Cour de justice de l’Union européenne, le 18 septembre 2019, n°C-222/18

Par un arrêt en date du 18 septembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction hongroise, a précisé les contours de la reconnaissance des prescriptions médicales transfrontalières et l’articulation de cette matière avec la libre circulation des marchandises. En l’espèce, une société exploitant une pharmacie sur le territoire d’un État membre s’est vu sanctionner par l’autorité nationale compétente pour avoir délivré des médicaments sur la base de documents qualifiés de « bons de commande » émanant de professionnels de santé établis dans d’autres États membres. Ces documents ne comportaient pas l’identification d’un patient spécifique, mais visaient à approvisionner lesdits professionnels pour les besoins de leur activité de soins. La société sanctionnée a contesté cette décision, arguant que la réglementation nationale, en ne reconnaissant pas la validité de ces bons de commande étrangers, était contraire au droit de l’Union. La juridiction de renvoi, confrontée à une incertitude sur l’interprétation de la législation européenne, a interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle réglementation nationale avec le droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si une réglementation nationale qui distingue entre les prescriptions selon qu’elles émanent d’un professionnel de santé national ou étranger, et qui de ce fait restreint la délivrance de médicaments à des fins d’exportation, est conforme, d’une part, à la directive relative aux soins de santé transfrontaliers et, d’autre part, aux règles du traité sur la libre circulation des marchandises. La Cour a répondu que la directive sur les soins transfrontaliers ne s’opposait pas à une telle législation, car son champ d’application est limité aux prescriptions individuelles. Elle a en outre jugé que si une telle réglementation constitue une restriction à la libre circulation des marchandises, elle peut néanmoins être justifiée par des impératifs de protection de la santé publique. L’analyse de la Cour s’articule ainsi en deux temps, distinguant nettement l’interprétation du droit dérivé spécifique (I) de l’application des principes fondamentaux du traité (II).

I. La stricte délimitation du champ d’application de la reconnaissance mutuelle des prescriptions

La Cour a d’abord clarifié que l’obligation de reconnaissance des prescriptions établie par le droit de l’Union ne vise que les ordonnances établies pour un patient déterminé, excluant de fait les bons de commande professionnels. Cette interprétation repose sur une analyse rigoureuse des textes (A), qui confirme la distinction fondamentale entre la fourniture de soins à un individu et l’approvisionnement général des professionnels de santé (B).

A. Une interprétation littérale et téléologique de la prescription transfrontalière

La Cour s’est attachée à définir la notion de prescription au sens de la directive 2011/24/UE. Elle relève que l’article 11, paragraphe 1, de cette directive impose aux États membres de reconnaître « les prescriptions établies pour ce médicament dans un autre État membre pour un patient nommément désigné ». L’emploi de cette formule ne laisse que peu de place au doute : le mécanisme de reconnaissance mutuelle est conditionné à l’identification d’un bénéficiaire individuel. Cette lecture est renforcée par le contexte réglementaire, notamment la directive d’exécution 2012/52/UE qui liste, parmi les éléments devant figurer sur une prescription transfrontalière, les nom, prénom et date de naissance du patient. L’objectif de la directive 2011/24, qui est de faciliter l’accès des patients à des soins de santé transfrontaliers « à titre individuel », vient corroborer cette interprétation. Par conséquent, des bons de commande qui, par leur nature, ne désignent aucun patient mais servent à constituer un stock pour un professionnel, ne sauraient relever du champ de cette obligation de reconnaissance.

B. La consécration d’une distinction entre prescription individuelle et approvisionnement professionnel

En excluant les bons de commande du régime de la directive, la Cour opère une distinction claire entre deux circuits de distribution de médicaments. D’une part, le circuit destiné au patient individuel, qui bénéficie des garanties de la directive sur les soins transfrontaliers pour assurer la continuité des soins au-delà des frontières. D’autre part, le circuit d’approvisionnement des professionnels de santé, qui n’est pas couvert par ce texte. Cette distinction est essentielle pour préserver la sécurité des patients, finalité première de la réglementation. Une prescription nominative permet un contrôle de la pertinence et de la sécurité de la délivrance du médicament pour une personne donnée. Un bon de commande général, à l’inverse, concerne une logique de stock et de distribution qui relève d’un autre cadre juridique, notamment celui de la distribution en gros de médicaments. La décision de la Cour a donc pour portée de confirmer que la directive 2011/24/UE n’a pas vocation à harmoniser les règles relatives à l’approvisionnement en médicaments des professionnels de santé. Cette question, n’étant pas réglée par le droit dérivé spécifique, doit dès lors être examinée à l’aune des libertés fondamentales garanties par le traité.

II. La justification d’une entrave à la libre circulation des marchandises par la protection de la santé publique

Ayant écarté l’application de la directive, la Cour examine la réglementation nationale litigieuse au regard des articles 35 et 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle qualifie la mesure de restriction à l’exportation (A), mais admet sa justification au titre de la protection de la santé publique, après un contrôle de proportionnalité (B).

A. La qualification de la mesure nationale en restriction à l’exportation

La Cour constate que la réglementation nationale en cause constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation, prohibée par l’article 35 TFUE. En effet, en interdisant aux pharmacies de délivrer des médicaments sur la base de bons de commande émanant de professionnels établis dans d’autres États membres, tout en l’autorisant pour les professionnels nationaux, cette mesure traite différemment la vente sur le marché national et la vente destinée à l’exportation. Elle « affecte en fait davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre ». Les médicaments commandés par des professionnels étrangers étant destinés à être utilisés hors du territoire national, l’interdiction de leur délivrance entrave directement leur exportation. La Cour juge que cette restriction n’est ni trop aléatoire ni trop indirecte pour échapper à l’interdiction de principe.

B. La validation de la restriction au nom de l’approvisionnement national en médicaments

Une restriction à la libre circulation peut toutefois être justifiée par l’un des motifs visés à l’article 36 TFUE, dont la protection de la santé et de la vie des personnes. La Cour reconnaît que l’objectif d’assurer un approvisionnement stable, sûr et de qualité de la population nationale en médicaments constitue une justification légitime. Elle procède ensuite à un contrôle de proportionnalité. Elle juge la mesure apte à atteindre cet objectif, car en limitant les sorties de médicaments du territoire, elle contribue à garantir que les stocks disponibles bénéficient en priorité aux besoins nationaux. Cette logique est confortée par l’article 81 de la directive 2001/83/CE, qui impose aux distributeurs d’assurer un approvisionnement approprié pour couvrir les besoins des patients de l’État membre concerné. La Cour estime également la mesure nécessaire, en reconnaissant aux États membres une marge d’appréciation dans ce domaine. Elle considère que des mesures moins restrictives, comme des quotas, ne permettraient pas de garantir avec la même efficacité la réalisation de l’objectif, notamment parce que les pharmacies sont approvisionnées en fonction des besoins de la population locale et que les médicaments exportés sortent du système de contrôle national. La réglementation nationale est donc jugée proportionnée et conforme au droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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