Par un arrêt non daté, la Cour de justice des Communautés européennes a statué sur le recours en manquement introduit par la Commission à l’encontre d’un État membre. Ce dernier n’avait pas transposé dans le délai imparti la directive 2003/55/CE du 26 juin 2003, laquelle établit des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Les faits de l’espèce sont simples et révèlent une carence purement normative. La directive fixait au 1er juillet 2004 la date limite pour l’adoption et la publication des dispositions nationales nécessaires à sa mise en conformité. Face à l’inertie de l’État membre concerné, la Commission a engagé la procédure prévue à l’article 226 du traité CE, en adressant une lettre de mise en demeure, puis, en l’absence de régularisation, un avis motivé. L’État membre n’ayant toujours pas adopté les mesures requises à l’expiration du délai fixé dans cet avis, la Commission a saisi la Cour de justice.
Il était donc demandé à la Cour de déterminer si l’absence d’adoption des dispositions nationales de transposition d’une directive dans le délai imparti suffisait à caractériser un manquement aux obligations découlant du traité. La question portait sur la nature objective de l’infraction et sur le moment précis où celle-ci doit être appréciée par le juge de l’Union. En réponse, la Cour a jugé, sans ambiguïté, que l’État mis en cause avait effectivement failli à ses devoirs. Elle déclare que « en n’adoptant pas, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». Cette solution, classique dans son fondement, illustre la rigueur avec laquelle la Cour apprécie les obligations de transposition (I), tout en réaffirmant le rôle central de la directive dans l’édification du marché intérieur (II).
I. La caractérisation rigoureuse du manquement par omission
La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence constante qui apprécie le manquement d’État de manière stricte, en se fondant sur une constatation purement objective de l’infraction (A) et en manifestant une totale indifférence à l’égard des éventuelles justifications tirées de l’ordre juridique interne (B).
A. La constatation objective de l’infraction
Le raisonnement de la Cour s’articule autour d’un principe cardinal du contentieux en manquement : la situation à prendre en considération est celle existant à l’expiration du délai fixé par l’avis motivé. Le point 7 des motifs de l’arrêt le rappelle sobrement, mais fermement. Cette règle temporelle a une conséquence déterminante : elle cristallise le manquement. Toute mesure de transposition adoptée postérieurement à cette date est sans pertinence pour apprécier l’existence de l’infraction, même si elle intervenait avant le prononcé de l’arrêt. Le manquement est ainsi constitué par le seul fait matériel du non-respect de l’échéance. La Cour n’a pas à rechercher les causes ou la complexité du processus législatif interne ; elle se limite à un constat objectif et factuel.
Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et l’application uniforme du droit de l’Union. En se plaçant à une date précise et incontestable, la Cour évite de s’immiscer dans des débats sur les efforts entrepris par l’État ou sur le caractère imminent de la transposition. L’obligation de transposer une directive dans le délai prescrit est une obligation de résultat. Le simple fait que le résultat ne soit pas atteint à la date butoir suffit à caractériser la faute de l’État, sans qu’il soit besoin de démontrer une intention ou une négligence particulière de sa part. La solution retenue confirme que l’infraction est constituée indépendamment de ses effets concrets sur le marché ou sur les droits des particuliers.
B. L’indifférence des justifications internes
Bien que l’arrêt ne détaille pas les arguments qu’aurait pu avancer l’État défendeur, il est de jurisprudence bien établie qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, de pratiques ou de circonstances de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit de l’Union. La condamnation prononcée dans la présente espèce est une application implicite mais certaine de ce principe. Qu’il s’agisse de difficultés politiques, de contraintes administratives, de lenteurs parlementaires ou de complexités techniques, aucune de ces raisons n’est jugée recevable par la Cour. L’État membre est considéré comme un bloc unitaire et il lui appartient de prendre toutes les mesures appropriées pour garantir l’exécution de ses obligations européennes en temps utile.
