Par un arrêt du 18 juillet 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du pouvoir des États membres de restreindre la retransmission exclusive d’événements sportifs afin de garantir un large accès du public. En l’espèce, l’organisateur d’une compétition européenne de football de premier plan contestait une décision de l’exécutif de l’Union validant la mesure d’un État membre. Cette mesure avait inscrit sur une liste d’événements d’importance majeure pour la société l’intégralité de la phase finale de ladite compétition, et non uniquement les matchs les plus prestigieux. L’inscription sur cette liste impose en pratique une diffusion par des chaînes de télévision à accès libre, limitant ainsi la capacité de l’organisateur à céder les droits de retransmission de manière exclusive à des chaînes payantes.
La procédure avait débuté par la notification par l’État membre concerné de sa liste d’événements à l’exécutif de l’Union, conformément à la directive « Télévision sans frontières ». Après une première validation annulée pour vice de forme par le Tribunal de l’Union européenne, l’exécutif a adopté une nouvelle décision formelle confirmant la compatibilité des mesures nationales avec le droit de l’Union. L’organisateur de l’événement a alors saisi le Tribunal d’une demande d’annulation de cette décision, arguant notamment que seuls les matchs impliquant l’équipe nationale, les demi-finales et la finale pouvaient être qualifiés d’importance majeure. Le Tribunal ayant rejeté son recours, l’organisateur a formé un pourvoi devant la Cour de justice.
Le litige soulevait la question de savoir dans quelle mesure la marge d’appréciation reconnue aux États membres pour désigner des événements d’importance majeure pour leur société autorise l’inclusion de la totalité d’un tournoi sportif. Il s’agissait également de déterminer la nature et l’étendue du contrôle que l’exécutif de l’Union doit exercer sur de telles mesures nationales, notamment au regard de leur impact sur les libertés économiques fondamentales.
La Cour de justice a rejeté le pourvoi, validant ainsi la démarche de l’État membre et de l’exécutif de l’Union. Elle juge que si la seule mention d’une compétition dans les considérants de la directive ne suffit pas à la qualifier en bloc d’événement d’importance majeure, un État membre peut légitimement la considérer comme un événement unique et indivisible en fonction des spécificités sociales et culturelles de sa société. La Cour précise que le contrôle de l’exécutif de l’Union sur cette appréciation nationale doit se limiter à la recherche d’une erreur manifeste. Les restrictions aux libertés économiques qui en découlent sont considérées comme une conséquence inhérente et justifiée de l’objectif d’intérêt général de protection du droit à l’information.
La solution retenue par la Cour de justice consacre ainsi une autonomie substantielle des États membres dans la protection de l’accès du public aux grands événements (I), tout en encadrant cette prérogative par un contrôle européen dont elle précise le caractère restreint (II).
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I. La consécration d’une large marge d’appréciation nationale dans la désignation des événements d’importance majeure
La Cour de justice réaffirme avec force la primauté de l’appréciation des États membres pour définir ce qui constitue un événement majeur pour leur société. Elle clarifie d’abord la portée de la qualification d’un tournoi dans son intégralité (A) avant de confirmer le caractère limité des contraintes procédurales pesant sur les autorités nationales (B).
A. La qualification d’un tournoi entier comme événement unique
La Cour rectifie en premier lieu le raisonnement tenu par le Tribunal, tout en en maintenant les conclusions pratiques. Elle juge en effet que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la mention du championnat d’Europe de football dans un considérant de la directive impliquait une dispense pour les États membres de justifier spécifiquement l’inscription de la compétition dans son intégralité. Pour la Cour, le législateur de l’Union n’a pas entendu « indiquer que le ‘championnat d’Europe de football’ […] constitue un événement unique et indivisible ». Au contraire, la Cour estime qu’un tel tournoi « doit être considéré comme un événement qui est en principe divisible en différents matchs ou étapes, dont tous ne sont pas nécessairement susceptibles de relever de la qualification d’événement d’une importance majeure ».
Cependant, cette rectification n’invalide pas la possibilité pour un État membre de traiter le tournoi comme un tout. L’essentiel du raisonnement de la Cour réside dans la reconnaissance du fait qu’un État peut, au regard de ses particularités nationales, considérer l’ensemble des matchs comme formant un tout cohérent et présentant un intérêt suffisant pour le grand public. L’intérêt des matchs dits de « non-gala » peut ainsi être justifié par leur influence sur le déroulement de la compétition et le parcours des équipes les plus suivies. En l’espèce, la Cour valide le fait que le Tribunal ait examiné « sur le fondement des éléments fournis par [l’organisateur] et au regard de la perception concrète du public du Royaume-Uni, si tous les matchs de la phase finale de l’EURO suscitaient effectivement, auprès de ce public, un intérêt suffisant pour pouvoir faire partie d’un événement d’une importance majeure ». Cette approche pragmatique subordonne la qualification juridique à une analyse factuelle de la perception sociale et culturelle au sein de l’État concerné.
