Cour de justice de l’Union européenne, le 18 juillet 2013, n°C-6/12

La Cour de justice de l’Union européenne, dans la décision commentée, apporte des précisions sur l’articulation entre les règles de l’Union en matière d’aides d’État et un régime fiscal national prévoyant une dérogation à l’interdiction de déduction de pertes fiscales. En l’espèce, une législation finlandaise interdit en principe à une société de déduire ses pertes antérieures en cas de changement significatif de son actionnariat. Cependant, la même législation permet à l’administration fiscale d’autoriser, sur demande, une telle déduction. Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction finlandaise, la Cour de justice était amenée à déterminer si un tel mécanisme d’autorisation pouvait constituer une aide d’État au sens de l’article 107 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Il lui était également demandé de clarifier si, en cas de qualification d’aide, ce régime devait être considéré comme une aide existante, avec les conséquences procédurales qui en découlent au regard de l’article 108 du TFUE. La Cour répond que le régime peut être qualifié d’aide d’État si le système d’autorisation constitue une exception au régime fiscal normal, tout en précisant qu’une telle mesure peut se justifier par la nature du système à condition que l’autorité nationale ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire excessif. Elle ajoute que, si le régime est une aide, son ancienneté lui confère le caractère d’aide existante, ce qui autorise son maintien provisoire.

Il convient donc d’analyser la qualification délicate de la mesure fiscale en tant qu’aide d’État (I), avant d’examiner les conséquences procédurales attachées à sa classification en tant qu’aide existante (II).

I. L’appréciation de la mesure fiscale au regard des critères de l’aide d’État

La Cour de justice rappelle sa méthode d’analyse pour identifier une aide d’État, en se concentrant sur le caractère sélectif de la mesure (A), tout en ménageant la possibilité d’une justification inhérente à la logique du système fiscal (B).

A. La sélectivité de la dérogation appréciée par rapport au système de référence

Pour déterminer si une mesure fiscale est sélective, il est nécessaire d’identifier au préalable le régime fiscal « normal » ou de référence. La Cour suggère que le régime fiscal en cause pourrait être considéré comme sélectif et donc potentiellement comme une aide d’État. Elle énonce qu’un « régime fiscal, tel que celui en cause au principal, est susceptible de remplir la condition de sélectivité […] s’il devait être établi que le système de référence, à savoir le système “normal”, consiste en l’interdiction de la déduction des pertes ». Dans une telle configuration, le mécanisme d’autorisation qui permet de déroger à cette interdiction générale apparaîtrait comme une exception favorisant certaines entreprises. Cette dérogation leur accorderait un avantage économique qu’elles n’auraient pas obtenu dans le cadre du fonctionnement normal du système, remplissant ainsi l’une des conditions constitutives de l’aide d’État. La Cour, prudemment, ne tranche pas elle-même ce point, laissant à la juridiction nationale le soin de déterminer le véritable système de référence applicable en droit finlandais. Cette démarche illustre le dialogue des juges dans lequel la Cour fournit une grille d’analyse que le juge national doit ensuite appliquer aux faits de l’espèce.

B. La justification de la mesure par la nature du système fiscal

Une mesure, même si elle est sélective, peut échapper à la qualification d’aide d’État si elle est justifiée par la nature ou l’économie générale du système dans lequel elle s’inscrit. La Cour rappelle ce principe en précisant qu’un « tel régime peut se justifier par la nature ou l’économie générale du système dans lequel il s’inscrit ». Toutefois, elle assortit cette justification d’une condition stricte relative à la marge d’appréciation de l’autorité nationale. En effet, la justification ne peut être admise si l’autorité compétente bénéficie d’un pouvoir discrétionnaire l’habilitant à fonder ses « décisions d’autorisation sur des critères étrangers à ce régime fiscal ». En d’autres termes, si l’administration fiscale peut accorder ou refuser la déduction sur la base de considérations d’opportunité économique ou politique, plutôt que sur la base de critères objectifs et cohérents avec les principes du système fiscal lui-même, la justification sera écartée. Cette limite vise à empêcher que, sous couvert de gestion technique, les États membres n’exercent en réalité un pouvoir arbitraire pour favoriser certaines entreprises, faussant ainsi la concurrence dans le marché intérieur.

La qualification de la mesure étant ainsi encadrée, la Cour se penche sur les conséquences procédurales de son éventuelle classification en tant qu’aide existante.

II. Les conséquences procédurales de la classification en tant qu’aide existante

La Cour confirme que le régime, s’il constitue une aide, doit être traité comme une aide existante, ce qui permet son maintien temporaire (A), sans toutefois priver la Commission de ses prérogatives de contrôle pour l’avenir (B).

A. L’application du régime des aides existantes

La distinction entre aides nouvelles et aides existantes est fondamentale en droit de la concurrence de l’Union. Les aides nouvelles sont soumises à une obligation de notification préalable à la Commission et ne peuvent être mises à exécution avant leur approbation (effet *standstill*). Les aides existantes, quant à elles, peuvent continuer à être appliquées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité avec le marché intérieur. La Cour, dans le second point de sa décision, valide l’application de ce régime plus favorable, en affirmant que « L’article 108, paragraphe 3, TFUE ne s’oppose pas à ce qu’un régime fiscal, tel que celui prévu […], dans le cas où il devrait être qualifié d’“aide d’État”, continue, en raison de son caractère “existant”, à être appliqué ». Cette qualification découle vraisemblablement de l’ancienneté de la loi finlandaise, antérieure à l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne ou mise en place avant la libéralisation de certains secteurs. La conséquence pratique est majeure : l’État membre n’est pas tenu de suspendre l’application du régime d’autorisation, ce qui assure une sécurité juridique aux entreprises qui en ont bénéficié ou pourraient en bénéficier.

B. La préservation des compétences de la Commission européenne

Si le régime peut continuer de s’appliquer, il n’est pas pour autant soustrait au contrôle de l’Union européenne. La Cour prend soin de préciser que le maintien du régime se fait « sans préjudice de la compétence de la Commission européenne prévue audit article 108, paragraphe 3, TFUE ». Cela signifie que la Commission conserve la faculté d’ouvrir une procédure d’examen sur le fond pour évaluer la compatibilité du régime d’aide avec le marché intérieur. Si elle concluait à son incompatibilité, elle pourrait exiger de l’État membre qu’il mette fin au régime ou le modifie pour l’avenir. Elle ne pourrait cependant pas, en principe, ordonner la récupération des aides déjà versées au titre de ce régime existant. La solution de la Cour assure ainsi un équilibre entre le respect des situations juridiques acquises sous l’empire d’une législation ancienne et la nécessité de garantir des conditions de concurrence non faussées au sein du marché intérieur, qui demeure l’objectif final du contrôle des aides d’État.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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