Cour de justice de l’Union européenne, le 18 novembre 2020, n°C-519/19

La Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision rendue en formation de première chambre, précise les conditions d’opposabilité d’une clause attributive de juridiction stipulée dans un contrat de transport aérien.

En l’espèce, un passager aérien avait conclu un contrat de transport avec une compagnie aérienne pour un vol qui fut par la suite annulé. Estimant avoir droit à une indemnisation en vertu du règlement (CE) n° 261/2004, ce passager a cédé sa créance à une société spécialisée dans le recouvrement de ce type de dettes. Ladite société a alors assigné la compagnie aérienne en paiement devant une juridiction polonaise. La compagnie aérienne a soulevé une exception d’incompétence, invoquant une clause de ses conditions générales de transport qui attribuait une compétence exclusive aux juridictions irlandaises. Saisi en appel du rejet de cette exception par les premiers juges, le tribunal régional de Varsovie a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

La question posée au juge de l’Union visait essentiellement à déterminer si une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat de consommation peut être opposée par le professionnel à une société de recouvrement, tiers cessionnaire de la créance du consommateur. Il s’agissait également de savoir si cette société pouvait, le cas échéant, se prévaloir du caractère abusif de ladite clause en vertu de la directive 93/13/CEE.

La Cour répond qu’une telle clause n’est en principe pas opposable au cessionnaire de la créance, sauf si celui-ci a succédé au consommateur dans l’intégralité de ses droits et obligations, ce qu’il appartient au juge national de vérifier. Elle ajoute que, si elle était opposable, une telle clause, non négociée individuellement et désignant les tribunaux du siège du professionnel, devrait être considérée comme abusive au sens du droit de l’Union.

La solution retenue par la Cour s’articule autour d’une double analyse, portant d’une part sur l’effet de la clause attributive de juridiction à l’égard du tiers cessionnaire (I) et, d’autre part, sur le maintien de la protection contre les clauses abusives après la cession de la créance (II).

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I. L’opposabilité conditionnée de la clause attributive de juridiction au cessionnaire de la créance

La Cour examine en premier lieu l’effet de la clause au regard du règlement (UE) n° 1215/2012, en rappelant le principe de l’autonomie de la volonté qui fonde les conventions attributives de juridiction. Elle en déduit que l’effet de la clause est en principe limité aux parties contractantes (A), tout en ménageant une exception stricte liée à la nature de la transmission de la créance (B).

A. Le consentement, fondement de l’effet relatif de la clause

La Cour de justice rappelle avec constance que les règles de compétence définies par le règlement n° 1215/2012, et notamment son article 25, reposent sur l’autonomie de la volonté des parties. Le juge saisi doit ainsi vérifier que le consentement à la clause a été clairement manifesté. Cette exigence de consentement fonde l’effet relatif de la convention attributive de juridiction. En effet, « une clause attributive de juridiction insérée dans un contrat ne peut produire ses effets que dans les rapports entre les parties qui ont donné leur accord à la conclusion de ce contrat ».

En l’espèce, la société de recouvrement est un tiers au contrat de transport initial conclu entre le passager et la compagnie aérienne. N’ayant pas été partie à ce contrat, elle n’a pas consenti à la clause y figurant. Par conséquent, la compagnie aérienne ne peut, en principe, lui opposer cette clause pour contester la compétence de la juridiction polonaise saisie. Le raisonnement met en exergue que la cession de créance, en tant que telle, ne suffit pas à transmettre les obligations procédurales acceptées par le cédant.

B. La succession universelle, seule exception à l’effet relatif

La Cour nuance toutefois ce principe en introduisant une exception notable. Elle précise qu’une clause attributive de juridiction pourrait lier le tiers cessionnaire si, « conformément au droit national applicable au fond, le tiers aurait succédé au contractant initial dans tous ses droits et obligations ». Cette hypothèse renvoie à un mécanisme de succession universelle ou à une situation équivalente où le cessionnaire ne se contente pas de recevoir la créance, mais se substitue entièrement au cédant dans le rapport contractuel.

Il incombe dès lors à la juridiction de renvoi d’opérer cette vérification au regard du droit désigné par la clause, c’est-à-dire le droit irlandais. Cette précision est capitale, car elle déplace le débat du seul terrain du droit de l’Union vers celui du droit national matériel. Si une telle succession est avérée, la clause devient alors opposable au cessionnaire. C’est seulement dans cette éventualité que se pose la question de la validité de la clause au regard de la protection des consommateurs.

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II. La protection persistante contre les clauses abusives au-delà de la cession

Après avoir posé les conditions d’opposabilité de la clause, la Cour examine sa validité substantielle. Elle établit que l’appréciation du caractère abusif doit se faire au regard de la qualité originelle des parties au contrat (A), ce qui la conduit à confirmer le caractère abusif de la clause en l’espèce (B).

A. L’application du régime consumériste fondée sur la nature du contrat initial

La Cour énonce un principe fondamental pour l’application de la directive 93/13. Elle juge que le champ d’application de la protection des consommateurs « dépend non pas de l’identité des parties au litige en cause, mais de la qualité des parties au contrat ». Le fait que le litige oppose désormais deux professionnels, la compagnie aérienne et la société de recouvrement, est indifférent. Ce qui importe, c’est que le contrat initial a été conclu entre un professionnel et un consommateur.

Cette solution garantit que la protection accordée au consommateur ne s’évapore pas du simple fait de la cession de sa créance. Le droit à une protection effective contre les clauses abusives est ainsi attaché à la créance elle-même, qui conserve sa nature consumériste. Le cessionnaire professionnel peut donc se prévaloir des droits que le consommateur aurait pu invoquer, y compris celui de contester le caractère abusif d’une clause contractuelle. Cette approche objective préserve l’effet utile de la directive.

B. La qualification confirmée du caractère abusif de la clause

La Cour rappelle ensuite sa jurisprudence bien établie sur les clauses attributives de juridiction dans les contrats de consommation. Une telle clause, lorsqu’elle n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et qu’elle confère une compétence exclusive à la juridiction du lieu du siège du professionnel, doit être considérée comme abusive. Elle crée en effet « au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties ».

Une telle clause a pour effet de dissuader le consommateur d’agir en justice, en raison des frais liés à un déplacement dans un autre État membre. En l’espèce, la clause désignant les juridictions irlandaises obligeait un passager partant de Milan pour Varsovie à engager une procédure dans un pays sans lien direct avec l’exécution du service. La Cour confirme donc que le juge national, s’il devait juger la clause opposable, serait tenu d’en écarter l’application en vertu de l’article 6 de la directive 93/13, restaurant ainsi la compétence des juridictions normalement prévues par le règlement, notamment celles du lieu de départ ou d’arrivée du vol.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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