Par un arrêt du 27 février 2015, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur le périmètre du droit d’accès du public aux documents des institutions. La Cour clarifie l’application du règlement (CE) n° 1049/2001 aux pièces de procédure détenues par la Commission.
En l’espèce, un citoyen avait demandé à la Commission l’accès à des documents relatifs à une procédure en manquement, et notamment aux mémoires déposés par un État membre dans le cadre de l’affaire juridictionnelle correspondante. La Commission refusa de communiquer ces mémoires, estimant qu’ils ne relevaient pas du champ d’application du règlement n° 1049/2001. Saisi par le citoyen, le Tribunal de l’Union européenne annula cette décision de refus par un arrêt du 27 février 2015. La Commission forma alors un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait commis une erreur de droit. Selon elle, l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui soumet la Cour de justice à l’obligation de transparence uniquement pour ses fonctions administratives, interdirait d’appliquer le règlement aux documents liés à l’activité juridictionnelle, surtout lorsqu’ils émanent d’un État membre et non d’une institution.
La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si des mémoires déposés par un État membre dans une procédure juridictionnelle, et détenus par la Commission, entrent dans le champ d’application du règlement n° 1049/2001.
La Cour de justice rejette le pourvoi de la Commission. Elle juge que de tels documents, dès lors qu’ils sont « détenus par une institution », relèvent bien du champ d’application du règlement. L’exclusion prévue à l’article 15, paragraphe 3, TFUE concerne la Cour de justice en tant qu’institution sollicitée pour un accès, mais ne crée pas une exclusion générale pour tous les documents de nature juridictionnelle, où qu’ils se trouvent. La protection de ces procédures est assurée non par une exclusion de principe, mais par les exceptions prévues à l’article 4 du règlement.
Cet arrêt confirme ainsi une conception large du droit d’accès, subordonnée à la seule détention matérielle du document par une institution (I), tout en réaffirmant que la protection des intérêts légitimes, comme le bon déroulement de la justice, s’opère par le jeu des exceptions prévues par le texte (II).
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I. L’extension du droit d’accès aux documents juridictionnels détenus par la Commission
La Cour de justice fonde sa solution sur une lecture extensive du champ d’application du règlement n° 1049/2001, indifférente à la provenance du document (A), et rejette l’argument d’une limitation qui découlerait de l’article 15, paragraphe 3, du TFUE (B).
A. La primauté de la détention du document sur son origine
La Cour rappelle que, selon l’article 2, paragraphe 3, du règlement, celui-ci « s’applique à tous les documents détenus par [une institution], c’est-à-dire établis ou reçus par [ces institutions] et en [leur] possession ». La définition d’un document, à l’article 3, est également très large, visant « tout contenu quel que soit son support ». Partant de ce constat, la Cour estime que le seul critère pertinent pour déterminer l’applicabilité du règlement est la détention d’un document par une des institutions visées, en l’occurrence la Commission.
Elle en déduit que « la circonstance que les documents détenus par l’une des institutions visées par le règlement n° 1049/2001 aient été établis par un État membre et présentent un lien avec des procédures juridictionnelles n’est pas de nature à exclure de tels documents du champ d’application de ce règlement ». La qualité de l’auteur, État membre ou autre tiers, ou la nature juridictionnelle de la pièce sont sans incidence à ce stade de l’analyse. Cette approche maximaliste garantit une portée très large au principe de transparence, en évitant que les institutions ne puissent se retrancher derrière la nature ou l’origine d’un document pour refuser d’examiner une demande d’accès sur le fond.
B. Le rejet d’une interprétation restrictive de l’article 15, paragraphe 3, TFUE
La Commission soutenait principalement que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et plus spécifiquement de l’article 15, paragraphe 3, quatrième alinéa, TFUE, commandait une lecture plus restrictive du règlement. Cette disposition prévoit que la Cour de justice n’est soumise au régime d’accès aux documents « que lorsqu’elle exerce des fonctions administratives ». La Commission en inférait une interdiction pour le législateur d’étendre le droit d’accès aux documents liés à l’activité juridictionnelle, surtout ceux non établis par une institution.
