La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 18 septembre 2014, se prononce sur la licéité des clauses sociales territoriales.
Un pouvoir adjudicateur a lancé une procédure de passation pour un marché de services portant sur la numérisation de documents administratifs. Le cahier des charges imposait au futur titulaire et à ses sous-traitants le versement d’un salaire horaire minimal fixé par la réglementation locale. Une entreprise soumissionnaire a informé l’administration que les prestations seraient intégralement réalisées en Pologne par un sous-traitant refusant de respecter ce seuil. Saisie d’un recours, la chambre des marchés publics compétente a interrogé la Cour sur la compatibilité de cette exigence avec la liberté de prestation. La question posée porte sur l’application de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à un sous-traitant étranger. Les juges luxembourgeois considèrent que cette obligation constitue une restriction disproportionnée à la libre prestation des services au sein du marché intérieur européen. L’analyse de cette décision impose d’étudier la qualification de l’entrave aux libertés (I), avant d’apprécier le caractère excessif de la mesure (II).
I. La caractérisation d’une entrave à la libre prestation des services
La Cour écarte d’abord l’application du droit dérivé pour se fonder sur le droit primaire afin de constater l’existence d’une restriction.
A. L’inapplicabilité de la directive sur le détachement des travailleurs
La juridiction précise d’emblée que la situation ne relève pas de la directive 96/71 concernant le détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation. En l’espèce, le sous-traitant n’envisage pas de détacher son personnel sur le territoire du pouvoir adjudicateur pour exécuter les prestations de numérisation demandées. La Cour relève que « les travailleurs du sous-traitant exercent leurs activités dans le cadre de l’exécution des prestations faisant l’objet du marché exclusivement dans le pays d’origine ». L’absence de mouvement transfrontalier des salariés vers l’État membre d’accueil exclut donc l’application des garanties minimales prévues par ce texte spécifique. Le litige doit en conséquence être tranché au regard des seules dispositions fondamentales du traité relatives à la libre prestation des services.
B. L’existence d’une restriction au sens du traité de fonctionnement
L’imposition d’un salaire minimal local à une entreprise étrangère constitue une entrave à la liberté de prestation de services garantie par le droit européen. La Cour souligne que cette exigence représente une « charge économique supplémentaire qui est susceptible de prohiber, de gêner ou de rendre moins attrayante » la fourniture transfrontalière. En contraignant un prestataire établi dans un autre État membre à augmenter ses coûts salariaux, la réglementation nationale limite son accès au marché public. Cette mesure prive le soumissionnaire de l’avantage concurrentiel résultant de la disparité des taux de rémunération entre les différents États membres de l’Union. La constatation de cette entrave nécessite toutefois de vérifier si elle peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
II. L’invalidité d’une exigence sociale territoriale disproportionnée
Si l’objectif de protection sociale est reconnu comme légitime par la jurisprudence, sa mise en œuvre doit respecter le principe de stricte proportionnalité.
A. La reconnaissance de l’objectif légitime de protection des salariés
Le juge de l’Union admet que la lutte contre le dumping social peut justifier des restrictions aux libertés économiques fondamentales du marché intérieur. La réglementation en cause vise à assurer que les travailleurs reçoivent un salaire convenable afin d’éviter la pénalisation des entreprises concurrentes locales. La Cour concède que cette mesure pourrait en principe être justifiée par « l’objectif de la protection des travailleurs » mis en avant par le législateur. Toutefois, elle rappelle que cette protection doit bénéficier de manière cohérente à l’ensemble des salariés, sans se limiter aux seuls marchés publics. L’aptitude de la mesure à atteindre son but social est ainsi questionnée lorsqu’elle ne s’applique pas au secteur privé de manière équivalente.
B. Le caractère excessif de la mesure au regard du coût de la vie
La Cour conclut à la disproportion de la mesure car elle ne tient aucun compte des réalités économiques de l’État membre d’exécution. Imposer un salaire fixe calqué sur le coût de la vie de l’État du pouvoir adjudicateur pour des prestations réalisées ailleurs est injustifié. Une telle exigence « va au-delà de ce qui est nécessaire » pour protéger des salariés dont les besoins vitaux dépendent d’un autre contexte économique. La décision précise que l’application de ce seuil salarial priverait les sous-traitants étrangers de retirer un profit légitime de leur implantation géographique respective. L’article 56 du traité s’oppose donc à ce qu’une réglementation oblige un sous-traitant étranger à verser un salaire minimal fixé par l’État d’accueil.