Par un arrêt du 9 mars 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités de calcul des cotisations d’assurance maladie pour un titulaire de pensions de retraite issues de plusieurs États membres. En l’espèce, une personne retraitée résidant en Finlande percevait des pensions de vieillesse servies par des institutions finlandaises et suédoises. Conformément à sa législation nationale, l’administration fiscale finlandaise a inclus les pensions d’origine suédoise dans l’assiette de calcul des cotisations d’assurance maladie dues en Finlande. La pensionnée a contesté cette méthode de calcul. Sa réclamation a été rejetée en première instance par la commission de révision des impôts, puis par le tribunal administratif de Rovaniemi par une décision du 12 décembre 2003. La pensionnée s’est pourvue devant le Korkein hallinto-oikeus, la Cour administrative suprême de Finlande. Cette juridiction a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. Elle demandait en substance si l’article 33, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 s’oppose à ce que la législation d’un État membre inclue dans l’assiette des cotisations d’assurance maladie les pensions versées par un autre État membre, lorsque le titulaire réside sur son territoire et y perçoit également une pension nationale. La Cour de justice répond que le droit communautaire ne s’oppose pas à une telle méthode de calcul, à condition que le montant des cotisations prélevées ne dépasse pas celui de la pension versée par l’État de résidence. Elle y ajoute toutefois une réserve essentielle fondée sur l’article 39 du traité CE, en précisant que les pensions d’un autre État membre ne peuvent être prises en compte si des cotisations ont déjà été versées sur les revenus d’activité ayant généré ces pensions.
La décision commentée clarifie ainsi la compétence de l’État de résidence pour déterminer l’assiette des cotisations sociales (I), tout en subordonnant l’exercice de cette compétence au respect du principe de libre circulation des personnes (II).
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I. La compétence de l’État de résidence dans la détermination de l’assiette des cotisations
La Cour de justice reconnaît à l’État membre de résidence le pouvoir de définir les règles de calcul des cotisations d’assurance maladie (A), tout en distinguant cette situation de celle où l’État de résidence ne verse aucune pension (B).
A. La compétence de principe de la législation de l’État de résidence
La solution de l’arrêt repose sur l’articulation des règles de coordination prévues par le règlement n° 1408/71. En vertu de son article 27, le titulaire de pensions de plusieurs États membres qui réside sur le territoire de l’un d’eux bénéficie des prestations en nature de cet État, comme s’il était uniquement titulaire d’une pension de ce dernier. L’État de résidence est donc débiteur des prestations, et c’est son institution qui en supporte la charge. Il en découle logiquement que cet État est également compétent pour percevoir les cotisations correspondantes.
La Cour rappelle ainsi que, en l’absence d’harmonisation, il appartient à la législation de chaque État membre de fixer les modalités de calcul des cotisations de sécurité sociale. L’article 33, paragraphe 1, du règlement renvoie explicitement à la législation de l’État compétent pour effectuer les retenues, en disposant que l’institution « est autorisée à opérer ces retenues, calculées suivant ladite législation ». Cette autonomie procédurale permet donc à l’État de résidence d’inclure dans l’assiette des cotisations des revenus de source étrangère, comme les pensions versées par un autre État membre. La Cour consacre une interprétation large de la compétence de l’État de résidence, fondée sur la cohérence entre la charge des prestations et la perception des cotisations.
B. La portée de la retenue sur la seule pension nationale
Pour justifier sa solution, la Cour opère une distinction avec sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt du 10 mai 2001 dans une affaire précédente. Dans cette affaire, le titulaire des pensions résidait en Finlande mais ne percevait de pensions que d’institutions suédoises. La Cour avait alors jugé que la Finlande ne pouvait opérer de retenues, car elle ne versait aucune pension sur laquelle prélever matériellement les cotisations. La présente espèce est différente, puisque la pensionnée perçoit bien une pension de l’État de résidence.
La Cour interprète de manière restrictive la lettre de l’article 33, paragraphe 1, qui autorise l’institution à opérer des retenues « sur la pension ou la rente dues par elle ». Elle considère que cette disposition ne limite pas l’assiette de calcul des cotisations, mais uniquement les modalités de leur recouvrement. Autrement dit, si l’assiette peut inclure des pensions étrangères, le montant final à prélever ne peut excéder le montant de la pension nationale. Cette dissociation entre l’assiette de calcul et le montant recouvrable permet de concilier l’autonomie de l’État de résidence et la lettre du règlement. Toutefois, cette approche est immédiatement tempérée par une limite fondamentale tirée du droit primaire.
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II. La limitation de la compétence nationale par la libre circulation des personnes
La Cour encadre la compétence de l’État de résidence en la soumettant à l’interdiction de la double cotisation (A), tout en précisant les conséquences pratiques de cette limitation pour les justiciables (B).
A. La prohibition de la double charge comme garantie de la mobilité
La Cour de justice introduit une réserve capitale qui ne figure pas dans le règlement n° 1408/71 mais découle directement de l’article 39 du traité CE. Elle juge qu’une législation nationale qui ne tiendrait pas compte des cotisations déjà versées dans un autre État membre créerait une entrave à la libre circulation des travailleurs. Un tel système pénaliserait en effet les travailleurs ayant exercé leur droit à la mobilité par rapport à ceux ayant accompli toute leur carrière dans un seul État.
La Cour affirme ainsi que « l’article 39 CE s’oppose à ce que le montant des pensions perçues d’institutions d’un autre État membre soit pris en compte si des cotisations ont déjà été versées dans cet autre État membre sur les revenus d’activité perçus dans ce dernier État membre ». Cette solution s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence visant à neutraliser les désavantages liés au passage des frontières. En soumettant le droit national à une condition de non-double imposition sociale, elle assure une égalité de traitement et préserve l’effet utile du droit à la libre circulation. La protection du travailleur migrant prime alors sur l’autonomie de l’État de résidence.
B. La charge de la preuve comme condition de l’exonération
En pratique, cette solution conduit à un dédoublement du calcul de l’assiette des cotisations. L’État de résidence peut inclure les pensions étrangères par principe, mais doit les exclure si le pensionné prouve avoir déjà cotisé sur les revenus correspondants dans l’État d’origine de la pension. La portée de cette protection est donc conditionnée par l’action du justiciable.
La Cour précise en effet qu’« il appartient aux intéressés d’établir la réalité de ces versements de cotisations antérieurs ». Cette exigence place la charge de la preuve sur le pensionné, qui devra fournir les justificatifs nécessaires à l’administration fiscale de son État de résidence. Si cette solution garantit la sécurité juridique pour les États membres, elle peut constituer une contrainte administrative significative pour les citoyens. La nécessité de conserver des documents sur plusieurs décennies et de les présenter à une administration étrangère peut représenter un obstacle pratique à l’exercice effectif du droit à l’exonération. La Cour établit ainsi un équilibre entre la protection des droits fondamentaux du traité et les impératifs de gestion des systèmes nationaux de sécurité sociale.