Cour de justice de l’Union européenne, le 18 septembre 2014, n°C-374/12

Par un arrêt du 18 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par une juridiction bulgare, s’est prononcée sur la validité d’un règlement instituant un droit antidumping. En l’espèce, une société bulgare avait importé des câbles en fer ou en acier produits par une société russe. Ces importations étaient soumises à un droit antidumping institué par un règlement du Conseil de 2007, lequel résultait d’un réexamen de mesures initialement imposées en 2001. La société exportatrice russe avait, à la suite des premières mesures, souscrit un engagement de prix par lequel elle s’engageait à ne pas vendre les produits en cause en deçà d’un certain niveau de prix sur le marché de l’Union. Lors du réexamen, les institutions de l’Union avaient constaté que les prix à l’exportation vers l’Union n’étaient pas fiables précisément en raison de cet engagement. Elles avaient alors modifié leur méthode de calcul en se fondant sur les prix pratiqués par l’exportateur vers des pays tiers, ce qui a abouti au maintien d’un droit antidumping, quoique révisé.

L’importateur bulgare, après avoir acquitté les droits correspondants, en a demandé le remboursement aux autorités douanières nationales. Il soutenait que le règlement de 2007 était invalide au motif que le changement de méthode de calcul du prix à l’exportation était contraire au règlement de base, lequel exige que la même méthode soit utilisée lors d’un réexamen, sauf en cas de changement de circonstances. Le litige est parvenu jusqu’à la plus haute juridiction administrative bulgare, qui a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Il était ainsi demandé si les institutions de l’Union pouvaient, lors d’un réexamen, déroger à la méthode de calcul du prix à l’exportation utilisée lors de l’enquête initiale en raison de l’existence d’un engagement de prix, et si le recours aux prix de vente vers des pays tiers constituait une base de calcul alternative valide. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, déclarant le règlement valide. Elle a jugé que l’existence d’un engagement de prix constituait un changement de circonstances justifiant l’adaptation de la méthode, et que l’utilisation des prix vers des pays tiers représentait une « base raisonnable » pour reconstruire le prix à l’exportation.

La solution de la Cour clarifie les conditions d’exercice des pouvoirs des institutions lors des procédures de réexamen. Elle consacre une approche pragmatique en reconnaissant que la méthode de calcul doit être adaptée à la spécificité des situations de réexamen (I), tout en confirmant le large pouvoir d’appréciation dont jouissent les institutions dans le choix des instruments d’analyse (II).

I. La justification d’une dérogation méthodologique dans le cadre d’une procédure de réexamen

La Cour de justice valide le changement de méthode de calcul du prix à l’exportation en se fondant sur une interprétation extensive de la notion de changement de circonstances (A) et en soulignant la finalité particulière des enquêtes de réexamen (B).

A. La qualification de l’engagement de prix comme un changement de circonstances

Le règlement de base prévoit en son article 11, paragraphe 9, que lors d’un réexamen, la Commission applique la même méthode que dans l’enquête initiale, « dans la mesure où les circonstances n’ont pas changé ». La Cour considère que l’existence d’un engagement de prix, souscrit par l’exportateur après l’enquête initiale, constitue un tel changement. En effet, comme l’a constaté la Commission, les prix de vente à l’exportation vers l’Union, lorsqu’ils sont encadrés par un engagement, ne sont plus le reflet d’un comportement commercial libre. Ils sont artificiellement maintenus à un niveau minimal afin d’éviter l’application du droit antidumping. Par conséquent, ces prix deviennent une référence non fiable pour déterminer la probabilité de la continuation ou de la réapparition du dumping en cas de suppression des mesures.

La Cour estime que, bien que le règlement de 2007 n’ait pas explicitement qualifié cette situation de « changement de circonstances », les motifs exposés dans ses considérants suffisent à établir cette réalité. Il ressort en effet des considérants que l’enquête a porté sur l’influence de l’engagement sur le niveau des prix, concluant à leur caractère artificiel. Le juge de l’Union admet ainsi que le changement de circonstances peut être constaté implicitement dès lors qu’il est matériellement justifié par les faits examinés par les institutions. Cette approche permet de ne pas invalider un acte pour un simple défaut de qualification formelle, privilégiant ainsi l’analyse de fond menée par les institutions.

