Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de commercialisation des produits de construction au sein du marché intérieur. En l’espèce, une entreprise avait importé des produits de construction depuis un État membre où ils étaient légalement fabriqués et commercialisés. Les autorités d’un autre État membre ont toutefois subordonné leur mise sur le marché national à l’apposition d’un marquage CE, conformément à leur législation interne. L’entreprise a contesté cette exigence devant une juridiction nationale, arguant qu’elle constituait une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises. La juridiction de renvoi, incertaine de l’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. Il était ainsi demandé à la Cour si la directive 89/106/CEE et les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposaient à une telle réglementation nationale. La Cour répond par l’affirmative, considérant que le droit de l’Union « s’oppose à des dispositions nationales subordonnant d’office la commercialisation de produits de construction […] à l’apposition du marquage CE ».
Cette solution, qui rappelle la primauté du droit de l’Union, repose sur une double analyse. La Cour examine d’abord la question au regard du droit dérivé, en particulier de la directive visant à l’harmonisation des règles techniques (I), avant de confirmer sa position par une application des principes fondamentaux du traité relatifs à la libre circulation des marchandises (II).
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I. La consécration du principe d’harmonisation en matière de produits de construction
La Cour de justice fonde sa décision en premier lieu sur l’interprétation de la directive 89/106/CEE, rappelant ainsi la portée d’une harmonisation européenne. Elle affirme le caractère exclusif du cadre réglementaire de l’Union (A) et censure par conséquent toute forme de surréglementation nationale (B).
A. Le caractère exclusif du cadre réglementaire harmonisé
La directive relative aux produits de construction établit un système harmonisé de normes techniques et de procédures d’évaluation de la conformité. L’objectif de ce texte est précisément de supprimer les entraves techniques aux échanges qui résultent de la divergence des réglementations nationales. Dans ce contexte, l’apposition du marquage CE atteste de la conformité d’un produit aux exigences essentielles définies par la législation de l’Union, lui permettant de circuler librement au sein du marché intérieur.
En affirmant que la directive « s’oppose à des dispositions nationales subordonnant d’office la commercialisation » au marquage CE pour des produits légalement commercialisés dans un autre État membre, la Cour souligne la nature complète de l’harmonisation opérée. Lorsqu’un domaine est couvert par une législation d’harmonisation de l’Union, les États membres ne peuvent plus imposer de conditions supplémentaires, qu’elles soient techniques ou administratives. Le marquage CE constitue dès lors non pas une condition parmi d’autres, mais l’unique passeport réglementaire pour les produits relevant du champ de la directive.
B. La censure de la surréglementation nationale
En conséquence logique, la décision de la Cour sanctionne la pratique d’un État membre qui ajoute ses propres exigences à celles prévues par le droit de l’Union. Une réglementation nationale qui impose systématiquement le marquage CE comme condition autonome de commercialisation méconnaît la logique même du marché intérieur. Elle crée une barrière à l’entrée pour des produits qui, bien que conformes aux standards de leur État membre d’origine, se voient imposer une formalité supplémentaire non prévue ou appliquée différemment par la directive.
Cette interprétation stricte de la directive a une valeur de principe, car elle protège l’effectivité des instruments d’harmonisation. Elle empêche les États membres de réintroduire, par des voies détournées, des obstacles que le législateur de l’Union a entendu supprimer. La Cour réaffirme ainsi que l’harmonisation n’est pas un plancher minimal de régulation que les États pourraient compléter, mais bien un cadre exhaustif destiné à garantir une uniformité réglementaire sur tout le territoire de l’Union pour les produits concernés.
La solidité du raisonnement de la Cour est renforcée par son analyse complémentaire au regard des libertés de circulation garanties par le traité, assurant une protection maximale au principe du marché intérieur.
II. L’application subsidiaire des libertés de circulation des marchandises
La Cour de justice ne se contente pas de l’analyse du droit dérivé et examine également la mesure nationale à l’aune des articles 34 et 36 du TFUE. Cette démarche permet de qualifier la mesure nationale d’entrave prohibée (A) et de confirmer la portée générale de l’interdiction des barrières non tarifaires (B).
A. La qualification d’entrave à la libre circulation
L’article 34 du TFUE interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes les mesures d’effet équivalent. Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt de principe du 11 juillet 1974, constitue une telle mesure toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intra-unioniste. En l’espèce, le fait de subordonner la commercialisation d’un produit à l’obtention d’un marquage CE non exigé dans son État membre de provenance rend l’importation plus difficile et plus coûteuse.
La Cour confirme que de telles dispositions nationales constituent une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative. Elles désavantagent les produits importés par rapport aux produits nationaux et contreviennent ainsi directement à l’objectif de l’article 34 du TFUE. La solution est classique mais démontre la vigilance de la Cour face à toute forme de protectionnisme déguisé sous des apparences techniques. Elle rappelle que même en l’absence d’harmonisation, le principe de reconnaissance mutuelle devrait en principe s’appliquer.
B. La portée de l’interdiction des barrières injustifiées
En appliquant les articles 34 à 37 du TFUE, la Cour confère à sa décision une portée qui dépasse le seul champ des produits de construction harmonisés. Elle rappelle qu’une entrave à la libre circulation ne peut être justifiée que par l’un des motifs d’intérêt général visés à l’article 36 du TFUE ou par les exigences impératives reconnues par sa jurisprudence. De plus, la mesure nationale doit être nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi.
En l’espèce, la réglementation nationale instaurait une subordination « d’office », c’est-à-dire systématique et inconditionnelle, au marquage CE. Une telle automaticité ne permet pas un examen au cas par cas de la conformité du produit et de son niveau de sécurité, et apparaît donc disproportionnée. Cette décision réaffirme avec force que la charge de la preuve d’une éventuelle justification pèse sur l’État membre qui met en place la restriction. La solution adoptée par la Cour s’inscrit ainsi dans le courant jurisprudentiel qui vise à garantir un marché intérieur fluide, où les marchandises circulent sans entraves autres que celles strictement nécessaires à la protection d’un intérêt légitime.