Cour de justice de l’Union européenne, le 18 juillet 2007, n°C-503/04

Par un arrêt en date du 18 juillet 2007, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur la nature des mesures qu’implique l’exécution d’un de ses arrêts constatant un manquement d’État en matière de marchés publics. La Cour avait précédemment jugé, par une décision du 10 avril 2003, qu’un État membre avait violé les dispositions du droit communautaire relatives à la passation des marchés publics de services. Ce manquement concernait la conclusion de deux contrats, l’un pour l’évacuation des eaux usées d’une commune, l’autre pour l’élimination des déchets d’une ville, ce dernier ayant été conclu pour une durée de trente ans sans mise en concurrence conforme.

L’État membre concerné n’ayant, selon la Commission, pas pris les mesures nécessaires pour remédier à cette situation, celle-ci a introduit un nouveau recours sur le fondement de l’article 228 du traité CE. La Commission soutenait que l’exécution complète de l’arrêt initial exigeait la résiliation des contrats conclus illégalement. L’État membre, pour sa part, estimait que des mesures visant à prévenir de futures infractions étaient suffisantes, et que le droit communautaire n’imposait pas une telle résiliation. Au cours de l’instance, l’État membre a finalement mis fin aux contrats litigieux, conduisant la Commission à renoncer à sa demande de sanction pécuniaire, tout en maintenant son recours afin que soit tranchée la question de principe du manquement à la date d’expiration du délai imparti dans l’avis motivé.

Il revenait donc à la Cour de justice de déterminer si l’obligation d’exécuter un arrêt constatant une violation du droit des marchés publics impose à l’État membre condamné de mettre un terme au contrat qui en est à l’origine. Autrement dit, la persistance des effets d’un contrat conclu en violation du droit de l’Union constitue-t-elle en soi une continuation du manquement justifiant l’exigence de sa résiliation ?

À cette question, la Cour répond par l’affirmative, considérant que le manquement perdure tant que le contrat litigieux continue de produire ses effets. Elle juge que l’État membre n’avait pas pris, à la date de référence, les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt initial. La Cour affirme que pour mettre fin au manquement, il ne suffit pas d’adopter des mesures préventives pour l’avenir ; il est impératif de faire cesser la situation illicite elle-même. La solution adoptée souligne ainsi l’obligation pour un État de neutraliser les conséquences directes d’une violation du droit de l’Union.

Cette décision consacre une conception exigeante des mesures d’exécution d’un arrêt en manquement, subordonnant l’effectivité du droit de l’Union à la cessation des effets du contrat illicite (I). En conséquence, la Cour écarte logiquement les justifications avancées par l’État membre, réaffirmant ainsi la primauté des obligations découlant du traité sur les considérations de droit interne et de sécurité juridique (II).

I. L’exigence de la cessation du contrat comme mesure d’exécution de l’arrêt en manquement

La Cour établit clairement que la simple exécution d’un contrat illégalement attribué constitue une violation continue du droit de l’Union, rendant les mesures simplement préventives insuffisantes pour exécuter l’arrêt de condamnation.

A. La persistance du manquement durant l’exécution du contrat

La Cour de justice fonde principalement son raisonnement sur la continuité de la violation des règles du marché intérieur. Elle considère que le manquement constaté ne se limite pas à l’acte ponctuel de la conclusion du contrat en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence. Au contraire, le manquement se prolonge tout au long de la période d’exécution de ce contrat. La Cour énonce en ce sens que « l’atteinte portée à la libre prestation des services par la méconnaissance des dispositions de la directive 92/50 subsiste pendant toute la durée d’exécution des contrats conclus en violation de celle-ci ». Cette approche garantit que les avantages concurrentiels indûment accordés à l’attributaire du marché ne se pérennisent pas au détriment des opérateurs économiques qui ont été illégalement privés de la possibilité de concourir.

En l’espèce, le contrat portant sur l’élimination des déchets de la ville avait été conclu pour une durée de trente ans. Le manquement était donc destiné à se poursuivre pendant plusieurs décennies si aucune mesure n’était prise pour y mettre fin. La seule communication d’instructions par le gouvernement fédéral au gouvernement du Land concerné, visant à éviter la reproduction de telles infractions, ne pouvait suffire. Ces mesures, bien que nécessaires, ne remédiaient en rien à la violation présente et continue des libertés fondamentales garanties par le traité. La Cour souligne que ces actions « ont visé exclusively à prévenir la conclusion de nouveaux contrats » mais « n’ont pas empêché, en revanche, que le contrat conclu par la ville de Brunswick continue de produire pleinement ses effets ».

