Dans la décision soumise à commentaire, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’étendue du droit à un congé rémunéré pour une travailleuse ayant eu recours à une convention de gestation pour autrui. En l’espèce, une femme, en raison de son incapacité à porter un enfant, a fait appel à une mère porteuse pour avoir un enfant. À la suite de la naissance, son employeur lui a refusé l’octroi d’un congé payé d’une durée équivalente à celle d’un congé de maternité ou d’un congé d’adoption.
Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour devait interpréter plusieurs directives européennes relatives à l’égalité de traitement en matière d’emploi. La travailleuse soutenait que le refus qui lui était opposé constituait une discrimination directe ou indirecte fondée, d’une part, sur le sexe, en violation de la directive 2006/54/CE, et, d’autre part, sur le handicap, en violation de la directive 2000/78/CE. L’argumentation adverse reposait sur une lecture restrictive des finalités de ces congés, estimant que la situation d’une mère d’intention ne correspondait ni à la protection de la condition biologique de la femme après l’accouchement, ni à la définition du handicap au sens du droit de l’Union.
Le problème de droit soumis à la Cour était donc double. Il s’agissait premièrement de déterminer si le refus d’octroyer un congé équivalent au congé de maternité à une mère commanditaire constitue une discrimination fondée sur le sexe. Secondement, il lui incombait de dire si un tel refus pouvait être analysé comme une discrimination fondée sur le handicap, l’incapacité de procréer pouvant être assimilée à ce dernier.
À cette double interrogation, la Cour de justice apporte une réponse négative et circonstanciée. Elle juge que « ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe le fait de refuser d’accorder un congé payé équivalent à un congé de maternité à une travailleuse, en sa qualité de mère commanditaire ayant eu un enfant grâce à une convention de mère porteuse ». De surcroît, elle considère que « ne constitue pas une discrimination fondée sur le handicap le fait de refuser d’accorder un congé payé équivalent à un congé de maternité ou à un congé d’adoption à une travailleuse étant dans l’incapacité de porter un enfant ». Cette solution repose sur une interprétation stricte des textes européens, qui distingue nettement la protection de la maternité biologique d’une part, et la notion de handicap d’autre part.
La Cour opère une distinction rigoureuse entre la situation de la mère biologique et celle de la mère d’intention, limitant ainsi le bénéfice du congé de maternité à la première (I). Par ailleurs, elle refuse de qualifier l’infertilité de handicap au sens du droit de l’Union, fermant ainsi la seconde voie de recours pour la requérante (II).
I. Une interprétation stricte du congé de maternité excluant la mère d’intention
La Cour de justice, en se fondant sur la finalité de la directive 2006/54/CE, retient une conception essentiellement biologique du congé de maternité (A), ce qui a pour conséquence de laisser sans réponse juridique européenne harmonisée la situation des parents d’intention (B).
A. La finalité biologique du congé de maternité comme critère dirimant
La décision de la Cour repose sur une analyse téléologique du congé de maternité. Celui-ci, aux termes du droit de l’Union, vise un double objectif : assurer la protection de la condition biologique de la femme durant et après sa grossesse, ainsi que la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant pendant la période qui suit l’accouchement. Or, la mère commanditaire, n’ayant ni subi les contraintes physiques de la grossesse ni accouché, ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’une mère biologique.
La Cour souligne ainsi que le congé de maternité est intrinsèquement lié à l’état de grossesse et à ses suites. En affirmant que « ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe le fait de refuser d’accorder un congé payé équivalent à un congé de maternité », elle signifie que la différence de traitement entre une mère biologique et une mère d’intention est justifiée par une différence de situation objective. Le critère du sexe est inopérant, car la comparaison pertinente n’est pas celle entre un homme et une femme, mais entre deux femmes dans des situations distinctes au regard de la maternité. Cette approche formaliste ancre le droit au congé dans une réalité physique, au détriment d’une conception plus sociale ou intentionnelle de la parentalité.
B. La consécration d’une lacune juridique face aux nouvelles formes de parentalité
En refusant d’étendre le bénéfice du congé de maternité, la Cour met en lumière une lacune du droit de l’Union. Si elle précise que la situation d’une mère d’intention « en ce qui concerne l’attribution d’un congé d’adoption ne relève pas de cette directive », elle ne statue pas sur le fond de cette question, qui dépend des législations nationales. Cette prudence crée une incertitude juridique pour les familles ayant recours à la gestation pour autrui, dont le statut varie considérablement d’un État membre à l’autre.
La portée de la décision est donc ambivalente. D’un côté, elle clarifie le sens de la directive 2006/54/CE en confirmant que le congé de maternité n’est pas un congé parental généralisé. D’un autre côté, elle renvoie la question des droits parentaux post-GPA aux États membres, sans fournir de cadre harmonisé. Cette position peut être perçue comme un respect du principe de subsidiarité, mais elle contribue à maintenir des disparités de traitement au sein de l’Union et souligne l’inadaptation du droit dérivé actuel face à l’évolution des configurations familiales.
II. Le refus de reconnaître l’infertilité comme un handicap au sens du droit de l’Union
Après avoir examiné le grief tiré de la discrimination fondée sur le sexe, la Cour se penche sur celui relatif au handicap. Elle adopte une définition fonctionnelle du handicap qui exclut l’infertilité de son champ d’application (A), tout en précisant la portée interprétative des conventions internationales en la matière (B).
A. Une définition fonctionnelle du handicap limitée à la participation à la vie professionnelle
La Cour de justice interprète la directive 2000/78/CE à la lumière de sa finalité, qui est de lutter contre les discriminations dans l’emploi et le travail. Le handicap, selon la jurisprudence constante, se définit comme une limitation résultant d’atteintes durables qui, en interaction avec diverses barrières, peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs. La Cour juge que l’incapacité de porter un enfant ne constituye pas, en soi, une telle barrière.
En décidant que « ne constitue pas une discrimination fondée sur le handicap le fait de refuser d’accorder un congé payé » à une femme infertile, la Cour estime que l’infertilité n’empêche pas l’accès, la participation ou la progression dans l’emploi. Le refus du congé n’est pas lié à un obstacle professionnel découlant de l’infertilité, mais au choix de recourir à une méthode de procréation non encadrée par les dispositifs de congé existants. Cette lecture restrictive de la notion de handicap vise à préserver l’objet de la directive, qui est de garantir l’égalité sur le lieu de travail, et non de compenser toutes les situations de vie difficiles, même lorsqu’elles résultent d’une condition médicale.
B. La portée limitée de la Convention des Nations unies dans l’interprétation du droit dérivé
Un aspect notable de la décision réside dans la manière dont la Cour articule le droit de l’Union avec le droit international. Elle énonce que la validité de la directive 2000/78/CE « ne peut être appréciée au regard de la convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées ». Toutefois, elle ajoute que la directive « doit faire l’objet, dans la mesure du possible, d’une interprétation conforme à cette convention ».
Cette formule établit une hiérarchie claire. La Convention de l’ONU, bien qu’elle fasse partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, ne peut primer sur le droit dérivé au point d’en invalider les dispositions. Son rôle se limite à celui d’un outil d’interprétation. En l’espèce, même une interprétation conforme ne permet pas d’inclure l’infertilité dans le concept de handicap au sens de la directive, car cela reviendrait à en altérer la substance et l’objectif. La Cour réaffirme ainsi l’autonomie du droit de l’Union tout en reconnaissant son inscription dans un corpus juridique international plus large, mais elle signale que les instruments internationaux ne sauraient pallier les silences ou les limitations du législateur européen.