Par un arrêt en date du 18 octobre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours du droit au remboursement de l’excédent de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et les limites que les États membres peuvent y apporter. En l’espèce, une société assujettie à la TVA dans un État membre a sollicité le remboursement d’un excédent de taxe. L’administration fiscale nationale a refusé de rembourser une partie de ce montant en application d’une réglementation nationale. Cette dernière prévoyait que la fraction du trop-perçu de TVA qui excédait 18 % de la valeur totale des opérations imposables réalisées au cours de la période n’était pas immédiatement remboursée, mais reportée jusqu’à l’examen de la déclaration fiscale annuelle de l’assujetti.
La société a contesté cette décision devant les juridictions administratives nationales. Déboutée en première instance puis par une cour administrative régionale au motif que la mesure poursuivait un objectif légitime de protection des intérêts du Trésor public, elle a formé un pourvoi en cassation. La juridiction de renvoi, doutant de la conformité de la réglementation et de la pratique administrative avec le droit de l’Union, a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle. La question posée à la Cour était donc de savoir si l’article 183 de la directive 2006/112/CE autorise une administration fiscale à reporter de manière automatique et forfaitaire le remboursement d’une partie d’un excédent de TVA jusqu’à la vérification de la déclaration annuelle.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative en jugeant qu’une telle pratique est contraire au droit de l’Union. Elle estime que l’administration fiscale d’un État membre ne peut reporter le remboursement d’une fraction d’un excédent de TVA apparu au cours d’une période imposable, sans appréciation particulière et en se fondant uniquement sur des calculs mathématiques, jusqu’à l’examen de la déclaration fiscale annuelle de l’assujetti.
La solution retenue par la Cour repose sur une application rigoureuse du principe de neutralité fiscale, lequel impose que le remboursement de l’excédent de TVA s’effectue dans des conditions qui ne créent pas de charge financière pour l’assujetti (I). Cette décision conduit également la Cour à encadrer les prérogatives des États membres en matière de lutte contre la fraude fiscale, en exigeant que les mesures mises en œuvre respectent le principe de proportionnalité (II).
I. La réaffirmation du droit au remboursement de l’excédent de TVA comme corollaire du principe de neutralité fiscale
La Cour de justice rappelle avec fermeté que les modalités de remboursement de la TVA, bien que relevant de la compétence des États membres, ne peuvent porter atteinte au principe fondamental de neutralité fiscale. Elle examine d’abord la mesure nationale restrictive (A) avant de la censurer au nom de la primauté du principe de neutralité sur les choix procéduraux nationaux (B).
A. La contestation d’une modalité de remboursement automatique et restrictive
Le litige au principal trouve son origine dans une réglementation nationale qui limitait le remboursement immédiat de l’excédent de TVA. En vertu de cette dernière, lorsque le trop-perçu de TVA dépassait un seuil de 18 % de la valeur totale des opérations imposables, la fraction excédentaire était automatiquement reportée. Le remboursement de ce reliquat n’intervenait qu’après l’examen de la déclaration fiscale annuelle, ce qui pouvait contraindre l’assujetti à attendre plus d’une année pour récupérer l’intégralité de sa créance.
Cette méthode de calcul purement mathématique ne tenait compte d’aucune des circonstances particulières de l’espèce. Elle s’appliquait de manière générale et préventive, indépendamment de toute suspicion de fraude ou d’irrégularité. Une telle approche, bien que simple à mettre en œuvre pour l’administration, fait peser sur l’assujetti une charge financière significative. En effet, ce dernier est contraint de financer par sa trésorerie un crédit de taxe que l’État détient, ce qui va à l’encontre de la logique même du système de la TVA. C’est précisément cette conséquence que la Cour de justice va sanctionner.