B. La finalité prospective de la procédure de réexamen

L’arrêt souligne également la distinction fondamentale entre une enquête initiale et une enquête de réexamen. L’enquête initiale a pour objet de déterminer l’existence, le degré et l’effet d’un dumping allégué. La procédure de réexamen, qu’il soit intermédiaire ou au titre de l’expiration des mesures, poursuit un objectif différent. Il s’agit, comme le précise la Cour, d’apprécier « si la suppression de la mesure antidumping initiale favoriserait probablement la continuation ou la réapparition du dumping et du préjudice ». Cette analyse est donc essentiellement prospective.

Cette finalité justifie une plus grande flexibilité dans le choix des méthodes. Les institutions doivent évaluer l’évolution probable de la situation en l’absence des mesures en vigueur. Pour ce faire, elles ne peuvent se contenter d’une analyse purement rétrospective des prix observés, surtout lorsque ceux-ci sont influencés par les mesures elles-mêmes. La Cour reconnaît ainsi que le contrôle opéré par la Commission peut la conduire « à effectuer non seulement une analyse rétrospective […] mais également une analyse prospective ». En validant un changement de méthode rendu nécessaire par le contexte, la Cour confère aux institutions les outils nécessaires pour mener à bien cette analyse prospective et garantir l’efficacité du mécanisme de réexamen.

II. La consécration du large pouvoir d’appréciation des institutions dans le choix de la méthode de substitution

Après avoir justifié le principe d’un changement de méthode, la Cour confirme la légalité de la solution alternative retenue par les institutions. Elle rappelle le caractère non exhaustif des méthodes de construction du prix à l’exportation (A) et juge que le recours aux prix vers les pays tiers constituait en l’espèce une base raisonnable (B).

A. Le caractère non exhaustif des méthodes de construction du prix à l’exportation

L’article 2, paragraphe 9, du règlement de base dispose que, lorsque le prix à l’exportation n’est pas fiable, il peut être construit sur la base du prix de revente à un acheteur indépendant ou, à défaut, sur « toute autre base raisonnable ». La Cour interprète cette disposition de manière large. Elle juge que les circonstances justifiant le recours à un prix construit ne se limitent pas à l’existence d’une association entre l’exportateur et l’importateur, expressément mentionnée par le texte. L’existence d’un engagement de prix, en rendant les prix non fiables, peut également justifier l’application de cet article.

De plus, la Cour confirme que la liste des méthodes de substitution n’est pas exhaustive. L’exigence fondamentale est que le prix soit construit sur une « base raisonnable », ce qui laisse une marge d’appréciation importante aux institutions. Cette interprétation est conforme à une jurisprudence constante qui reconnaît aux institutions de l’Union un large pouvoir d’appréciation en matière de politique commerciale, en raison de la complexité des situations économiques à évaluer. Le contrôle juridictionnel se limite alors à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

B. L’élection des prix à l’exportation vers les pays tiers comme base raisonnable

La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le choix d’utiliser les prix de vente de l’exportateur russe vers des pays tiers était approprié et non déraisonnable. Ces prix, n’étant pas affectés par les mesures antidumping de l’Union ni par l’engagement de prix, étaient susceptibles de refléter plus fidèlement le comportement commercial de l’exportateur en l’absence de contraintes. Ils constituaient donc un indicateur pertinent pour estimer les prix qui seraient probablement pratiqués vers l’Union si les mesures étaient supprimées.

En validant ce choix, la Cour renforce l’arsenal méthodologique des institutions dans le cadre des réexamens. Elle leur permet de contourner les distorsions créées par les mesures antidumping elles-mêmes pour fonder leur analyse sur des données économiques plus fiables. Cette solution pragmatique garantit que la finalité des procédures de réexamen, qui est de déterminer la probabilité d’une réapparition du dumping, ne soit pas compromise par les effets mêmes des instruments destinés à le combattre. L’arrêt confirme ainsi que la notion de « base raisonnable » doit être appréciée au regard de l’objectif poursuivi et des spécificités de chaque enquête.

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Hassan KOHEN
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