Par un arrêt rendu le 18 novembre 2021, la huitième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée face aux exigences formelles d’identification. La question centrale porte sur la compatibilité d’une réglementation nationale privant un assujetti de son droit à déduction après l’annulation d’office de son numéro individuel.
Dans cette affaire, l’identification à la taxe d’une société commerciale fut annulée par l’administration au motif qu’aucune opération imposable ne figurait dans ses déclarations durant six mois consécutifs. Malgré cette radiation, l’entreprise poursuivit ses activités économiques en émettant des factures sans toutefois pouvoir déduire la taxe acquittée en amont auprès de ses propres fournisseurs. Saisie d’une contestation contre un titre exécutoire, la Judecătoria Oradea a sollicité l’interprétation de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006.
Le juge national s’interroge sur la validité d’une pratique imposant la perception de la taxe pour une durée indéterminée tout en interdisant systématiquement la déduction corrélative. La juridiction de renvoi souligne l’impossibilité pratique pour l’assujetti d’obtenir une nouvelle identification en raison de la situation d’insolvabilité d’une autre entité dirigée par le même administrateur.
La Cour de justice de l’Union européenne répond que les principes de neutralité et de proportionnalité s’opposent à un refus systématique de déduction lorsque les conditions de fond sont satisfaites. La solution retenue impose de vérifier si l’administration dispose des données nécessaires pour établir que les exigences matérielles ouvrant droit à la déduction sont effectivement réunies.
I. La primauté des conditions matérielles sur les formalités d’identification
A. Le maintien de l’exigibilité de la taxe malgré l’irrégularité formelle
Le droit de l’Union prévoit que tout assujetti doit déclarer le commencement de son activité économique pour permettre un contrôle efficace par les autorités fiscales nationales. L’arrêt rappelle que « l’identification à la TVA […] ne constitue qu’une exigence formelle à des fins de contrôle » sans remettre en cause la naissance du droit à déduction. L’administration peut légitimement exiger la perception de la taxe sur les opérations imposables même si le numéro d’identification individuel de l’opérateur économique a été préalablement annulé.
La persistance de l’activité économique après l’annulation de l’identification n’exonère pas le redevable de ses obligations de collecte vis-à-vis du Trésor public national. Les juges soulignent que le mécanisme de la taxe sur la valeur ajoutée repose sur une perception rigoureuse à chaque stade du processus de production. Cette rigueur formelle ne doit cependant pas transformer la taxe en une charge fiscale définitive pour l’entreprise transparente.
B. La préservation du droit à déduction fondé sur la neutralité fiscale
Le régime des déductions vise à soulager l’entrepreneur du poids de la taxe due dans le cadre de ses activités économiques conformément au principe de neutralité. La Cour affirme qu’un assujetti « ne saurait être empêché d’exercer son droit à déduction au motif qu’il ne se serait pas identifié » avant d’utiliser les biens. Si les exigences de fond sont remplies, le bénéfice de la déduction doit être accordé malgré l’omission de certaines formalités administratives ou déclaratives par l’intéressé.
Le refus du droit à déduction n’est justifié que si la violation des exigences formelles empêche d’apporter la preuve certaine que les exigences matérielles sont satisfaites. Une réglementation nationale ne peut donc pas interdire mécaniquement la déduction de la taxe acquittée en amont au seul motif d’une absence d’identification valide. Cette interprétation garantit que la charge fiscale ne pèse finalement que sur le consommateur final du service ou du bien livré.
II. L’encadrement des prérogatives étatiques par le principe de proportionnalité
A. L’invalidité d’un refus systématique de nouvelle identification
Les États membres disposent d’une marge d’appréciation pour protéger leurs intérêts financiers contre la fraude fiscale mais cette compétence ne saurait être exercée de manière illimitée. La Cour juge qu’un État « ne saurait refuser d’attribuer à un assujetti un numéro individuel sans motif légitime » lié à la lutte contre l’évasion. Le refus de ré-identification fondé exclusivement sur les antécédents d’insolvabilité d’un administrateur dans une autre structure excède ce qui est strictement nécessaire.
Une telle pratique administrative méconnaît l’exigence d’une évaluation individuelle des risques réels de fraude ou de perception inexacte de la taxe par le contribuable concerné. Les mesures prises en vertu de l’article 273 de la directive ne doivent pas systématiquement remettre en cause la neutralité du système commun. L’absence de vérification des conditions de fond par l’autorité fiscale constitue une entrave disproportionnée au fonctionnement normal du marché intérieur européen.
B. La nécessaire recherche de l’intention frauduleuse de l’assujetti
Le bénéfice du droit à déduction peut être refusé s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que l’assujetti a agi de manière délibérément frauduleuse. La Cour précise que les manquements aux obligations formelles peuvent parfois établir l’existence d’une fraude « dans lequel l’assujetti omet délibérément de satisfaire aux obligations » pour s’évader. Il appartient néanmoins au juge national de vérifier souverainement si cette intention d’échapper au paiement de la taxe est caractérisée dans l’espèce.
En l’absence de fraude ou d’abus, la législation nationale doit permettre à l’assujetti de solliciter une nouvelle identification pour exercer ses droits rétroactivement. La solution de la Cour concilie la lutte contre les entreprises fictives avec la protection des opérateurs économiques agissant de bonne foi. Cette décision renforce la sécurité juridique en limitant les sanctions automatiques qui dénaturent le caractère neutre de la taxe sur la valeur ajoutée.