B. La portée limitée des exigences procédurales de transparence
L’organisateur de la compétition soutenait également que l’autorité nationale n’avait pas respecté l’exigence d’une procédure « claire et transparente » prévue par la directive, en ignorant les avis consultatifs qui lui avaient été soumis et qui recommandaient une liste plus restreinte de matchs. La Cour de justice écarte cet argument en précisant la portée de l’obligation de motivation incombant à l’État membre.
Elle juge que l’autorité nationale, disposant d’une marge d’appréciation importante, n’est pas tenue de suivre les avis des organes qu’elle consulte. Par conséquent, il « n’est pas nécessaire que ladite autorité révèle les raisons spécifiques pour lesquelles elle n’a pas suivi des avis formulés par certains organes consultatifs ». L’obligation de motivation se rapporte à la justification de la mesure prise, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles l’événement a été désigné comme étant d’importance majeure, et non à la réfutation de chaque opinion divergente. Cette interprétation renforce l’autonomie décisionnelle de l’État membre, en distinguant l’obligation de justifier une décision de celle, plus contraignante, de répondre à toutes les contributions d’une consultation. La transparence procédurale est ainsi satisfaite dès lors que les critères de désignation sont connus et que la décision finale est motivée au fond, permettant un contrôle juridictionnel.
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II. Une discrétion encadrée par un contrôle européen restreint
Si l’autonomie des États membres est largement confirmée, elle n’est pas absolue. La Cour de justice la situe dans le cadre d’un contrôle exercé par l’exécutif de l’Union, dont elle précise qu’il est limité à la recherche d’une erreur manifeste d’appréciation (A), tout en affirmant la subordination justifiée des libertés économiques à l’objectif d’intérêt général poursuivi (B).
A. L’erreur manifeste d’appréciation, clé de voûte du contrôle de la Commission
L’apport majeur de l’arrêt réside dans la définition précise du rôle de l’exécutif de l’Union dans le processus de validation des listes nationales. La Cour énonce clairement que ce dernier « dispose d’un pouvoir de contrôle de la légalité des mesures nationales », mais que ce pouvoir « est restreint ». L’étendue de ce contrôle est directement corrélée à l’ampleur de la marge d’appréciation des États membres. Il en découle que « le pouvoir de contrôle de la Commission doit être limité à la recherche des erreurs manifestes d’appréciation commises par les États membres lors de la désignation des événements d’une importance majeure ».
Pour vérifier l’absence d’une telle erreur, l’exécutif doit s’assurer que l’État membre « a examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce ». Cette approche établit une déférence significative envers l’évaluation nationale. La charge de la preuve est ainsi implicitement inversée : il ne revient pas à l’État membre de démontrer de manière exhaustive le bien-fondé de son choix, mais plutôt à l’exécutif ou à un requérant de prouver que ce choix est entaché d’une erreur évidente. En l’espèce, la Cour estime que les motifs avancés par l’État membre, tels que l’écho particulier de l’événement au niveau national et l’audience traditionnellement élevée, constituaient une base de motivation suffisante pour permettre à l’exécutif d’exercer son contrôle restreint.
B. La subordination justifiée des libertés économiques au droit à l’information
Enfin, la Cour tranche la question de la conciliation entre l’objectif d’intérêt général de l’accès à l’information et les libertés économiques fondamentales, notamment la libre prestation de services et le droit de propriété de l’organisateur sur les droits de retransmission. Elle considère que les entraves à ces libertés sont une conséquence acceptée par le législateur de l’Union lui-même lors de l’adoption du mécanisme de l’article 3 bis de la directive.
La Cour affirme que la désignation valable d’un événement comme étant d’importance majeure « entraîne des entraves inéluctables à la libre prestation des services, à la liberté d’établissement, à la libre concurrence et au droit de propriété, qui ont été envisagées par le législateur de l’Union ». Par conséquent, une fois qu’un événement est légitimement inscrit sur une liste nationale, l’atteinte aux droits économiques de l’organisateur est en principe justifiée. Le contrôle de proportionnalité que doit exercer l’exécutif de l’Union ne doit porter que sur les effets qui iraient « au-delà des effets intrinsèquement liés à l’inclusion de cet événement dans la liste ». Cette approche a une portée considérable, car elle limite drastiquement les moyens d’action des détenteurs de droits qui voudraient contester une mesure nationale sur le terrain de la proportionnalité. Sauf à démontrer un effet disproportionné qui ne serait pas la conséquence directe et normale de l’inscription, leur argumentation est vouée à l’échec.