La Cour écarte fermement cette argumentation. Elle explique que cette disposition a pour seul objet de limiter le champ d’application du droit d’accès lorsque la demande est adressée à la Cour de justice elle-même concernant son activité juridictionnelle. En revanche, elle « ne fait pas obstacle à l’application de ce régime à une institution, […] telle que la Commission, lorsque celle-ci détient des documents établis par un État membre […] en rapport avec des procédures juridictionnelles ». Loin de restreindre le droit d’accès, l’article 15 TFUE l’a au contraire élargi en l’étendant à tous les organes et organismes de l’Union. L’exception visant la Cour de justice est une exception stricte, qui ne saurait être interprétée comme créant une nouvelle catégorie de documents exclus par nature du champ d’application du règlement n° 1049/2001.
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II. La portée de la solution au regard du principe de transparence
En affirmant l’applicabilité du règlement aux mémoires litigieux, la Cour renforce la primauté du principe de transparence. Elle précise que la protection des procédures juridictionnelles est assurée par un mécanisme d’exceptions (A) et non par une exclusion de principe, ce qui conforte le pouvoir d’appréciation au cas par cas des institutions (B).
A. L’articulation du droit d’accès et de la protection des procédures juridictionnelles
La Cour prend soin de préciser que sa solution ne laisse pas les procédures juridictionnelles sans protection. Elle rappelle que le règlement n° 1049/2001 contient lui-même les instruments nécessaires à cet équilibre. L’article 4, paragraphe 2, deuxième tiret, prévoit ainsi que les institutions refusent l’accès « dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection […] des procédures juridictionnelles », sauf intérêt public supérieur. La Cour mentionne à cet égard sa propre jurisprudence qui a établi une « présomption générale selon laquelle la divulgation des mémoires déposés […] dans le cadre d’une procédure juridictionnelle porte atteinte à la protection d’une procédure juridictionnelle » tant que celle-ci est pendante.
Cette approche est fondamentale. Elle déplace le débat du champ d’application du règlement vers l’examen au fond des exceptions. Un document n’est pas inaccessible par nature, mais son accès peut être refusé si sa divulgation nuit à un intérêt protégé. La Cour souligne ainsi la différence entre l’inapplicabilité du règlement, qui fermerait toute discussion, et le refus d’accès motivé au titre d’une exception, qui reste susceptible d’un contrôle juridictionnel et doit être mis en balance avec un éventuel intérêt public supérieur. La protection des procédures juridictionnelles est donc assurée, mais de manière proportionnée et contrôlée, non de manière absolue.
B. La consécration d’un examen au cas par cas par l’institution détentrice
La conséquence logique de cette décision est de confier à l’institution qui détient le document la responsabilité d’examiner, au cas par cas, si une exception s’oppose à sa divulgation. En l’espèce, il revenait donc à la Commission d’évaluer si la communication des mémoires de l’État membre portait atteinte à la protection des procédures juridictionnelles, même si la procédure en question était terminée.
La Cour rappelle également l’existence de l’article 4, paragraphe 5, du règlement, qui permet à un État membre de demander à une institution de ne pas divulguer un document émanant de lui sans son accord préalable. Toutefois, elle réitère que cette disposition n’instaure pas un « droit de veto général et inconditionnel », mais ouvre un dialogue entre l’État membre et l’institution pour apprécier l’application des exceptions matérielles. L’arrêt renforce ainsi le rôle central de l’institution détentrice dans la mise en œuvre du droit d’accès et dans la recherche d’un juste équilibre entre transparence et protection des autres intérêts légitimes. Il confirme que la transparence est le principe, et le secret, l’exception dûment motivée.