La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 18 mars 2021, précise les conditions de régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée indûment facturée. Une société établie en Lituanie fournissait des cartes de carburant à des transporteurs pour se ravitailler dans des stations-service situées sur le territoire polonais. Elle considérait son activité comme une revente de carburant et émettait des factures mentionnant la taxe, tout en déduisant celle payée en amont. L’administration fiscale polonaise a cependant requalifié cette activité en service financier exonéré, refusant la déduction tout en exigeant le paiement de la taxe facturée.
Le tribunal administratif de voïvodie de Białystok, par jugement du 19 juillet 2017, a rejeté le recours de la société au motif qu’il existait un risque de perte fiscale. Saisie en cassation, la Cour suprême administrative polonaise a interrogé la juridiction européenne sur la compatibilité d’une loi nationale interdisant la régularisation après l’ouverture d’un contrôle. La Cour juge que le droit de l’Union s’oppose à une réglementation nationale empêchant un assujetti de bonne foi de corriger ses factures après le début des investigations. L’analyse portera d’abord sur la portée de l’obligation de paiement résultant de la facture, puis sur la nécessaire sauvegarde du principe de neutralité fiscale.
**I. La rigueur de l’obligation de paiement de la taxe mentionnée sur la facture**
L’article 203 de la directive 2006/112 établit une règle stricte selon laquelle la taxe est due par toute personne qui mentionne ce montant sur une facture. Cette disposition vise principalement à éliminer le risque de perte de recettes fiscales que peut engendrer l’exercice injustifié du droit à déduction par le destinataire. La Cour rappelle que « la TVA mentionnée sur une facture est due par l’émetteur de cette facture, y compris en l’absence de toute opération imposable réelle ». Cette obligation s’applique dès lors qu’un montant est formellement indiqué, indépendamment de la réalité matérielle ou de la qualification juridique exacte de la prestation fournie.
**A. Le caractère inconditionnel de la dette fiscale née de la facturation**
La naissance de la dette fiscale est liée à la seule émission du document comptable afin de prévenir toute utilisation frauduleuse de la facture. La juridiction européenne souligne que cette mesure garantit l’exacte perception de la taxe tout en protégeant le Trésor public contre les déductions opérées sans base légale. L’émetteur se trouve ainsi redevable du montant inscrit, même si l’opération sous-jacente s’avère finalement exonérée ou située hors du champ d’application de la taxe. Cette rigueur textuelle assure la sécurité du système commun en rendant l’assujetti responsable des mentions portées sur ses propres documents de facturation.
**B. L’admission nécessaire d’une procédure de régularisation pour l’émetteur de bonne foi**
La sévérité de la règle de paiement doit toutefois être conciliée avec la réalité des erreurs commises sans intention frauduleuse par les opérateurs économiques. Afin d’assurer la neutralité de la taxe, les États membres doivent prévoir « la possibilité de régularisation de toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi ». Dans cette espèce, la société avait suivi une pratique constante des autorités nationales avant que la jurisprudence ne vienne modifier la qualification de ses services. La bonne foi de l’assujetti justifie alors un tempérament à l’obligation de paiement automatique prévue par la directive pour éviter une sanction disproportionnée.
**II. La protection de la neutralité fiscale face aux contraintes procédurales nationales**
Le principe de neutralité fiscale exige que l’assujetti soit entièrement soulagé du poids de la taxe due ou acquittée dans le cadre de ses activités. Une réglementation nationale ne saurait donc faire obstacle à la correction d’une erreur matérielle si celle-ci ne compromet pas les intérêts financiers de l’État. La Cour de justice affirme que le refus de régularisation impose une charge fiscale injustifiée qui méconnaît les fondements mêmes du système commun de taxe. Les limitations procédurales imposées par le droit interne doivent rester proportionnées à l’objectif de lutte contre la fraude sans entraver le rétablissement de la légalité.
**A. L’absence de risque de perte de recettes fiscales comme critère de correction**
La possibilité de régulariser la taxe est intimement liée à l’absence de menace réelle pour les finances publiques lors de la réalisation des opérations litigieuses. Si le destinataire des factures aurait pu obtenir le remboursement de la taxe auprès des véritables fournisseurs, l’erreur de l’émetteur ne génère aucune perte fiscale. La Cour note que la déclaration correcte des opérations par les intervenants aurait permis d’aboutir à un résultat financier identique pour l’administration fiscale concernée. L’application mécanique de la dette de facturation conduirait alors à une double imposition contraire à l’équité fiscale et aux objectifs de la directive.
**B. L’invalidité de l’interdiction de régularisation liée au déclenchement d’un contrôle**
Le droit polonais interdisait toute correction dès lors qu’une procédure de contrôle fiscal était engagée contre l’assujetti, limitant ainsi excessivement ses droits de régularisation. La juridiction européenne censure cette restriction temporelle lorsqu’elle s’applique à un opérateur de bonne foi ayant commis une erreur d’interprétation partagée par l’administration. Les principes de proportionnalité et de neutralité « s’opposent à une réglementation nationale qui ne permet pas à un assujetti de bonne foi de régulariser des factures » après l’audit. Cette solution préserve les droits des contribuables contre des barrières administratives qui rendraient pratiquement impossible l’exercice des libertés garanties par le droit de l’Union.