B. L’insuffisance des mesures préventives pour l’avenir

En conséquence logique de la persistance du manquement, la Cour juge que l’adoption de simples mesures préventives ne constitue pas une exécution adéquate de son arrêt. L’obligation qui pèse sur l’État membre en vertu de l’article 228 du traité CE est une obligation de résultat. Il doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour mettre un terme au manquement constaté. Si ce manquement réside dans l’existence et l’exécution d’un contrat, la mesure d’exécution doit nécessairement porter sur ce contrat lui-même. La Cour refuse de se contenter de garanties pour l’avenir alors même que la situation illicite perdure au présent.

L’analyse de la Cour est particulièrement stricte : l’exécution d’un arrêt en manquement ne se limite pas à réparer les défaillances de l’ordre juridique interne qui ont permis la violation. Elle impose avant tout de restaurer la légalité communautaire en supprimant les effets concrets et persistants de cette violation. Dans ce contexte, la seule mesure apte à effacer complètement le manquement était la résiliation du contrat. L’inaction de l’État membre à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé caractérisait donc un manquement à son obligation d’exécution. Cette position rigoureuse amène la Cour à écarter l’ensemble des arguments que l’État membre et les États intervenants avaient soulevés pour justifier le maintien du contrat.

II. Le rejet des justifications fondées sur la sécurité juridique et le droit national

Pour défendre le maintien en vigueur du contrat, l’État membre et les États intervenants invoquaient plusieurs arguments tenant à la protection des droits du cocontractant et à la stabilité des relations juridiques. La Cour les rejette tous, au nom de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union.

A. L’inapplicabilité de la directive sur les recours en matière de marchés publics

L’État membre soutenait que l’obligation de résiliation était contraire à l’esprit de la directive 89/665/CEE. Ce texte, qui organise les procédures de recours au profit des candidats évincés, permet aux législations nationales de limiter les pouvoirs des instances de recours à l’octroi de dommages-intérêts une fois le contrat conclu. Cette disposition viserait à protéger la sécurité juridique et la stabilité contractuelle. L’État membre en déduisait que, si le droit de l’Union autorise le maintien du contrat dans le cadre des recours individuels, il ne saurait imposer sa résiliation dans le cadre d’une procédure en manquement.

La Cour écarte cet argument en distinguant clairement les deux procédures. La directive sur les recours concerne les litiges entre les pouvoirs adjudicateurs et les opérateurs économiques lésés, et non les relations institutionnelles entre un État membre et la Communauté. La Cour précise que cette directive « ne saurait être considérée comme réglant également la relation entre un État membre et la Communauté, relation dont il s’agit dans le contexte des articles 226 CE et 228 CE ». La limitation des sanctions possibles pour les particuliers ne saurait paralyser les instruments dont dispose la Commission pour faire respecter les obligations fondamentales du traité. L’objectif de la procédure en manquement, qui est d’assurer le respect du droit de l’Union par les États, prévaut sur les dispositions spécifiques encadrant les recours individuels.

B. La primauté du droit de l’Union sur les principes internes

De manière plus générale, la Cour balaie l’ensemble des justifications tirées de l’ordre juridique interne. L’État membre invoquait les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime, le principe *pacta sunt servanda* et même le droit de propriété du cocontractant. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle ces considérations, aussi légitimes soient-elles dans les relations de droit privé, ne sauraient être opposées par un État pour justifier un manquement à ses obligations communautaires. Elle affirme qu’un État membre « ne saurait, en tout état de cause, s’en prévaloir pour justifier la non-exécution d’un arrêt constatant un manquement au titre de l’article 226 CE et, de ce fait, échapper à sa propre responsabilité en droit communautaire ».

La Cour conclut par une formule classique mais puissante, en rappelant qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit communautaire ». Par cet arrêt, la Cour de justice délivre un message ferme quant à la portée des obligations découlant d’un arrêt en manquement. L’exécution de celui-ci ne se satisfait pas d’une simple promesse de bonne conduite future ; elle exige une action corrective concrète, y compris la remise en cause d’une situation contractuelle établie, afin de restaurer pleinement la légalité du droit de l’Union. La portée de cette décision est considérable, car elle renforce l’arsenal de la Commission pour lutter contre les violations persistantes du droit des marchés publics.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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