Par un arrêt du 18 juillet 2013, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en grande chambre, s’est prononcée sur les modalités et l’intensité du contrôle juridictionnel exercé sur les actes de l’Union mettant en œuvre des mesures restrictives adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international. À la suite d’une première annulation par la Cour en 2008 d’un règlement qui le concernait, au motif d’une violation de ses droits fondamentaux, un individu a de nouveau vu son nom inscrit sur la liste des personnes visées par un gel de fonds et de ressources économiques, par l’adoption d’un nouveau règlement de la Commission. Cette nouvelle inscription se fondait sur un exposé des motifs transmis par le comité des sanctions des Nations unies. L’intéressé a contesté ce nouveau règlement devant le Tribunal de l’Union européenne, qui a procédé à son annulation. Le Tribunal a estimé que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective avaient été méconnus, au motif que ni l’individu concerné ni le juge de l’Union n’avaient eu accès aux informations et éléments de preuve sous-jacents aux motifs d’inscription. Plusieurs institutions de l’Union et États membres ont alors formé des pourvois devant la Cour de justice, considérant que le Tribunal avait imposé un degré de contrôle juridictionnel excessivement rigoureux et incompatible avec les obligations découlant de la Charte des Nations unies. Il revenait donc à la Cour de justice de préciser la nature et les limites du contrôle qu’elle exerce sur un acte de l’Union qui, sans marge d’appréciation autonome, se borne à appliquer une décision d’une instance internationale. Saisie de cette question, la Cour rejette les pourvois et confirme l’annulation du règlement litigieux, tout en substituant sa propre motivation à celle du Tribunal. Elle juge que la légalité d’un tel acte doit s’apprécier au regard de l’existence d’une base factuelle suffisamment solide pour justifier la mesure restrictive, dont la charge de la preuve incombe à l’institution de l’Union.
Cette solution réaffirme avec force le principe d’un contrôle juridictionnel complet sur les actes de l’Union portant atteinte aux droits fondamentaux (I), tout en en définissant rigoureusement les conséquences pratiques lorsque l’administration est confrontée à l’inaccessibilité des preuves (II).
I. La confirmation d’un contrôle juridictionnel entier sur les mesures restrictives
L’arrêt s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence antérieure en rejetant fermement toute immunité juridictionnelle pour les actes de l’Union appliquant le droit international (A), et précise la portée de ce contrôle en l’axant sur l’exigence d’une justification matérielle suffisante (B).
A. Le rejet maintenu de l’immunité juridictionnelle des actes d’exécution
La Cour écarte d’emblée l’argumentation des parties requérantes visant à faire reconnaître une immunité juridictionnelle au règlement litigieux, en raison de son origine dans une résolution du Conseil de sécurité. Elle rappelle que les obligations découlant d’un accord international ne sauraient porter atteinte aux principes constitutionnels du traité, au premier rang desquels figure le respect des droits fondamentaux. Le contrôle juridictionnel constitue à cet égard une garantie essentielle dans une Union de droit. La Cour juge ainsi que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en refusant de faire bénéficier le règlement « d’une quelconque immunité juridictionnelle au motif qu’il vise à mettre en œuvre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre vii de la charte des Nations unies ». Cette position confirme que tout acte de l’Union, quelle que soit sa source d’inspiration internationale, demeure soumis à l’empire du droit de l’Union et au contrôle de ses juridictions, qui doivent en assurer la conformité avec l’ensemble des garanties fondamentales. En cela, la Cour réitère que la primauté des obligations issues de la Charte des Nations unies, affirmée à son article 103, ne peut justifier une soustraction des actes de l’Union au respect des principes fondateurs de son propre ordre juridique.
B. La précision du standard de contrôle : l’exigence d’une base factuelle solide
Au-delà de l’affirmation du principe du contrôle, la Cour en précise la méthodologie et l’intensité. Elle ne suit pas le Tribunal qui avait fondé l’illégalité de l’acte sur la seule non-communication des pièces du dossier. La Cour estime que l’effectivité du contrôle juridictionnel « exige également que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision […], le juge de l’Union s’assure que cette décision […] repose sur une base factuelle suffisamment solide ». Cette exigence implique pour le juge une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend la décision, afin que son examen ne se limite pas à une appréciation de la vraisemblance abstraite, mais porte sur le caractère étayé de ces motifs. Le contrôle doit donc être concret et porter sur la matérialité des allégations. C’est à l’autorité de l’Union qu’il appartient d’établir le bien-fondé des motifs retenus, et non à l’individu concerné d’apporter la preuve, souvent impossible, de l’absence de fondement de ces derniers. La Cour établit ainsi un standard de preuve clair, dont la charge pèse exclusivement sur l’institution qui impose la sanction.
II. Les conséquences pratiques d’un contrôle juridictionnel effectif
La définition de ce standard de contrôle emporte des conséquences déterminantes sur le déroulement de la procédure, tant administrative que contentieuse, en clarifiant le rôle de chaque acteur face à l’opacité des sources d’information (A), et consacre la primauté de la protection des droits individuels lorsque les allégations ne sont pas étayées (B).
A. La centralité du débat contradictoire et la gestion de l’absence de preuve
La Cour détaille la procédure à suivre. L’autorité de l’Union doit communiquer à la personne concernée l’exposé des motifs et lui permettre de présenter ses observations. Si des doutes sérieux naissent des dénégations circonstanciées de l’intéressé, il incombe à cette autorité d’établir la solidité des motifs allégués. La Cour reconnaît que des considérations impérieuses de sécurité peuvent s’opposer à la divulgation de certains éléments. Cependant, elle précise que si l’autorité de l’Union est dans l’impossibilité de produire les informations pertinentes, y compris devant le juge, ce dernier « se baser[a] sur les seuls éléments qui lui ont été communiqués ». Par conséquent, si, après examen des motifs fournis, des observations de l’intéressé et de la réponse de l’institution, le bien-fondé des allégations ne peut être constaté, celles-ci ne sauraient servir de support à la décision contestée. La Cour déplace ainsi la conséquence de l’absence de preuve : ce n’est pas au justiciable de pâtir du secret entourant la procédure internationale, mais à l’institution de l’Union, qui, faute de pouvoir justifier sa décision, verra son acte annulé.
B. L’annulation inévitable en l’absence de justification probante
Mettant en œuvre sa propre grille d’analyse, la Cour procède à un examen minutieux de chacun des motifs invoqués dans l’exposé des sanctions. Elle constate que, pour chaque allégation, l’intéressé a fourni des explications détaillées et des éléments à décharge. Face à ces contestations précises, la Cour relève que « aucun élément d’information ou de preuve n’a été avancé pour étayer les allégations ». Par exemple, s’agissant du lien supposé entre une fondation dirigée par l’individu et des activités terroristes, la Cour conclut que les indications fournies « ne sont pas de nature à fonder l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives ». De même, concernant le recrutement d’une personne qui se serait révélée liée au terrorisme, la Cour estime que des faits remontant à 1992, non étayés par des éléments plus récents, ne peuvent justifier le maintien d’une inscription en 2008. Ce faisant, elle ne se substitue pas à l’appréciation des instances onusiennes, mais constate l’incapacité des institutions de l’Union à fournir une base factuelle suffisante au regard des exigences de l’ordre juridique de l’Union. L’annulation du règlement n’est donc pas la sanction d’un défaut de procédure, mais la conséquence logique de l’absence de preuve du bien-fondé d’une mesure qui porte une atteinte grave et continue aux droits fondamentaux de la personne.