Par un arrêt en date du 18 juillet 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux arrhes conservées par un prestataire de services. En l’espèce, une société exploitant un établissement hôtelier avait fait l’objet d’un redressement fiscal, l’administration ayant soumis à la taxe sur la valeur ajoutée les arrhes que cet établissement avait conservées à la suite de l’annulation de séjours par des clients. Saisie du litige, la société a contesté cette imposition en soutenant que les sommes conservées ne constituaient pas la rémunération d’une prestation, mais une indemnité réparant le préjudice né de la défaillance du client.
Le tribunal administratif de Pau, puis la cour administrative d’appel de Bordeaux, ont rejeté cette argumentation, considérant que les arrhes conservées rémunéraient une prestation de réservation identifiable. Un pourvoi a alors été formé devant le Conseil d’État, qui a décidé de surseoir à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il était donc demandé à la Cour de déterminer si des sommes versées à titre d’arrhes et conservées par un prestataire de services hôteliers après le dédit d’un client constituent la contrepartie d’une prestation de services soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, ou si elles représentent une indemnité de résiliation non imposable. La Cour a jugé que ces sommes doivent être qualifiées d’indemnités forfaitaires de résiliation, versées en réparation du préjudice subi, et qu’elles sont, à ce titre, exclues du champ d’application de la taxe. Cette solution, fondée sur une analyse rigoureuse du lien entre la somme versée et la prestation fournie (I), consacre la nature indemnitaire des arrhes conservées en cas de dédit (II).
I. La qualification de rémunération d’une prestation de services écartée
La Cour de justice, pour refuser de soumettre à la taxe les arrhes conservées, a d’abord rejeté l’idée qu’elles puissent constituer la contrepartie d’une prestation de services. Elle a estimé qu’il n’existait pas de prestation de réservation autonome (A) et que la conservation des arrhes ne revêtait pas un caractère onéreux au sens du droit de la taxe sur la valeur ajoutée (B).
A. L’absence d’une prestation de réservation autonome
Pour qu’une opération soit soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, il est nécessaire qu’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux » que si la contrepartie obtenue par le prestataire constitue la rémunération effective d’un « service individualisable fourni dans le cadre d’un rapport juridique où des prestations réciproques sont échangées ». Or, en l’espèce, la Cour constate que l’obligation de l’hôtelier de réserver un séjour pour son client ne découle pas du versement des arrhes, mais directement du contrat d’hébergement lui-même.
En effet, l’engagement de réserver une chambre est une obligation principale née du contrat, que des arrhes aient été versées ou non. Le versement d’une telle somme n’est qu’une modalité facultative du contrat, visant à en garantir l’exécution, et non à rémunérer un service distinct. La Cour précise que « l’obligation de réservation résulte du contrat d’hébergement lui-même et non pas des arrhes versées », ce qui empêche de considérer ces dernières comme la contrepartie d’une prestation individualisable de réservation.
B. Le caractère non onéreux de la conservation des arrhes
Au-delà de l’absence de service autonome, la Cour analyse la nature de la somme conservée lorsque le client se dédit. Dans une situation normale, lorsque le séjour a lieu, les arrhes s’imputent sur le prix total de la prestation et sont donc logiquement soumises à la taxe. Cependant, lorsque le client annule et que l’hôtelier conserve les arrhes, la situation est différente. La conservation de cette somme n’est pas la contrepartie d’un service fourni au client, mais la conséquence de l’inexécution du contrat par ce dernier.
La Cour souligne que « le respect de cette obligation ne saurait être qualifié de contrepartie des arrhes versées ». Le mécanisme même des arrhes, qui prévoit la restitution du double par le professionnel en cas de dédit de sa part, conforte cette analyse. Dans une telle hypothèse, le client ne fournit manifestement aucune prestation à l’hôtelier qui justifierait une telle qualification. La conservation des arrhes par l’hôtelier ne correspond donc à aucune consommation de service par le client, ce qui exclut la qualification d’opération à titre onéreux.
Après avoir invalidé la thèse d’une prestation de services, la Cour s’attache à définir positivement la nature des sommes conservées.
II. La consécration de la nature indemnitaire des arrhes conservées
La Cour de justice qualifie les arrhes conservées d’indemnités, ce qui les place hors du champ de la taxe sur la valeur ajoutée. Cette qualification repose sur la reconnaissance d’une réparation forfaitaire du préjudice subi par le prestataire (A) et emporte des conséquences significatives sur la délimitation de l’assiette de la taxe (B).
A. La réparation forfaitaire d’un préjudice
La Cour établit que lorsque le client exerce sa faculté de dédit, la conservation des arrhes par l’hôtelier a pour finalité de l’indemniser pour le préjudice résultant de l’annulation. Elle qualifie ces sommes d' »indemnités forfaitaires de résiliation versées en réparation du préjudice subi à la suite de la défaillance du client ». Cette indemnité est forfaitaire, car son montant est fixé à l’avance et ne dépend pas de l’ampleur réelle du préjudice. Peu importe que l’hôtelier ait pu ou non relouer la chambre, ou que son manque à gagner soit supérieur ou inférieur au montant des arrhes.
Cette analyse est cohérente avec la fonction des arrhes en droit civil, qui visent notamment à offrir une indemnisation prédéterminée en cas d’inexécution contractuelle, dispensant la partie lésée d’avoir à prouver le montant de son dommage. La Cour estime donc que ces sommes ne rémunèrent aucune prestation, mais compensent les conséquences financières négatives de l’annulation. Elles n’ont « aucun lien direct avec un quelconque service rendu à titre onéreux ».
B. La portée de la solution pour le droit de la taxe sur la valeur ajoutée
En jugeant que les arrhes conservées ne sont pas soumises à la taxe, la Cour de justice affine la distinction entre les sommes qui constituent la contrepartie d’une prestation et celles qui ont une nature indemnitaire. Cette décision s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, notamment celle relative aux intérêts de retard, qui ne sont pas considérés comme la rémunération d’une prestation de crédit mais comme la réparation du préjudice né du retard de paiement.
La portée de cet arrêt est importante. Il apporte une sécurité juridique aux opérateurs économiques, notamment dans le secteur de l’hôtellerie et du tourisme, en clarifiant le traitement fiscal des annulations. La solution réaffirme un principe fondamental du système commun de taxe sur la valeur ajoutée : la taxe frappe la consommation et suppose un échange effectif entre une prestation et une contrepartie directe. Une somme qui ne fait que réparer un préjudice, même dans le cadre d’un rapport contractuel, ne constitue pas une telle contrepartie et échappe donc à l’imposition.