B. La primauté du principe de neutralité sur les modalités nationales de remboursement
Face à cette réglementation, la Cour de justice rappelle que les États membres, s’ils disposent d’une liberté pour fixer les modalités de remboursement de l’excédent de TVA en vertu de l’article 183 de la directive, ne peuvent adopter des mesures qui portent atteinte au principe de neutralité fiscale. Ce principe fondamental exige que le remboursement permette à l’assujetti « de récupérer, dans des conditions adéquates, la totalité de la créance résultant d’un excédent de TVA ».
Pour ce faire, la Cour précise que « le remboursement soit effectué, dans un délai raisonnable, par un paiement en liquidités ou d’une manière équivalente, et que, en tout état de cause, le mode de remboursement adopté ne doive faire courir aucun risque financier à l’assujetti ». Or, un délai pouvant excéder une année ne saurait être considéré comme raisonnable. Un tel report fait supporter à l’assujetti, de manière indue, le poids de la TVA, ce qui contrevient directement au principe de neutralité. La Cour conclut donc que le mécanisme de report automatique et généralisé instauré par la législation nationale est incompatible avec les exigences de la directive.
II. L’encadrement des prérogatives étatiques en matière de lutte contre la fraude à la TVA
Si la Cour réaffirme avec force le droit au remboursement, elle ne nie pas pour autant la légitimité de l’objectif de lutte contre la fraude fiscale poursuivi par les États membres. Cependant, elle exige que les moyens employés soient proportionnés, ce qui la conduit à censurer une mesure préventive générale (A) tout en légitimant des contrôles ciblés et justifiés (B).
A. La censure d’une mesure préventive générale au regard du principe de proportionnalité
Le gouvernement national et l’administration fiscale soutenaient que la mesure visait à prévenir les risques de fraude et d’évasion fiscales. La Cour reconnaît que la lutte contre la fraude est un objectif légitime, reconnu et encouragé par la directive TVA. Toutefois, elle souligne que les États membres doivent, « conformément au principe de proportionnalité, avoir recours à des moyens qui, tout en permettant d’atteindre efficacement un tel objectif, portent le moins atteinte aux objectifs et aux principes posés par la législation de l’Union ».
En l’espèce, la juridiction de renvoi a constaté que la mesure était appliquée de manière générale et préventive, sur la base d’une simple constatation mathématique, sans aucune appréciation particulière du cas d’espèce. L’assujetti n’avait pas la possibilité de démontrer l’absence de risque de fraude. La Cour estime qu’une telle application « préventive et généralisée » est contraire au principe de proportionnalité. Une mesure qui traite tous les assujettis comme des fraudeurs potentiels en leur imposant une charge financière systématique est disproportionnée par rapport à l’objectif de prévention de la fraude.
B. La légitimation des contrôles ciblés et justifiés
La Cour de justice ne laisse pas les États membres démunis face aux risques de fraude. Sa décision est d’autant plus fondée que le droit national prévoyait déjà des instruments plus adéquats et moins attentatoires aux droits des assujettis. La Cour relève en effet que l’administration fiscale disposait d’autres moyens pour protéger les intérêts financiers de l’État. La législation nationale permettait déjà de reporter un remboursement en cas de déclenchement d’une enquête spécifique ou lorsque l’assujetti ne pouvait fournir les justificatifs nécessaires à sa demande.
Ces mécanismes, contrairement au report automatique, reposent sur une appréciation au cas par cas et sur des indices concrets de risque. Ils permettent à l’administration d’effectuer des contrôles approfondis lorsqu’il existe des doutes légitimes, sans pénaliser l’ensemble des opérateurs économiques. En soulignant l’existence de ces alternatives, la Cour indique la voie à suivre : la lutte contre la fraude doit être menée par des actions ciblées, fondées sur une analyse de risque, et non par des restrictions générales qui entravent le fonctionnement normal du système commun de TVA. La portée de l’arrêt est ainsi de rappeler que l’efficacité de la lutte contre la fraude ne saurait justifier une atteinte disproportionnée aux principes fondamentaux du droit de l’Union.