Cour de justice de l’Union européenne, le 18 octobre 2005, n°C-405/03

Par un arrêt en date du 18 octobre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en grande chambre, a apporté des clarifications essentielles sur l’étendue du droit exclusif conféré au titulaire d’une marque. La décision portait sur la question de savoir si des produits authentiques, introduits sur le territoire de la Communauté mais placés sous un régime douanier suspensif, pouvaient être considérés comme une contrefaçon du seul fait de leur présence physique.

En l’espèce, une société de négoce avait acquis auprès d’une entreprise située en dehors de la Communauté un lot de produits revêtus d’une marque renommée. Ces marchandises, après leur introduction sur le territoire communautaire, ont été placées dans un entrepôt sous un régime douanier suspensif. Les titulaires de la marque, suspectant une contrefaçon, ont obtenu une saisie conservatoire des produits. Il s’est avéré par la suite que les marchandises étaient authentiques, c’est-à-dire qu’elles avaient été fabriquées par ou avec le consentement des titulaires de la marque.

La société de négoce a alors saisi les juridictions néerlandaises afin d’obtenir la mainlevée de la saisie. L’affaire est parvenue devant le Gerechtshof te ‘s-Gravenhage, lequel a sursis à statuer. Il a soumis à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles visant à déterminer si l’introduction de produits authentiques sous un régime de transit externe ou d’entrepôt douanier constituait un « usage dans la vie des affaires » que le titulaire de la marque pouvait interdire. La juridiction de renvoi s’interrogeait également sur la licéité des offres à la vente de ces marchandises et sur la répartition de la charge de la preuve.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à définir si le droit exclusif du titulaire d’une marque lui permet de s’opposer à la simple présence sur le territoire douanier de la Communauté de produits authentiques non destinés à y être commercialisés, et dans quelle mesure les actes de commercialisation de ces mêmes produits peuvent être interdits.

La Cour de justice a répondu que le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à la seule introduction dans la Communauté de produits d’origine sous un régime douanier suspensif. Elle précise que les notions d’« offre » et de « mise dans le commerce » peuvent inclure des actes de vente de ces marchandises, mais uniquement « lorsqu’elle implique nécessairement la mise dans le commerce de celles-ci dans la Communauté ». Enfin, la Cour a jugé qu’il incombe au titulaire de la marque d’apporter la preuve des circonstances justifiant l’interdiction.

Il convient d’analyser la distinction opérée par la Cour entre la simple présence matérielle des marchandises et les actes visant à leur commercialisation (I), avant d’étudier les conditions de l’interdiction de ces actes et l’attribution corrélative de la charge de la preuve (II).

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I. La distinction entre la présence matérielle des marchandises et les actes de commercialisation

La Cour de justice consacre une interprétation finaliste de la notion d’importation, la dissociant de la simple entrée physique sur le territoire douanier (A). Par conséquent, elle écarte toute protection préventive du titulaire de la marque au seul stade de cette introduction matérielle (B).

A. La consécration d’une conception finaliste de l’importation

La Cour de justice articule sa décision autour d’une définition stricte de la notion d’« importation » au sens du droit des marques. Elle juge que l’importation à laquelle le titulaire peut s’opposer « suppose une introduction des produits dans la Communauté aux fins d’une mise dans le commerce dans celle-ci ». Cette interprétation établit une déconnexion claire entre le concept douanier d’introduction sur le territoire et le concept d’importation pertinent pour la protection de la propriété intellectuelle. Le simple transit ou le stockage en entrepôt douanier, qui sont des régimes suspensifs, ne suffisent pas à caractériser une telle finalité de commercialisation.

Ce raisonnement s’appuie sur la logique du Code des douanes communautaire, qui distingue nettement la mise en libre pratique des autres destinations douanières. Tant que les marchandises restent sous un régime suspensif, elles ne sont pas considérées comme étant sur le marché communautaire et ne sont soumises ni aux droits à l’importation ni aux mesures de politique commerciale. La Cour en déduit que, de la même manière, elles ne peuvent être considérées comme portant atteinte au droit exclusif du titulaire de contrôler la première mise en circulation de ses produits dans la Communauté.

B. Le rejet d’une protection préventive au stade de l’introduction matérielle

En conséquence de cette interprétation, la Cour refuse au titulaire de la marque le droit de s’opposer à la simple présence de marchandises authentiques sur le territoire, même si leur destination finale n’est pas encore établie. Elle précise que le titulaire « ne peut pas subordonner le placement des marchandises en cause sous le régime du transit externe ou celui de l’entrepôt douanier à l’existence […] d’une destination finale déjà fixée dans un pays tiers ». Cette position est fondamentale pour la fluidité du commerce international, car elle empêche les titulaires de marques d’utiliser leur droit exclusif pour entraver des opérations de transit légitimes.

La Cour écarte ainsi l’argument du risque de « fuite » des produits sur le marché communautaire. Elle considère que ce risque ne saurait justifier une interdiction préventive qui paralyserait le commerce de transit. La protection du titulaire de la marque est donc reportée au stade où une intention de commercialiser les produits dans la Communauté se matérialise de manière tangible, ce qui constitue une solution équilibrée entre la protection de la propriété intellectuelle et la libre circulation des marchandises.

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II. L’interdiction conditionnelle des actes commerciaux et la charge de la preuve

Si la simple présence n’est pas fautive, la Cour encadre néanmoins la possibilité d’interdire les offres à la vente de marchandises en transit (A). De manière décisive, elle fait peser la charge de la preuve sur le titulaire de la marque, instaurant ainsi une solution pragmatique et équilibrée (B).

A. L’encadrement de l’interdiction des offres à la vente

La Cour de justice admet que des actes tels que l’offre à la vente ou la vente de marchandises placées sous un régime suspensif peuvent constituer un usage de la marque dans la vie des affaires. Toutefois, elle assortit cette possibilité d’une condition stricte : le titulaire ne peut s’y opposer que lorsque l’acte commercial « implique nécessairement la mise dans le commerce de celles-ci dans la Communauté ». Le critère n’est donc pas la simple possibilité ou le risque d’une commercialisation, mais sa quasi-certitude découlant de l’acte lui-même.

Cette approche nuancée permet de distinguer les opérations de négoce international légitimes, où des marchandises en transit sont vendues pour être réexportées, des manœuvres visant à contourner l’épuisement communautaire du droit des marques. La Cour précise que des éléments comme le statut de commerçant parallèle de l’opérateur ne suffisent pas à présumer une telle intention. Il appartient donc au juge national d’apprécier, au cas par cas, si une offre ou une vente est spécifiquement dirigée vers le marché communautaire.

B. L’attribution de la charge de la preuve au titulaire de la marque

La Cour de justice tranche une question pratique essentielle en statuant sur la charge de la preuve. Elle juge qu’il incombe au titulaire de la marque « d’apporter la preuve des circonstances permettant l’exercice du droit d’interdiction ». C’est donc à celui qui allègue une atteinte à son droit de démontrer soit la mise en libre pratique des produits, soit le fait qu’une offre ou une vente implique nécessairement une commercialisation dans la Communauté.

Cette solution est d’une grande portée pratique. Elle instaure une présomption de légalité en faveur des opérations de transit. En l’absence de preuve contraire, les marchandises placées sous un régime douanier suspensif sont considérées comme étant en situation régulière. Cette répartition de la charge de la preuve empêche les titulaires de marques d’initier des procédures de saisie de manière abusive pour perturber les activités de leurs concurrents. Elle garantit un juste équilibre, en protégeant les titulaires contre les atteintes avérées tout en préservant le principe de la liberté du commerce.

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Hassan KOHEN
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