Cour de justice de l’Union européenne, le 18 juillet 2007, n°C-399/05

Par un arrêt non daté, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les obligations des entités adjudicatrices dans le cadre des marchés publics. L’espèce soumise à l’appréciation des juges européens concernait un recours en manquement initié par l’une des institutions de l’Union à l’encontre d’un État membre. Il était reproché à cet État d’avoir méconnu les dispositions de la directive 93/38/CEE, relative aux procédures de passation des marchés dans des secteurs spécifiques, en autorisant deux entreprises à participer à une procédure de mise en concurrence pour la construction d’une centrale thermique, alors même que celles-ci ne semblaient pas satisfaire aux exigences définies dans l’avis de marché et le cahier des charges.

La procédure contentieuse faisait suite à une phase précontentieuse durant laquelle l’institution plaignante avait mis en demeure l’État membre de présenter ses observations sur le grief formulé. L’institution, estimant les réponses fournies insatisfaisantes, a saisi la Cour de justice afin qu’elle constate le manquement. Devant la Cour, la requérante soutenait que l’admission de candidatures non conformes portait atteinte aux principes fondamentaux de la commande publique, notamment celui de l’égalité de traitement entre les soumissionnaires. L’État membre, en défense, a vraisemblablement contesté l’interprétation stricte des conditions de participation proposée par la requérante.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si l’admission, par une entité adjudicatrice, de soumissionnaires dont les qualifications ne correspondent pas formellement à l’ensemble des conditions énoncées dans les documents de la consultation constitue nécessairement une violation des obligations découlant du droit de l’Union en matière de marchés publics.

À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative en rejetant le recours dans son intégralité. En jugeant que l’État membre n’avait pas manqué à ses obligations, la Cour admet implicitement que la simple présence d’écarts entre une candidature et les exigences formelles du cahier des charges ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une violation de la directive.

Cette solution conduit à examiner la marge d’appréciation reconnue aux entités adjudicatrices dans l’évaluation des candidatures (I), avant d’analyser la portée de cette approche au regard des principes structurants de la commande publique (II).

I. La consécration de la marge d’appréciation de l’entité adjudicatrice

L’arrêt, en rejetant le recours de l’institution requérante, valide l’analyse effectuée par l’entité adjudicatrice nationale. Cette décision repose sur une interprétation souple des conditions de participation (A) et réaffirme les limites du contrôle exercé par le juge de l’Union sur les évaluations techniques (B).

A. L’interprétation des conditions de participation au marché

La Cour de justice semble écarter une approche purement formaliste de la conformité des offres. Le grief soulevé par la partie requérante portait sur « l’admission à concourir de deux sociétés ne remplissant ni les conditions de l’avis ni celles du cahier des charges ». En rejetant cette argumentation, les juges européens considèrent vraisemblablement que les conditions fixées ne doivent pas être perçues comme des critères intangibles, mais plutôt comme des objectifs que les soumissionnaires peuvent atteindre par des moyens divers.

L’entité adjudicatrice dispose ainsi d’une faculté d’appréciation pour déterminer si une candidature, bien que ne correspondant pas littéralement à chaque exigence, répond de manière substantielle ou équivalente à la demande formulée. Une telle approche permet de ne pas écarter des offres potentiellement avantageuses pour des motifs de pure forme, privilégiant l’esprit de la mise en concurrence sur la lettre des documents de consultation. Cela suggère que le manquement allégué n’était pas suffisamment caractérisé ou que la non-conformité n’était pas substantielle.

B. La retenue du juge face à l’évaluation technique des candidatures

La solution rendue illustre également le principe de la retenue dont fait preuve le juge de l’Union lorsqu’il contrôle les décisions des entités adjudicatrices. Le rôle de la Cour n’est pas de substituer sa propre évaluation des candidatures à celle de l’autorité compétente, qui dispose de l’expertise technique nécessaire pour apprécier la valeur des propositions reçues. Le contrôle juridictionnel se limite donc à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, de détournement de pouvoir ou de violation des règles procédurales et des principes fondamentaux.

En l’espèce, en validant la décision d’admettre les deux entreprises concernées, la Cour a estimé que l’entité adjudicatrice n’avait pas outrepassé sa marge d’appréciation. Elle confirme que, sauf en cas d’irrégularité flagrante, il appartient au pouvoir adjudicateur de juger de la capacité des candidats à exécuter le marché. Le rejet du recours sanctionne en réalité l’incapacité de la partie requérante à démontrer l’existence d’une telle erreur manifeste.

La reconnaissance de cette latitude dans l’analyse des candidatures n’est cependant pas sans conséquence sur l’application des principes cardinaux qui gouvernent le droit des marchés publics.

II. La mise en balance des principes fondamentaux de la commande publique

Bien que pragmatique, la décision interroge sur sa conciliation avec les impératifs d’égalité de traitement (A) et de transparence des procédures (B), qui sont au cœur du droit de l’Union en la matière.

A. Le principe d’égalité de traitement à l’épreuve de la souplesse

Le principe d’égalité de traitement impose que tous les soumissionnaires disposent des mêmes chances et soient soumis aux mêmes exigences tout au long de la procédure. Permettre à une entité adjudicatrice d’admettre des candidats qui ne respectent pas strictement les conditions initiales pourrait être perçu comme une rupture de cette égalité, au détriment des concurrents qui se sont efforcés de suivre scrupuleusement les règles du jeu.

Toutefois, la décision de la Cour peut être comprise comme une application nuancée de ce principe. L’égalité de traitement n’implique pas une uniformité mécanique, mais l’absence de discrimination. Si l’entité adjudicatrice a interprété les règles de manière souple pour l’ensemble des participants, ou si les écarts constatés étaient mineurs et ne conféraient pas un avantage concurrentiel injustifié, le principe peut être considéré comme respecté. La Cour semble ainsi privilégier une égalité substantielle des chances plutôt qu’une égalité purement formelle.

B. La portée de la décision au regard de l’impératif de transparence

L’impératif de transparence, corollaire du principe d’égalité, exige que toutes les conditions et modalités de la procédure de passation soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou le cahier des charges. Une trop grande flexibilité accordée à l’entité adjudicatrice dans l’interprétation de ces conditions risque d’introduire une part d’incertitude pour les opérateurs économiques. Elle pourrait rendre plus difficile la préparation de leur offre et ouvrir la voie à une potentielle partialité.

En définitive, cet arrêt met en lumière la tension inhérente au droit des marchés publics entre la nécessité d’un cadre juridique strict garantissant l’équité et la transparence, et le besoin de préserver une certaine souplesse pour les entités adjudicatrices afin d’obtenir l’offre la plus pertinente. En se refusant à sanctionner l’État membre, la Cour de justice invite à une appréciation au cas par cas, où la preuve d’un manquement doit résulter non pas d’un simple écart formel, mais d’une véritable atteinte à la concurrence et aux droits des soumissionnaires.

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