Par un arrêt en manquement, la Cour de justice de l’Union européenne vient préciser les obligations des États membres découlant de la directive 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires. En l’espèce, la Commission européenne a été saisie de plaintes concernant des rejets d’eaux usées non traitées, notamment par temps de pluie, dans les agglomérations de Sunderland (Whitburn) et de Londres au Royaume-Uni. Ces rejets provenaient de systèmes de collecte et de stations d’épuration considérés comme sous-dimensionnés pour gérer les volumes d’eau, y compris lors de précipitations modérées.
Après une longue procédure précontentieuse initiée en 2003, la Commission a estimé que le Royaume-Uni manquait à ses obligations de collecte et de traitement des eaux urbaines résiduaires. L’État membre ne contestait pas les faits, mais soutenait une interprétation de la directive fondée sur l’impact environnemental réel plutôt que sur la fréquence des déversements. Il invoquait également la notion de « connaissances techniques les plus avancées sans entraîner des coûts excessifs » (BTKNEEC) ainsi que le caractère exceptionnel des travaux à entreprendre pour justifier sa situation. La Commission a alors introduit un recours en manquement devant la Cour de justice, considérant que les rejets réguliers d’eaux non traitées constituaient une violation des articles 3, 4 et 10 de la directive.
Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si le déversement fréquent d’eaux urbaines résiduaires non traitées, y compris lors de précipitations modérées, constitue un manquement aux obligations de la directive 91/271/CEE, et dans quelle mesure les difficultés techniques ou financières peuvent justifier une telle situation.
La Cour de justice constate le manquement du Royaume-Uni. Elle retient une interprétation stricte de la directive, affirmant que celle-ci impose une obligation de collecter et traiter la totalité des eaux urbaines résiduaires dans des conditions climatiques normales. Les dérogations, notamment pour « précipitations exceptionnellement fortes », doivent rester exceptionnelles et ne sauraient couvrir des pluies modérées. De plus, il appartient à l’État membre de prouver que les coûts des travaux de mise en conformité seraient disproportionnés, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.
La Cour établit ainsi une interprétation rigoureuse des obligations environnementales pesant sur les États membres (I), avant d’appliquer cette grille de lecture pour sanctionner concrètement les défaillances structurelles des infrastructures britanniques (II).
I. L’interprétation stricte des obligations de collecte et de traitement des eaux urbaines résiduaires
La Cour de justice fonde son raisonnement sur l’objectif de protection de l’environnement de la directive. Elle en déduit un principe de traitement intégral des eaux résiduaires (A) et encadre de manière restrictive les dérogations possibles à cette obligation (B).
A. Le principe d’une collecte et d’un traitement intégraux comme objectif premier
La Cour rappelle que la directive 91/271 vise à « protéger l’environnement contre une détérioration due aux rejets des eaux urbaines résiduaires ». Cet objectif impose une lecture exigeante des obligations qui y sont définies. La notion de « rendement suffisant » des stations d’épuration, prévue à l’article 10, est interprétée à la lumière de cette finalité. Bien qu’elle ne soit pas chiffrée, la Cour estime que cette notion implique que, dans des conditions normales, l’intégralité des eaux doit être traitée.
Elle affirme ainsi de manière claire que « la notion de ‘rendement suffisant’, bien que n’étant pas chiffrée, doit s’entendre comme signifiant que, dans des conditions climatiques habituelles et en tenant compte des variations saisonnières, la totalité des eaux urbaines résiduaires doit être collectée et traitée ». L’absence de traitement ne peut être tolérée que dans des circonstances sortant de l’ordinaire. La survenance régulière de déversements d’eaux non traitées est donc par nature contraire à la directive, car elle viderait celle-ci de son sens et de son effet utile.
Cette approche maximaliste confirme que le simple respect d’un taux de traitement élevé, comme 80 % ou 90 %, ne suffit pas à satisfaire les exigences de l’Union. La protection de l’environnement exige une solution complète, sauf circonstances exceptionnelles dûment justifiées.
