Par un arrêt en date du 18 octobre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé les conditions dans lesquelles un projet peut être soustrait à l’application de la directive concernant l’évaluation des incidences sur l’environnement par le biais d’un acte législatif national. En l’espèce, des autorisations administratives relatives à des projets d’infrastructures aéroportuaires et ferroviaires avaient été octroyées par une autorité régionale. Des recours en annulation contre ces autorisations ont été introduits par des riverains devant la juridiction administrative suprême nationale. Pendant l’instance, une assemblée législative régionale a adopté un décret, acte de nature législative, qui a eu pour effet de ratifier les permis contestés, en invoquant des motifs impérieux d’intérêt général. Cette ratification conférant une valeur législative aux actes initialement administratifs, elle rendait la juridiction administrative incompétente pour statuer sur les recours, la privant ainsi de la possibilité d’en contrôler la légalité. Saisie de questions préjudicielles par cette juridiction, la Cour était donc amenée à déterminer si un acte législatif national se limitant à valider une autorisation administrative préexistante pouvait constituer un « acte législatif national spécifique » au sens de la directive 85/337, exemptant le projet de ses exigences. Il s’agissait également de savoir si le droit de l’Union, notamment la convention d’Aarhus, imposait l’existence d’un recours juridictionnel effectif contre un tel acte législatif. La Cour de justice répond que l’exclusion du champ d’application de la directive est subordonnée à des conditions strictes, tenant tant à la substance de l’acte législatif qu’à la procédure ayant mené à son adoption. Elle précise que ne sont exclus que « les projets adoptés en détail par un acte législatif spécifique, de manière à ce que les objectifs de la même directive aient été atteints par la procédure législative ». En conséquence, la Cour affirme que la légalité de cet acte au regard de ces conditions doit pouvoir être contrôlée par une juridiction, et qu’en l’absence de voie de recours spécifique, il appartient à toute juridiction nationale de laisser l’acte législatif inappliqué. La Cour encadre donc de manière rigoureuse l’exception de l’acte législatif (I), afin de garantir la primauté du droit à un contrôle juridictionnel effectif en matière environnementale (II).
I. La soumission de l’exception législative à des conditions strictes
La Cour de justice interprète de manière restrictive la dérogation prévue à l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 85/337, en exigeant que l’acte législatif adoptant le projet soit suffisamment détaillé (A) et que la procédure législative elle-même satisfasse aux objectifs de la directive (B).
A. L’exigence d’un acte législatif détaillé adoptant le projet
La Cour rappelle que l’exclusion du champ de la directive suppose que le projet soit « adopté en détail par un acte législatif spécifique ». Cette exigence implique que l’acte législatif ne peut se contenter de valider une décision administrative antérieure. Il doit lui-même présenter les caractéristiques d’une autorisation, en définissant de manière suffisamment précise et définitive l’ensemble des éléments du projet. Le législateur doit ainsi ouvrir directement le droit pour le maître d’ouvrage de réaliser les travaux. Un acte qui se bornerait à une simple ratification, sans intégrer les détails du projet, ne saurait répondre à cette condition. La Cour juge explicitement qu’un acte législatif « qui ne ferait que ‘ratifier’ purement et simplement un acte administratif préexistant, en se bornant à faire état de motifs impérieux d’intérêt général […] ne peut être considéré comme un acte législatif spécifique ». Par cette formule, elle s’oppose à ce que la voie législative soit utilisée comme un simple artifice procédural pour contourner les obligations d’évaluation environnementale et le contrôle juridictionnel qui s’y attache. L’acte législatif doit donc contenir, après leur prise en compte par le législateur, tous les éléments pertinents pour l’évaluation des incidences sur l’environnement, tels que le site, la conception et les dimensions du projet.
