La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision importante le 18 octobre 2012 concernant le régime fiscal commun des fusions et scissions. Cette affaire porte sur l’interprétation de la directive 90/434/CEE lorsqu’un État membre subordonne des avantages fiscaux à une demande introduite dans un délai strict.
Une société commerciale adopte un projet de scission prévoyant le transfert d’une partie de son entreprise vers une entité nouvelle par un acte notarié. Les modifications statutaires sont enregistrées au registre des sociétés commerciales avant que l’assujetti ne sollicite le bénéfice du régime fiscal préférentiel auprès des autorités. L’administration fiscale rejette la demande au motif qu’elle n’a pas été déposée trente jours au moins avant la réalisation de l’opération de transformation envisagée.
La société requérante introduit un recours devant la juridiction administrative nationale en soutenant que cette forclusion automatique est contraire aux dispositions du droit de l’Union. Le juge de renvoi interroge alors la Cour sur la conformité d’une réglementation nationale privant l’assujetti de ses droits fiscaux à l’expiration d’un tel délai. La Cour de justice affirme que le droit de l’Union ne s’oppose pas à un délai de forclusion sous réserve du respect du principe de sécurité juridique. L’examen de cette solution nécessite d’envisager l’autonomie procédurale étatique avant de préciser l’encadrement nécessaire des modalités de mise en œuvre de la forclusion.
I. L’affirmation de l’autonomie procédurale des États membres dans l’application de la directive
A. L’absence de dispositions procédurales harmonisées au sein du droit de l’Union
Le régime fiscal commun institué par la directive s’applique indistinctement à toutes les opérations de fusion ou de scission sans considération de leurs motifs financiers ou économiques. La Cour relève que « la directive 90/434 ne comporte aucune disposition concernant les modalités procédurales que les États membres sont tenus de respecter » pour l’octroi d’avantages. Cette lacune textuelle impose de se référer aux principes généraux régissant l’application du droit de l’Union par les autorités administratives et judiciaires des pays membres.
Le droit national détermine librement les règles de forme pour assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent directement de l’ordre juridique de l’Union. Cette liberté est toutefois encadrée par les principes d’équivalence et d’effectivité qui interdisent de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des prérogatives reconnues aux assujettis. La législation nationale peut donc prévoir des conditions de forme spécifiques tant qu’elles ne lèsent pas les objectifs de neutralité fiscale poursuivis par le texte européen.
B. La validation d’un délai de forclusion au regard du principe d’effectivité
La Cour juge compatible avec le droit de l’Union « la fixation de délais raisonnables de recours, sous peine de forclusion, dans l’intérêt de la sécurité juridique ». Un délai de trente jours n’apparaît pas en lui-même susceptible de rendre pratiquement impossible l’exercice des droits que l’assujetti tire du droit de l’Union. La protection de l’administration et du contribuable justifie l’existence de bornes temporelles claires pour stabiliser les situations juridiques après la réalisation d’une opération de restructuration.
L’exigence d’une demande préalable ne constitue pas une entrave disproportionnée si elle permet aux autorités fiscales de vérifier la réalité des motifs économiques de l’opération. La sanction de la déchéance des droits fiscaux en cas de retard demeure licite dès lors qu’elle respecte les standards habituels de la procédure fiscale. L’autonomie procédurale permet ainsi aux États de rationaliser la gestion des avantages fiscaux par l’imposition de contraintes temporelles strictes aux sociétés commerciales concernées.
II. L’encadrement des modalités de forclusion par l’exigence de sécurité juridique
A. L’incertitude du point de départ du délai comme obstacle à l’exercice des droits
La mise en œuvre du délai de forclusion ne doit pas priver l’assujetti de la possibilité réelle de bénéficier du régime fiscal de faveur prévu par l’Union. La Cour souligne que la période de trente jours est calculée à rebours à partir du jour où l’opération de restructuration est effectivement inscrite au registre. Le terme du délai dépend ainsi d’une formalité dont la date précise échappe à la maîtrise de la société commerciale ayant initié la procédure de scission.
L’assujetti n’est pas en mesure de connaître avec exactitude le point de départ du délai ou son échéance finale en raison du caractère aléatoire de l’enregistrement. « La période pendant laquelle court le délai de 30 jours ne dépend pas de l’assujetti » ce qui compromet la pleine efficacité des dispositions de la directive. Une telle incertitude procédurale risque de transformer une règle de forme légitime en une barrière infranchissable pour les entreprises souhaitant se restructurer au sein du marché.
B. La mission de vérification dévolue au juge national pour la sauvegarde des avantages
Les États membres ont l’obligation de mettre en place un régime de délais suffisamment précis pour permettre aux particuliers de connaître l’étendue de leurs obligations. Il appartient exclusivement au juge national de vérifier si les modalités de calcul sont « suffisamment précises, claires et prévisibles pour permettre aux assujettis de connaître leurs droits ». La sécurité juridique impose que l’administration fiscale communique des informations transparentes sur le calendrier que les sociétés commerciales doivent impérativement respecter lors de leurs opérations.
La juridiction de renvoi doit s’assurer que l’assujetti n’a pas été placé dans une situation d’impuissance face à une procédure dont il ne pouvait anticiper l’issue. Si le juge constate un manque de clarté dans la détermination du point de départ du délai il devra écarter l’application de la forclusion automatique. Cette solution préserve l’équilibre entre la rigueur administrative nécessaire et la protection effective des avantages fiscaux garantis par le régime commun des fusions.