Par un arrêt rendu par sa deuxième chambre, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la légalité de certaines dispositions d’une directive relative aux états financiers des entreprises. Un État membre avait introduit un recours en annulation contre la directive 2013/34/UE, visant spécifiquement les dispositions qui encadrent strictement sa faculté d’imposer des obligations comptables supplémentaires aux petites entreprises. Selon le requérant, ces limitations, ainsi que la possibilité offerte aux États membres d’exempter les entreprises du principe de la « prééminence de la substance sur la forme », méconnaissaient les principes de proportionnalité, de subsidiarité et l’obligation de motivation. La procédure a vu s’opposer l’État membre requérant d’une part, et le Parlement européen et le Conseil d’autre part, ces derniers étant soutenus par la Commission européenne. Les institutions défenderesses ont d’abord soulevé l’irrecevabilité du recours en annulation partielle, arguant que les dispositions contestées n’étaient pas détachables du reste de l’acte. La question juridique centrale portait sur le point de savoir si le législateur de l’Union, en cherchant à alléger les charges administratives des petites entreprises par une harmonisation poussée, avait outrepassé ses compétences en vertu des traités. La Cour a jugé le recours en annulation partielle irrecevable au motif que les dispositions contestées étaient consubstantielles à l’équilibre recherché par la directive, mais a examiné la demande subsidiaire d’annulation totale. Sur le fond, elle a rejeté l’ensemble des moyens soulevés, validant ainsi l’approche du législateur. Cette décision confirme la marge d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union pour harmoniser le droit comptable, y compris en établissant un régime différencié pour les petites entreprises.
La solution retenue par la Cour repose sur une conception stricte de l’harmonisation, perçue comme un système cohérent dont les éléments ne sauraient être dissociés (I), justifiant par là même une application rigoureuse des principes de gouvernance de l’Union pour préserver les objectifs politiques de la directive (II).
I. La consécration d’une harmonisation comptable indivisible
La Cour affirme d’abord le caractère indissociable des mesures d’harmonisation attaquées en raison de leur lien substantiel avec les objectifs de la directive (A), ce qui la conduit logiquement à reconnaître la latitude dont jouit le législateur dans la poursuite de ces mêmes objectifs (B).
A. L’indivisibilité substantielle des dispositions attaquées
La Cour rejette la demande d’annulation partielle en se fondant sur une jurisprudence constante qui subordonne une telle annulation à la condition que les éléments visés soient détachables du reste de l’acte. Elle estime que l’annulation des dispositions limitant les obligations comptables des petites entreprises aurait pour effet de modifier la substance même de la directive. Le juge de l’Union met en évidence que le législateur a cherché à atteindre « un double équilibre, à la fois entre entreprises et utilisateurs d’information financière, ainsi qu’entre grandes et petites entreprises ». Les dispositions contestées, qui limitent la marge de manœuvre des États membres pour alourdir la charge administrative des petites entreprises, sont jugées « consubstantielles à l’obtention des équilibres recherchés par le législateur de l’Union ».
En liant ainsi le sort des dispositions spécifiques au régime général de la directive, la Cour souligne que le traitement allégé accordé aux petites entreprises n’est pas une simple dérogation accessoire, mais un pilier central de la réforme. Cette approche maximaliste de l’harmonisation vise à prévenir un détricotage de l’acte législatif qui, même partiel, en compromettrait la finalité. L’analyse ne se limite donc pas à un examen formel de la séparabilité des articles, mais s’attache à la cohérence du projet politique porté par la directive. En qualifiant les mesures de « consubstantielles », la Cour renforce la portée de l’harmonisation et protège l’intégrité de l’équilibre délicat que le législateur a entendu instaurer entre des intérêts divergents.
B. La reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation du législateur
Ayant établi l’indivisibilité de la directive, la Cour examine le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité. Elle rappelle que son contrôle est restreint face aux choix de nature politique, économique et sociale du législateur. Seul « le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure ». Appliquant ce standard de contrôle limité, la Cour juge que les limitations imposées aux États membres sont aptes à réaliser l’objectif de réduction de la charge administrative pesant sur les petites entreprises.
