Cour de justice de l’Union européenne, le 18 octobre 2018, n°C-669/16

Par l’arrêt soumis à l’analyse, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les obligations des États membres en matière de conservation des habitats naturels et des espèces sauvages. La décision s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 92/43/CEE, dite « Habitats », qui constitue l’un des piliers de la politique environnementale de l’Union. En l’espèce, une procédure en manquement a été engagée à l’encontre d’un État membre. Il était reproché à cet État de ne pas avoir proposé une liste de sites jugée suffisante pour la protection d’une espèce de cétacé, le marsouin commun, et de ne pas avoir ainsi contribué de manière adéquate à la constitution du réseau écologique Natura 2000 sur son territoire maritime.

La saisine de la Cour visait à faire constater la violation des obligations découlant de l’article 3, paragraphe 2, et de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive. Le grief principal portait sur l’insuffisance quantitative et qualitative de la liste de sites transmise par l’État membre concerné, au regard des données scientifiques disponibles sur la présence et la répartition du marsouin commun dans ses eaux. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si l’omission par un État membre de proposer un nombre suffisant de sites pour une espèce protégée constitue une méconnaissance de ses obligations au titre du droit de l’Union.

À cette question, la Cour répond par l’affirmative et condamne l’État défendeur. Elle juge qu’« en n’ayant pas, dans le délai prescrit, proposé et transmis […] une liste indiquant un nombre suffisant de sites abritant le marsouin commun », cet État « a manqué aux obligations qui lui incombent » en vertu des dispositions de la directive. Cette solution, bien que classique dans son mécanisme, rappelle avec fermeté l’étendue des devoirs des États membres pour la protection de la biodiversité.

Ainsi, cette décision confirme la rigueur des obligations pesant sur les États membres en matière de désignation des sites Natura 2000 (I), tout en soulignant la portée du contrôle juridictionnel exercé pour garantir l’effectivité du droit de l’environnement (II).

I. La confirmation d’une obligation de résultat précise

La Cour, par cette décision, ne fait pas œuvre d’innovation mais réaffirme avec force la nature et la consistance des obligations qui découlent de la directive Habitats. Elle précise que la contribution au réseau Natura 2000 est un devoir clairement défini (A), dont l’exécution n’est pas laissée à la libre appréciation des États membres (B).

A. L’obligation de contribution au réseau Natura 2000

La directive Habitats impose aux États membres une obligation de contribuer à la constitution d’un réseau écologique européen cohérent, dénommé Natura 2000. Ce réseau a pour objectif d’assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d’intérêt pour l’Union. L’article 3 de la directive établit que ce réseau est composé de sites abritant ces types d’habitats et les habitats des espèces concernées. La constitution de ce réseau repose sur une démarche en plusieurs étapes, dont la première incombe exclusivement aux États membres.

Chaque État membre doit en effet établir une liste de sites, accompagnée d’informations sur leur localisation et les types d’habitats ou d’espèces qu’ils abritent. La décision commentée souligne que cette étape est fondamentale. Le manquement constaté par la Cour réside précisément dans l’exécution défaillante de cette obligation initiale. En ne proposant pas un nombre adéquat de zones pour le marsouin commun, l’État membre a paralysé le processus de constitution du réseau pour cette espèce sur son territoire et, par conséquent, a affaibli la cohérence de ce réseau à l’échelle de l’Union.

B. La portée non discrétionnaire de la proposition des sites

L’un des apports essentiels de la jurisprudence constante, rappelée ici, est que le choix des sites à proposer ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire des États membres. L’article 4, paragraphe 1, de la directive et son annexe III prévoient que la sélection des sites doit s’opérer sur la base de critères scientifiques et écologiques précisément définis. La Cour a maintes fois jugé que les considérations d’ordre économique, social ou culturel ne peuvent être invoquées à ce stade de la procédure pour justifier l’absence de proposition d’un site qui, sur le plan scientifique, revêt une importance pour la conservation d’un habitat ou d’une espèce.

Dans le cas présent, l’insuffisance de la liste n’est pas une simple négligence administrative mais une véritable défaillance dans l’application de ces critères objectifs. L’arrêt met en évidence que l’obligation de proposer un « nombre suffisant de sites » doit s’entendre comme une obligation de résultat. L’État membre devait s’assurer que sa proposition reflétait fidèlement l’importance de son territoire pour la conservation du marsouin commun. La Cour constate que cette exigence n’a pas été satisfaite, transformant une obligation de moyens apparents en une obligation de résultat tangible et juridiquement sanctionnable.

La constatation de ce manquement par la Cour n’est pas seulement déclaratoire ; elle emporte des conséquences significatives sur le plan juridique et institutionnel, illustrant l’efficacité du contrôle juridictionnel en matière environnementale.

II. La portée du contrôle juridictionnel en matière environnementale

Cette décision est une illustration topique du rôle de la Cour de justice en tant que garante de l’application uniforme et effective du droit de l’Union. Elle met en lumière la fonction du recours en manquement comme outil essentiel pour assurer cette effectivité (A), et sa portée dépasse le cas d’espèce en adressant un message préventif à l’ensemble des États membres (B).

A. La sanction du manquement, garantie de l’effectivité du droit de l’Union

La décision illustre le rôle fondamental du recours en manquement dans l’architecture institutionnelle de l’Union. Initié par la Commission européenne en sa qualité de gardienne des traités, ce recours permet de faire constater objectivement par la Cour une violation du droit de l’Union par un État membre. Le prononcé d’un arrêt en manquement a une force juridique considérable : il établit de manière irréfutable l’illicéité du comportement de l’État concerné et lui impose de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations dans les plus brefs délais.

En condamnant l’État défendeur pour n’avoir pas respecté ses obligations au titre de la directive Habitats, la Cour ne se contente pas de trancher un litige. Elle assure la primauté et l’effet direct du droit de l’environnement de l’Union. La protection d’une espèce migratrice comme le marsouin commun dépend entièrement d’une action coordonnée et rigoureuse de tous les États membres concernés. La défaillance d’un seul d’entre eux compromet l’ensemble de l’édifice protecteur. La sanction juridictionnelle apparaît alors comme le seul remède efficace face à l’inertie d’une administration nationale.

B. La portée préventive et pédagogique de la condamnation

Au-delà du cas d’espèce, la portée de cet arrêt est considérable. Il constitue un avertissement pour tous les États membres quant à la nécessité de prendre au sérieux leurs obligations en matière de désignation des sites Natura 2000, y compris dans le domaine marin, souvent plus complexe à gérer. La protection des espèces marines mobiles, dont l’aire de répartition s’étend sur de vastes zones, représente un défi particulier que les États ne peuvent ignorer. L’arrêt rappelle que les difficultés techniques ou administratives ne sauraient constituer une excuse pour un manquement prolongé.

De plus, cette décision a une vertu pédagogique. Elle réitère une jurisprudence bien établie mais dont l’application concrète reste parfois difficile. En visant une espèce emblématique, elle attire l’attention sur l’importance de finaliser le réseau Natura 2000, plus de trente ans après l’adoption de la directive. Elle renforce ainsi la légitimité de l’action de la Commission et des organisations non gouvernementales qui veillent à la bonne application du droit de l’environnement. L’arrêt contribue, en définitive, à consolider l’État de droit environnemental au sein de l’Union européenne.

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Hassan KOHEN
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