Cette sévérité est la contrepartie de la souveraineté que les États conservent dans le choix des moyens pour atteindre les objectifs fixés par une directive, comme le prévoit l’article 249, alinéa 3, du traité CE. La souplesse laissée quant à la forme et aux méthodes de transposition a pour corollaire une exigence absolue quant au respect du délai. Accepter des justifications internes reviendrait à permettre à chaque État de moduler l’application du droit de l’Union à sa convenance, ce qui porterait une atteinte fatale aux principes de primauté et d’uniformité. La décision, par sa simplicité, rappelle que l’ordre juridique de l’Union ne saurait être subordonné aux aléas des ordres juridiques nationaux.
Ainsi, en établissant le manquement sur une base purement objective, la Cour ne se contente pas de sanctionner une négligence administrative ; elle rappelle la force normative de l’acte en cause.
II. La portée réaffirmée de l’obligation de transposition
Au-delà de la sanction d’un cas d’espèce, l’arrêt réaffirme le caractère fondamental de l’obligation de transposition, laquelle conditionne l’effectivité de la directive en tant qu’instrument d’harmonisation (A) et justifie le rôle de gardien des traités dévolu à la Commission par le recours en manquement (B).
A. L’effet contraignant de la directive, instrument d’harmonisation
La directive est l’outil privilégié de la construction du marché intérieur, notamment dans des secteurs techniques comme celui de l’énergie. Elle vise à rapprocher les législations nationales pour lever les entraves aux échanges. Cependant, cet instrument ne peut produire ses pleins effets que si tous les États membres procèdent à sa transposition complète et correcte dans les délais impartis. Le point 6 des motifs de l’arrêt, en se référant à l’article 249, alinéa 3, du traité CE, souligne que la directive « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre ». Le manquement sanctionné ici n’est donc pas une simple formalité ; il constitue un obstacle direct à la réalisation des objectifs de la politique énergétique de l’Union, en l’occurrence la création d’un marché intérieur du gaz naturel concurrentiel et ouvert.
L’absence de transposition par un seul État membre crée une asymétrie réglementaire qui fragilise l’édifice commun. Elle prive les opérateurs économiques et les consommateurs de cet État des droits et garanties prévus par la directive, tout en faussant les conditions de concurrence au sein du marché unique. En condamnant fermement cette inertie, la Cour rappelle que l’obligation de transposition n’est pas une simple faculté, mais un devoir impérieux dont dépend la cohérence et le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union. La force de l’arrêt réside dans sa capacité à rappeler cette exigence essentielle avec une économie de moyens qui en renforce l’autorité.
B. Le recours en manquement, garantie de l’effectivité du droit de l’Union
Cette affaire illustre parfaitement le mécanisme du recours en manquement comme instrument essentiel pour assurer l’effectivité du droit de l’Union. La procédure précontentieuse, menée par la Commission à travers la lettre de mise en demeure et l’avis motivé, a pour but de donner à l’État l’opportunité de régulariser sa situation. Ce n’est qu’en cas d’échec de ce dialogue que la phase contentieuse est initiée. En saisissant la Cour, la Commission exerce son rôle de « gardienne des traités » et agit dans l’intérêt général de l’Union pour faire cesser une situation illicite.
La condamnation de l’État membre, bien que déclaratoire, a une portée significative. Elle établit de manière irréfutable l’existence de l’infraction et met l’État en demeure de se conformer à l’arrêt dans les plus brefs délais, sous peine de se voir infliger des sanctions pécuniaires dans le cadre d’une procédure ultérieure en manquement sur manquement. La décision commentée, par sa nature exemplaire, a également une portée préventive. Elle adresse un signal clair à l’ensemble des États membres sur la détermination de la Commission et de la Cour à ne tolérer aucun retard dans l’exécution des obligations découlant des directives. Elle contribue ainsi à maintenir la discipline collective nécessaire à l’approfondissement de l’intégration européenne.