La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 18 octobre 2012, interprète le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales. L’affaire concernait la possibilité de déduire des bénéfices lors d’une fusion par absorption réalisée par une société ayant son siège social en Belgique.
Le litige est né d’une opération de restructuration où une entité a absorbé deux de ses filiales dont elle détenait l’intégralité du capital social. L’administration fiscale a refusé le report d’une déduction fiscale en invoquant une loi interne assimilant la fusion par absorption à une opération de liquidation.
Saisie du litige, la juridiction de première instance de Bruges a rejeté le recours de la société par un jugement rendu le 28 octobre 2009. La Cour d’appel de Gand, saisie ultérieurement, a décidé le 28 juin 2011 de surseoir à statuer afin d’interroger les juges européens sur cette qualification.
Le problème de droit portait sur la faculté pour un État membre de définir la notion de liquidation en y incluant les fusions sans liquidation réelle. La Cour devait déterminer si une telle assimilation nationale pouvait légalement restreindre l’application du régime d’exonération prévu par la directive pour éviter la double imposition.
La Cour de justice affirme que « la dissolution d’une société dans le cadre d’une fusion par absorption ne saurait être considérée comme une telle liquidation ». Cette solution garantit l’application uniforme du droit de l’Union européenne et protège l’objectif de neutralité fiscale essentiel au bon fonctionnement du marché commun.
I. L’exclusion de la qualification de liquidation en matière de fusion par absorption
A. Une interprétation autonome de la notion de liquidation Les juges soulignent que la directive ne définit pas explicitement la liquidation alors qu’elle encadre strictement les exceptions au régime de faveur des sociétés mères. L’enjeu résidait dans l’application d’une règle nationale assimilant artificiellement la dissolution consécutive à une fusion au processus classique de fermeture définitive d’une entreprise.
La Cour rejette cette assimilation en rappelant que la notion de « liquidation » figurant à l’article 4, paragraphe 1 de la directive doit recevoir une interprétation autonome. Cette approche assure que les fictions juridiques d’un État ne puissent restreindre unilatéralement la portée des droits et des libertés garantis par les textes européens.
B. Le rejet des fictions juridiques nationales restrictives Le droit interne prévoyait que la valeur réelle de l’avoir social constatée lors d’une fusion était assimilée à une somme répartie en cas de partage. Cette construction légale permettait à l’administration d’écarter l’obligation de s’abstenir d’imposer les bénéfices distribués en invoquant l’exception prévue par le législateur de l’Union.
La décision censure cette pratique car les autorités nationales ne peuvent pas élargir discrétionnairement le champ des dérogations prévues par le droit de l’Union européenne. En limitant strictement la portée de cette exception, les juges protègent l’efficacité du régime commun et empêchent le contournement des objectifs fondamentaux de la directive.
II. La cohérence systémique du droit de l’Union au service de la neutralité fiscale
A. Le recours à l’analogie textuelle entre les directives de 1990 Pour fonder son raisonnement, la Cour s’appuie sur la définition de la fusion issue d’une directive contemporaine relative au régime fiscal des restructurations d’entreprises. Elle relève que cette opération se définit techniquement comme un transfert de patrimoine intervenant « par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation ».
Cette coordination entre deux textes adoptés simultanément manifeste la volonté manifeste du législateur européen de créer un ensemble juridique parfaitement cohérent pour les groupes. L’analogie permet de combler les lacunes textuelles d’un acte par les précisions apportées par un autre, renforçant ainsi la sécurité juridique des opérateurs économiques.
B. La consécration d’un régime protecteur des restructurations La solution favorise l’établissement de conditions analogues à celles d’un marché intérieur en supprimant les désavantages fiscaux découlant des législations disparates des États membres. La Cour rappelle que l’objectif principal est d’éliminer la pénalisation de la coopération transfrontalière entre les sociétés mères et leurs filiales respectives.
En interdisant la requalification fiscale d’une fusion en liquidation, les juges assurent la neutralité indispensable aux mouvements de capitaux et à la croissance des groupes. Cette jurisprudence confirme la primauté des objectifs d’intégration économique sur les techniques de taxation locales, garantissant ainsi la pérennité et l’efficacité du marché unique.