B. L’encadrement restrictif des dérogations à l’obligation de traitement
La Cour procède ensuite à une analyse des exceptions potentielles invoquées par le Royaume-Uni. Concernant la notion de « précipitations exceptionnellement fortes », mentionnée à l’annexe I de la directive, elle souligne que cette expression n’est qu’un exemple de situation où un traitement complet peut s’avérer impossible. Cependant, elle précise que « le terme ‘exceptionnellement’ indique bien que l’absence de collecte ou de traitement des eaux usées ne peut pas intervenir dans des conditions ordinaires ». Des rejets survenant lors de pluies modérées ne sauraient donc être justifiés par cette disposition.
La notion de « connaissances techniques les plus avancées sans entraîner les coûts excessifs » (BTKNEEC) est également interprétée strictement. Si elle permet de mettre en balance les coûts des travaux et les bénéfices environnementaux, la Cour rappelle qu’un État membre ne peut invoquer des difficultés financières pour justifier un manquement. Pour que l’argument des coûts disproportionnés soit accepté, l’État doit en apporter la preuve détaillée. Il lui incombe de « démontrer que les conditions d’application de la notion de btkneec sont réunies », ce qui implique une analyse comparative chiffrée entre les coûts des travaux et les avantages environnementaux attendus. En l’absence d’une telle démonstration, l’exception ne peut être retenue.
II. La condamnation concrète des défaillances structurelles d’un État membre
Forte de cette interprétation, la Cour applique sa méthode aux deux situations litigieuses. Elle établit le manquement en se fondant sur les données factuelles des rejets (A) et écarte les arguments tirés des difficultés pratiques et financières rencontrées par l’État membre (B).
A. La caractérisation du manquement par la fréquence et le volume des rejets
Dans le cas de l’agglomération de Sunderland (Whitburn), la Cour examine les faits présentés par la Commission. Les données non contestées par le Royaume-Uni font état de dizaines de rejets annuels, représentant des centaines de milliers de mètres cubes d’eaux usées non traitées. La Cour en déduit que « la Commission, en basant ses observations sur la fréquence de ces rejets ainsi que leur intensité, a clairement démontré qu’ils ont […] eu lieu de manière ordinaire, un tel nombre de rejets ne pouvant être lié à des circonstances exceptionnelles ».
Le manquement étant ainsi caractérisé par son caractère régulier et non exceptionnel, la charge de la preuve est renversée. Il appartenait au Royaume-Uni de démontrer que les coûts des travaux nécessaires pour remédier à la situation étaient disproportionnés. Or, la Cour relève qu’« à aucun moment, dans les observations des parties ou dans les rapports ou études réalisés, les coûts que représenterait un tel élargissement du tunnel ne sont mentionnés ». L’État membre ayant échoué à fournir cette justification, son manquement est jugé établi. La Cour sanctionne ici non seulement une inaction, mais aussi une carence dans l’argumentation juridique et technique.
B. Le rejet des difficultés pratiques et financières comme justification de l’inaction
Concernant l’agglomération de Londres, le Royaume-Uni ne contestait pas les faits mais mettait en avant l’ampleur des travaux de modernisation déjà engagés, notamment la construction de nouveaux tunnels, pour un coût de plusieurs milliards de livres. Il soutenait que de tels projets d’envergure ne pouvaient être réalisés que sur le long terme. La Cour rejette fermement cet argument.
Elle rappelle une jurisprudence constante selon laquelle « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre défendeur telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé complémentaire ». Les projets futurs ou en cours, aussi ambitieux soient-ils, ne peuvent effacer un manquement constaté à la date butoir. Les délais fixés par les directives sont impératifs et ne sauraient être prolongés unilatéralement par un État membre au prétexte de difficultés pratiques. La Cour souligne que le fait même que le Royaume-Uni ait finalement décidé d’entreprendre ces travaux coûteux démontre que leur coût n’était pas considéré comme disproportionné, ce qui invalide l’argument fondé sur la notion de BTKNEEC.