L’argument de l’État requérant, qui mettait en avant l’avancement de son administration électronique et la spécificité de son tissu économique, est écarté. La Cour considère que la recherche d’un équilibre doit s’apprécier à l’échelle de l’Union et non au regard de la situation particulière d’un État membre. De même, la faculté d’exempter les entreprises du principe de la prééminence de la substance sur la forme est validée, l’État requérant n’ayant pas démontré le caractère « manifestement inapproprié » de cette mesure. Cette retenue du juge témoigne du respect de la marge d’appréciation du législateur de l’Union dans l’arbitrage complexe entre l’objectif de comparabilité de l’information financière et la nécessité de ne pas imposer de contraintes excessives aux plus petites structures économiques.
II. La validation du traitement différencié au nom de l’intérêt de l’Union
La Cour confirme ensuite que le choix d’un régime spécifique pour les petites entreprises relève d’une correcte application du principe de subsidiarité (A) et que les mesures concrètes qui en découlent respectent les exigences du principe de proportionnalité (B).
A. Le principe de subsidiarité apprécié au regard de l’interdépendance des objectifs
La Cour rejette le moyen tiré de la méconnaissance du principe de subsidiarité en soulignant l’interconnexion des objectifs poursuivis par la directive. D’une part, l’acte vise à harmoniser les états financiers pour garantir la comparabilité de l’information au sein du marché intérieur. D’autre part, il entend alléger la charge administrative des petites entreprises. La Cour relève que si le second objectif pouvait être atteint au niveau national, une telle approche risquerait de créer des distorsions et d’aller « à l’exact opposé de l’objectif premier de la directive ».
Le raisonnement de la Cour est fondé sur l’idée que « le législateur de l’Union pouvait légitimement estimer que son action devait comporter un régime spécial des petites entreprises et que, en raison de cette interdépendance, ce double objectif pouvait être mieux réalisé au niveau de l’Union ». L’analyse de la subsidiarité n’est pas menée pour chaque objectif isolément, mais pour le projet législatif dans son ensemble. En validant l’action de l’Union au motif que ses différents buts sont indissociables, la Cour confère une base solide à des interventions législatives qui poursuivent des finalités multiples, parfois en tension. Le principe de subsidiarité ne saurait ainsi être invoqué pour démembrer une politique intégrée, dont l’efficacité dépend précisément de sa mise en œuvre uniforme à travers l’Union.
B. Le principe de proportionnalité au service de la limitation des charges administratives
L’examen de la proportionnalité des mesures spécifiques confirme la volonté de donner la primauté à l’allégement des contraintes pour les petites entreprises. La Cour juge que l’interdiction faite aux États membres d’imposer des exigences supplémentaires, sauf à des fins fiscales strictes, est une limite fondée sur des critères objectifs. Cette restriction est jugée « propre à réaliser un des objectifs visés par la directive, à savoir celui de limiter l’alourdissement de la charge administrative pesant sur les petites entreprises ». La Cour se refuse à substituer son appréciation à celle du législateur quant à l’équilibre trouvé entre les besoins des utilisateurs d’informations financières et les intérêts des entreprises.
L’État requérant ne parvient pas à démontrer que cette mesure porterait une « atteinte manifestement excessive » aux intérêts des créanciers ou des investisseurs. La décision entérine ainsi le choix politique du législateur de l’Union, traduit par le principe « priorité aux PME ». En validant une harmonisation qui restreint explicitement les pouvoirs des États membres au nom de la simplicité administrative, la Cour donne une portée concrète à cet objectif. Elle confirme que le principe de proportionnalité peut justifier une harmonisation quasi-totale sur certains segments du droit des sociétés, dès lors que cette uniformité est nécessaire pour protéger les entreprises les plus vulnérables des complexités réglementaires.