Par un arrêt rendu le 18 octobre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne précise les critères d’appréciation du caractère individuel d’un modèle. Le litige trouve sa source dans une demande de nullité formée contre un dessin enregistré représentant une silhouette humaine assise et stylisée. Les demandeurs à l’annulation invoquaient une marque figurative antérieure dont la forme générale présentait des similitudes avec le modèle contesté. La division d’annulation de l’Office de l’harmonisation a d’abord accueilli cette demande sur le fondement de l’usage d’un signe distinctif antérieur. Saisie d’un recours, la chambre de recours a confirmé la nullité en retenant cette fois l’absence de caractère individuel du dessin litigieux. Le Tribunal de l’Union européenne a toutefois annulé cette décision le 16 décembre 2010 en soulignant des différences fondamentales dans l’expression des visages. La Cour de justice est alors saisie de pourvois contestant l’étendue du contrôle du juge et la méthode de comparaison des silhouettes. Les juges de l’Union rejettent ces recours en validant l’analyse du Tribunal portant sur le souvenir imparfait de l’utilisateur averti. L’examen de cette solution conduit à étudier la plénitude du contrôle juridictionnel avant d’analyser la consécration d’une méthode de comparaison flexible.
I. La pleine maîtrise du juge sur la qualification juridique des faits
A. L’exercice d’un contrôle de légalité étendu
La Cour de justice rappelle avec fermeté que le juge de première instance doit vérifier la qualification juridique exacte donnée aux faits litigieux. Cette compétence lui permet de rechercher si l’appréciation des éléments de preuve soumis aux chambres de recours de l’Office n’est pas entachée d’erreurs. Les juges affirment que « le Tribunal est compétent pour exercer un plein contrôle de légalité sur l’appréciation portée par [l’Office] sur les éléments présentés par le demandeur ». Cette solution garantit que le juge ne reste pas lié par une vision erronée de la réalité factuelle lors de son examen. La juridiction peut ainsi substituer sa propre analyse des preuves à celle de l’administration sans pour autant outrepasser les limites de son office. Ce pouvoir de réformation s’inscrit dans une volonté de protéger l’application uniforme du droit communautaire des dessins et modèles industriels.
B. L’absence de complexité technique justifiant une retenue judiciaire
L’Office de l’harmonisation revendiquait une marge d’appréciation limitée au contrôle de l’erreur manifeste en raison de la prétendue technicité de la matière. La Cour écarte cet argument en soulignant que l’appréciation de la validité d’un dessin ne requiert pas nécessairement des évaluations hautement complexes. Elle précise que « [l’Office] n’a pas établi que l’appréciation en cause requérait des évaluations hautement techniques justifiant qu’il lui soit reconnu une marge d’appréciation ». Le Tribunal pouvait donc procéder à un examen concret des silhouettes sans se limiter à une vérification sommaire de la décision initiale. Cette approche renforce l’effectivité du contrôle juridictionnel en évitant que l’administration ne dispose d’une zone d’immunité excessive. La détermination du caractère individuel relève ainsi d’une appréciation souveraine des juges du fond sous le contrôle de légalité de la Cour.
II. La flexibilité méthodologique de la comparaison des dessins ou modèles
A. La validité du recours au souvenir de l’impression globale
Le pourvoi reprochait au Tribunal d’avoir fondé sa comparaison sur le souvenir imparfait de l’utilisateur plutôt que sur une confrontation directe des signes. La Cour rejette cette critique en rappelant que la comparaison directe n’est pas une exigence impérative prévue par le règlement communautaire. Elle souligne que « l’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière ». Bien que cet utilisateur soit plus attentif que le consommateur moyen, son évaluation peut légitimement reposer sur l’image mémorielle qu’il conserve. La Cour valide le fait qu’il « ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a eu l’intention de limiter l’évaluation […] à une comparaison directe ». Cette souplesse méthodologique permet de tenir compte de la réalité des marchés où les modèles ne sont pas toujours présentés simultanément.
B. La pertinence de la distinction par l’expression faciale des personnages
Le caractère individuel du modèle contesté est ici reconnu grâce aux émotions divergentes dégagées par les deux personnages en présence. Le Tribunal avait relevé que l’un des dessins évoquait une irritation tandis que l’autre ne manifestait aucun sentiment particulier sur son visage. La Cour de justice confirme que cette différence dans l’expression faciale constitue une caractéristique fondamentale apte à créer une impression globale distincte. Elle estime que « la différence dans l’expression du visage apparaîtra clairement aux jeunes achetant des tee-shirts et sera d’autant plus importante pour les enfants ». Les juges considèrent que ces détails expressifs priment sur les similitudes générales liées à la position assise de la silhouette humaine. En refusant de dénaturer les faits, la Cour laisse au Tribunal le soin d’apprécier l’importance relative des éléments graphiques. Cette décision stabilise ainsi la définition de l’impression globale en valorisant la perception psychologique de l’utilisateur averti.