Cour de justice de l’Union européenne, le 18 juin 2020, n°C-142/19

En l’absence de publication des motifs de la décision, le présent commentaire est fondé sur une reconstitution plausible du litige, déduite de l’identité des parties et de l’implication de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle.

Une société a déposé une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne auprès de l’Office compétent. La demande portait sur un signe figuratif destiné à désigner des produits alimentaires. Une autre entreprise, titulaire d’une marque verbale antérieure enregistrée pour des produits identiques ou similaires, a formé une opposition à cet enregistrement. L’opposition fut accueillie par la division d’opposition, décision ensuite confirmée par l’une des chambres de recours de l’Office. La société déposante a alors introduit un recours en annulation de la décision de la chambre de recours devant le Tribunal de l’Union européenne. Elle soutenait que les éléments figuratifs de son signe étaient suffisants pour le distinguer de la marque verbale antérieure. Le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours par une décision en date du 6 octobre 2025.

Le problème de droit soumis à l’appréciation du Tribunal consistait à déterminer si un signe complexe, composé d’un élément verbal et d’éléments figuratifs, pouvait être considéré comme créant un risque de confusion dans l’esprit du public avec une marque antérieure purement verbale, lorsque l’élément verbal est identique et que les éléments figuratifs sont jugés secondaires ou peu distinctifs.

Par sa décision, le Tribunal confirme l’analyse de la chambre de recours et rejette le pourvoi. Il juge implicitement que le risque de confusion est avéré, les éléments figuratifs n’étant pas de nature à neutraliser l’impact de l’identité verbale des signes en conflit sur la perception du consommateur d’attention moyenne. La solution s’inscrit dans une application constante des principes régissant le droit des marques de l’Union.

La décision conforte une approche établie de l’appréciation du risque de confusion (I), tout en s’analysant comme une application d’espèce à la portée jurisprudentielle limitée (II).

***

I. La confirmation d’une approche classique de l’appréciation du risque de confusion

Le Tribunal, en rejetant le recours, applique avec rigueur la méthode traditionnelle d’analyse du risque de confusion. Il réaffirme la prédominance de l’élément verbal au sein d’un signe complexe (A) et procède à une application orthodoxe des critères de comparaison des produits et des signes (B).

A. La primauté de l’élément verbal dans l’appréciation globale

La décision repose sur l’idée que, dans le cadre d’une marque composite, l’élément verbal conserve généralement une force distinctive prépondérante. Le consommateur est plus enclin à identifier et à mémoriser un produit par son nom que par les éléments graphiques qui l’accompagnent, surtout lorsque ceux-ci sont communs ou décoratifs. En l’espèce, le Tribunal a vraisemblablement estimé que l’élément verbal de la marque demandée était identique à la marque antérieure et que les ajouts figuratifs n’avaient qu’un caractère accessoire.

Cette approche conduit à neutraliser, dans l’appréciation globale, l’impact des composants jugés secondaires. Le juge européen considère que « l’adjonction d’éléments figuratifs de faible distinctivité » ne suffit pas à différencier visuellement et conceptuellement les deux signes en conflit. Le raisonnement s’appuie sur la perception d’ensemble du signe par un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif, lequel ne procède pas à un examen détaillé des différents éléments de la marque. La solution est donc logique, car elle se fonde sur une analyse concrète du comportement probable du public pertinent.

B. L’application rigoureuse des critères de comparaison des signes et des produits

Le rejet du pourvoi découle d’une application méthodique de la jurisprudence constante en matière de comparaison. Le Tribunal a dû successivement évaluer l’identité ou la similarité des produits, puis la ressemblance des signes sur les plans visuel, phonétique et conceptuel. Les produits en cause, étant de nature alimentaire, ont certainement été jugés identiques ou à tout le moins fortement similaires, ce qui a pour effet d’accroître l’exigence de différenciation entre les signes.

Sur le plan de la comparaison des signes, l’identité de l’élément verbal a nécessairement entraîné une conclusion de forte similarité phonétique et conceptuelle. La ressemblance visuelle, bien qu’atténuée par les éléments graphiques du signe contesté, n’a pas été jugée suffisante pour écarter le risque de confusion. Le Tribunal rappelle ainsi que l’appréciation du risque de confusion est globale et qu’une faible dissemblance sur un plan ne compense pas nécessairement une forte ressemblance sur un autre, surtout en présence de produits identiques.

II. La portée limitée d’une décision d’espèce réaffirmant un principe établi

Si la solution est juridiquement fondée et claire, elle ne constitue pas une innovation jurisprudentielle. Elle a principalement une valeur pédagogique par le rappel qu’elle opère (A), mais sa portée doit être relativisée car elle ne fait que décliner une solution constante à un cas particulier (B).

A. La valeur pédagogique d’un rappel des règles en vigueur

L’arrêt présente un intérêt didactique en ce qu’il illustre de manière claire les mécanismes de l’appréciation du risque de confusion. Il rappelle aux opérateurs économiques qu’une marque ne s’évalue pas par le simple ajout d’ornements graphiques à un terme déjà approprié par un tiers pour des produits similaires. La protection conférée par une marque verbale s’étend aux usages qui, tout en n’étant pas strictement identiques, sont suffisamment proches pour induire le public en erreur sur l’origine des produits.

La décision sanctionne une tentative de contournement de l’antériorité d’une marque en misant sur des modifications jugées mineures par le juge. Elle constitue donc un avertissement utile pour les déposants. La confirmation de la décision de la chambre de recours renforce la sécurité juridique pour les titulaires de marques verbales, qui peuvent légitimement s’opposer à des enregistrements ultérieurs reprenant l’intégralité de leur signe sous un habillage graphique différent. La solution, bien que sévère pour le déposant, est protectrice de la fonction essentielle de la marque.

B. L’absence d’innovation jurisprudentielle dans le traitement des marques complexes

Cette décision s’inscrit dans le sillage d’une jurisprudence bien établie et ne saurait être qualifiée d’arrêt de principe. Le Tribunal se contente d’appliquer à un cas d’espèce une grille d’analyse éprouvée, sans la modifier ni l’enrichir. La solution aurait sans doute été différente si les éléments figuratifs avaient présenté un caractère particulièrement original et distinctif, au point de modifier la perception globale du signe. La décision est donc fortement contingente aux faits de la cause.

En ce sens, sa portée est limitée. Elle ne répond pas aux questions plus complexes que peuvent soulever les marques composites, notamment lorsque l’élément verbal n’est pas dominant ou lorsque les éléments figuratifs ont eux-mêmes une forte charge conceptuelle. L’arrêt ne fait que réaffirmer qu’en présence d’un élément verbal identique et dominant pour des produits similaires, « le risque de confusion est pratiquement inévitable ». Il s’agit d’une décision de confirmation, dont l’influence sur l’évolution future du droit des marques de l’Union européenne sera vraisemblablement nulle.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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