Par un arrêt en date du 18 mai 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la libre prestation de services des avocats au sein de l’Union. En l’espèce, un avocat français inscrit au barreau de Luxembourg s’est vu refuser par l’Ordre des avocats du barreau de Lyon la délivrance d’un boîtier de raccordement au réseau privé virtuel des avocats. Ce refus était motivé par le fait que le praticien n’était pas inscrit à un barreau français. L’avocat a alors saisi en référé le tribunal de grande instance de Lyon afin d’obtenir cet équipement indispensable à la communication dématérialisée avec les juridictions. Face à cette situation, la juridiction française a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice, sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La question posée visait à déterminer si le refus de délivrer le boîtier à un avocat d’un autre État membre, au seul motif de sa non-inscription locale, constituait une mesure discriminatoire contraire à l’article 4 de la directive 77/249/CEE. La Cour de justice a jugé que ce refus constitue bien une restriction à la libre prestation de services, tout en renvoyant à la juridiction nationale le soin de vérifier si cette entrave est justifiée et proportionnée.
La solution retenue par la Cour consacre ainsi la qualification de restriction pour une mesure d’apparence technique, en raison de l’obstacle qu’elle dresse à l’exercice de la profession. Cette reconnaissance impose ensuite une analyse rigoureuse de sa potentielle justification, dont la charge est confiée au juge national.
I. La qualification d’une entrave à la libre prestation de services
La Cour de justice établit sans ambiguïté que le refus d’accès au réseau dématérialisé constitue une restriction à la libre prestation de services. Elle considère d’abord que cette mesure rend l’exercice de l’activité d’avocat plus difficile et moins attrayant pour le prestataire transfrontalier. Ensuite, elle rappelle que le droit de l’Union s’oppose à toute condition d’inscription à une organisation professionnelle locale pour la fourniture de services.
A. Une mesure rendant l’exercice de la profession moins attrayant
La Cour relève que le refus de délivrance du boîtier de raccordement est de nature à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation de services. En effet, la dématérialisation des procédures est devenue une modalité courante de l’exercice judiciaire, gage de célérité et d’efficacité. Priver un avocat de cet outil le contraint à utiliser des moyens de communication alternatifs, tels que le dépôt au greffe ou la voie postale. La Cour souligne que ces méthodes alternatives « sont plus contraignantes et, en principe, plus onéreux » que la communication électronique. En pratique, cette différence de traitement place l’avocat non-inscrit localement dans une situation désavantageuse par rapport à ses confrères qui, eux, bénéficient d’un accès direct et simplifié aux juridictions. Cette situation constitue une restriction au sens de la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle sont interdites les mesures nationales qui « interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté ».
B. Une restriction fondée sur une condition d’inscription prohibée
Au-delà de l’aspect pratique, le refus se heurte au principe fondamental posé par la directive 77/249/CEE. L’article 4, paragraphe 1, de ce texte dispose que les activités de représentation en justice sont exercées dans chaque État membre d’accueil « dans les conditions prévues pour les avocats établis dans cet État, à l’exclusion de toute condition de résidence ou d’inscription à une organisation professionnelle dans ledit État ». Or, le refus du barreau de Lyon était exclusivement fondé sur la non-inscription de l’avocat à un barreau français. Cette exigence est précisément le type de condition que la directive a pour objet d’écarter, afin de garantir l’effectivité de la libre prestation de services. En liant l’accès à un outil essentiel de la pratique professionnelle à une condition d’inscription locale, la réglementation française et la pratique qui en découle réintroduisent une barrière que le législateur de l’Union a entendu supprimer.
Une telle restriction n’est cependant pas nécessairement contraire au droit de l’Union. Elle peut être admise si elle poursuit un objectif légitime et respecte le principe de proportionnalité, une analyse que la Cour délègue prudemment au juge national.
II. L’appréciation déléguée de la justification de la restriction
La Cour de justice admet que des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la bonne administration de la justice et la protection des consommateurs, peuvent justifier une entrave à une liberté fondamentale. Toutefois, elle encadre strictement l’appréciation que le juge national devra porter sur la mesure, en lui imposant de vérifier son caractère proportionné et sa cohérence.
A. L’admission de justifications liées à la bonne administration de la justice
Pour justifier le refus, les autorités françaises avançaient la nécessité de garantir la sécurité des échanges et de vérifier la qualité d’avocat du prestataire. Le système de raccordement repose en effet sur un certificat électronique personnel, lui-même relié à un annuaire national des avocats inscrits en France et mis à jour quotidiennement. Ce dispositif permet de s’assurer à chaque connexion que l’utilisateur a bien la qualité pour postuler. La Cour reconnaît la légitimité de ces objectifs, considérant que la « bonne administration de la justice » et la « protection des consommateurs » figurent au nombre des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle admet ainsi qu’un système d’identification visant à s’assurer que seuls les avocats qualifiés peuvent se connecter est, en tant que tel, propre à garantir la réalisation de ces objectifs. La Cour valide donc le principe d’un contrôle, mais non l’exclusion automatique des avocats non-inscrits.
B. Le contrôle de proportionnalité et de cohérence renvoyé au juge national
La Cour de justice laisse à la juridiction de renvoi le soin d’opérer le contrôle final de proportionnalité. Elle lui demande d’abord d’apprécier s’il est possible de faire en sorte que les avocats établis dans un autre État membre disposent du boîtier de raccordement « moyennant certains aménagements », tout en assurant une protection équivalente. Le juge national doit donc rechercher s’il existe des mesures moins restrictives, comme la mise en place d’un système de vérification ad hoc pour les avocats européens. Ensuite, la Cour invite à un examen de la cohérence du système. Elle relève que, pour les modes de communication traditionnels comme le dépôt au greffe, la vérification de la qualité d’avocat n’est peut-être pas aussi systématique. Or, si le contrôle est moins rigoureux pour une voie de communication que pour une autre, le refus absolu d’accès à la voie dématérialisée « ne saurait être regardé comme cohérent par rapport aux objectifs » poursuivis. Le juge national est donc chargé de vérifier si les restrictions imposées sont justifiées et n’apparaissent pas disproportionnées, guidé par les critères précis fournis par la Cour.