B. La nécessité d’une procédure législative atteignant les objectifs de la directive
Au-delà du contenu de l’acte, la Cour de justice contrôle la procédure d’adoption. La seconde condition pour que l’exception s’applique est que « les objectifs poursuivis par la présente directive, y compris l’objectif de la mise à disposition d’informations, [soient] atteints à travers la procédure législative ». L’objectif essentiel de la directive étant de garantir une évaluation préalable des incidences des projets notables sur l’environnement, le législateur doit, au moment de l’adoption, disposer d’une information équivalente à celle requise dans une procédure administrative. Cela inclut les informations que doit fournir le maître d’ouvrage, telles que la description du projet, les mesures envisagées pour éviter ou réduire les effets négatifs et les données permettant d’évaluer les principaux effets sur l’environnement. La procédure parlementaire, avec ses débats et travaux préparatoires, doit donc permettre un examen effectif de ces enjeux environnementaux. En l’absence d’une telle délibération au fond, fondée sur des informations complètes, la procédure législative ne saurait se substituer à la procédure d’évaluation administrative. Il appartient ainsi au juge national de vérifier, en examinant « tant du contenu de l’acte législatif adopté que de l’ensemble de la procédure législative qui a conduit à son adoption », que ces deux conditions cumulatives sont bien respectées.
Après avoir défini les conditions de fond de cette exception, la Cour en tire les conséquences nécessaires sur le plan procédural, affirmant avec force le droit à un contrôle juridictionnel.
II. La consécration d’un contrôle juridictionnel effectif de l’exception
La Cour établit que le respect des conditions de l’exception législative doit pouvoir faire l’objet d’un recours (A), et précise l’office du juge national en l’absence d’une voie de droit spécifique pour contester la loi (B), garantissant ainsi l’effectivité de l’accès à la justice.
A. Le droit à un recours contre l’acte législatif d’approbation
La Cour de justice s’appuie sur l’article 9, paragraphe 2, de la convention d’Aarhus et sur l’article 10 bis de la directive 85/337, qui garantissent un droit d’accès à la justice en matière d’environnement. Elle juge que ces dispositions perdraient tout effet utile si un acte législatif, même non conforme aux exigences de la directive, pouvait soustraire un projet à tout recours juridictionnel. Par conséquent, le droit de l’Union impose que la conformité de l’acte législatif aux conditions de l’exception puisse être examinée par une instance juridictionnelle. La Cour énonce clairement que « la question de savoir si cet acte législatif répond aux conditions fixées à l’article 1er, paragraphe 5, de ladite directive doit pouvoir être soumise, selon les règles nationales de procédure, à une juridiction ou à un organe indépendant et impartial établi par la loi ». Le principe d’autonomie procédurale des États membres trouve ici sa limite dans le principe d’effectivité. Un État ne peut organiser son système juridique de telle sorte qu’un acte législatif, utilisé pour approuver un projet, échappe à tout contrôle de sa compatibilité avec les exigences procédurales et substantielles du droit de l’Union.
B. L’office du juge national en l’absence de recours spécifique
De manière particulièrement notable, la Cour fournit la solution dans l’hypothèse où le droit national n’organiserait pas un tel recours contre l’acte législatif. Dans une telle situation, qui correspondait à celle de l’espèce où la Cour constitutionnelle ne dispose que d’une compétence limitée, la protection juridictionnelle effective doit être assurée par toute juridiction saisie. La Cour affirme que « dans l’hypothèse où aucun recours de la nature et de la portée qui ont été rappelées ci-dessus ne serait ouvert à l’encontre d’un tel acte, il appartiendrait à toute juridiction nationale saisie dans le cadre de sa compétence d’exercer le contrôle décrit au tiret précédent et d’en tirer, le cas échéant, les conséquences en laissant inappliqué cet acte législatif ». Cette solution confère au juge national, en l’occurrence la juridiction administrative qui se considérait dessaisie, le pouvoir et le devoir d’écarter l’application de la loi nationale contraire au droit de l’Union. La Cour assure ainsi la primauté et l’effet direct des dispositions garantissant l’accès à la justice, empêchant qu’une manœuvre législative ne vienne priver les justiciables d’un droit fondamental conféré par l’ordre juridique de l’Union.