ci. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a d’abord qualifié la nature de la prestation en cause avant d’examiner la compatibilité de la restriction avec le droit de l’Union, consacrant ainsi une solution qui, tout en reconnaissant le droit des citoyens, préserve les mécanismes de contrôle nationaux.
L’analyse de la Cour s’est articulée en deux temps. Il lui a d’abord fallu définir le cadre juridique applicable en qualifiant la prestation litigieuse, pour ensuite se prononcer sur la compatibilité de la condition de résidence avec les libertés fondamentales.
I. La qualification de la prestation comme préalable à l’examen de la restriction
La Cour a d’abord dû déterminer si l’allocation perçue par le requérant relevait bien du champ d’application du règlement n° 1408/71 relatif à la sécurité sociale. Cette étape était décisive, car elle conditionnait l’analyse de la clause de résidence au regard du droit de l’Union. Elle a ainsi affirmé la nature de la prestation en tant qu’allocation de chômage (A), avant d’examiner la restriction à la libre circulation qui en découlait (B).
A. L’assimilation de la prestation à une allocation de chômage
La Cour a rappelé qu’une prestation relève de la sécurité sociale si elle est « octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie » et si elle couvre l’un des risques énumérés par le règlement n° 1408/71. En l’espèce, la prestation était versée selon des critères objectifs, sans marge d’appréciation des autorités nationales quant à l’opportunité de son octroi. Son objectif était de subvenir aux besoins d’un travailleur ayant perdu involontairement son emploi, ce qui correspondait manifestement au risque de chômage.
Le fait que le bénéficiaire soit dispensé, en raison de son âge, de l’obligation d’être disponible sur le marché du travail n’a pas été jugé déterminant. La Cour a souligné que cette dispense n’altérait pas la nature fondamentale de l’allocation, dont le but restait de compenser une perte de revenu liée à l’absence d’emploi. Ainsi, la prestation ne pouvait être assimilée ni à une prestation de préretraite, ni à une prestation sui generis, mais bien à une allocation de chômage classique. Cette qualification emportait une conséquence majeure : les allocations de chômage, contrairement aux prestations de vieillesse, ne sont généralement pas exportables en vertu de l’article 10 du règlement, sauf dans les cas limitativement énumérés.
B. La reconnaissance d’une restriction à la liberté de circulation
Une fois la nature de la prestation établie, la Cour a examiné la compatibilité de la condition de résidence avec l’article 18 du traité CE. Elle a constaté sans détour qu’une réglementation nationale « qui désavantage certains ressortissants nationaux du seul fait qu’ils ont exercé leur liberté de circuler et de séjourner dans un autre État membre, constitue une restriction aux libertés reconnues par l’article 18 CE à tout citoyen de l’Union ». En subordonnant le maintien de l’allocation à la résidence sur le territoire national, la législation belge pénalisait les citoyens qui, comme le requérant au principal, faisaient usage de leur droit de s’établir dans un autre État membre.
Cependant, une telle restriction peut être admise si elle poursuit un objectif légitime d’intérêt général et si elle est proportionnée à cet objectif. L’État membre concerné justifiait la clause de résidence par la nécessité de pouvoir contrôler la situation personnelle, familiale et professionnelle du bénéficiaire afin de vérifier qu’il remplissait toujours les conditions d’octroi. La Cour a admis que ce besoin de contrôle constitue une raison objective d’intérêt général. La question centrale devenait alors celle de la proportionnalité de la mesure, à savoir si une exigence aussi contraignante que la résidence permanente était indispensable pour atteindre cet objectif.
II. La justification de l’entrave par la nécessité du contrôle étatique
L’apport principal de l’arrêt réside dans l’appréciation de la proportionnalité de la mesure restrictive. La Cour a validé la clause de résidence en la jugeant nécessaire à l’efficacité des contrôles (A), consacrant ainsi la prééminence des impératifs de gestion nationaux sur l’exercice plein et entier du droit de séjour du citoyen inactif (B).
A. L’exigence de proportionnalité satisfaite par l’efficacité du contrôle
Pour évaluer la proportionnalité de la clause de résidence, la Cour a examiné si des mesures moins contraignantes auraient permis d’atteindre le même objectif de contrôle. Le requérant au principal suggérait que la production de documents ou d’attestations aurait pu suffire. Toutefois, la Cour a rejeté cette argumentation en soulignant la spécificité des contrôles en matière de chômage. Selon elle, l’efficacité de ces vérifications repose sur leur « caractère inopiné » et la possibilité de les effectuer sur place.
La Cour a estimé que des mesures alternatives « priveraient le contrôle de son caractère inopiné et le rendraient par conséquent moins efficace ». Les services nationaux doivent pouvoir vérifier la situation réelle du bénéficiaire, notamment sa situation familiale ou l’absence de revenus non déclarés, ce que de simples déclarations sur l’honneur ou des documents produits à distance ne permettent pas avec la même certitude. Par conséquent, l’obligation de résider sur le territoire national a été jugée comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir l’intégrité du système de prestations. Cette approche pragmatique confère une marge d’appréciation importante aux États membres dans l’organisation de leurs systèmes de sécurité sociale.
B. La primauté du contrôle national sur le droit au séjour du citoyen
En validant la clause de résidence, la Cour de justice établit une hiérarchie claire entre les droits du citoyen de l’Union et les impératifs de gestion des États membres. Si le droit de circuler et de séjourner est une composante essentielle de la citoyenneté de l’Union, il n’est pas absolu. Il peut être limité non seulement par les conditions expressément prévues par les traités et le droit dérivé, mais aussi par des considérations d’intérêt général telles que la nécessité de prévenir les fraudes et d’assurer la bonne administration des régimes de sécurité sociale.
Cette décision illustre les limites du statut de citoyen européen, particulièrement pour les personnes économiquement inactives. Alors que le droit de l’Union a progressivement étendu la libre circulation au-delà des seuls travailleurs, le maintien de certains droits sociaux reste étroitement lié à un lien de rattachement avec le territoire de l’État membre débiteur. L’arrêt confirme que le principe de non-exportabilité des allocations de chômage demeure la règle. Ainsi, un citoyen de l’Union qui choisit de résider dans un autre État membre ne peut le faire sans potentiellement en assumer les conséquences sur ses droits à certaines prestations sociales, lorsque l’État d’origine peut légitimement invoquer la nécessité de maintenir un contrôle territorialisé.