La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 18 septembre 2019, une décision fondamentale concernant la coordination des régimes de sécurité sociale. Cet arrêt précise l’interprétation des règlements européens relatifs aux prestations familiales versées aux travailleurs frontaliers résidant sur le territoire d’un autre État membre.
Un couple résidant au sein d’un premier État membre est composé d’une mère travaillant sur le territoire d’un second État et d’un père salarié. À la suite de la naissance de leurs enfants, la mère perçoit des allocations locales tandis que le père sollicite un complément différentiel de prestation.
Le tribunal régional d’Innsbruck rejette initialement la demande du père par un jugement en date du 10 novembre 2015 avant une contestation portée en appel. Le tribunal régional supérieur d’Innsbruck accueille partiellement cette requête par une décision du 27 avril 2017 en condamnant l’institution au versement d’indemnités.
La Cour suprême nationale, saisie d’un recours en révision, décide de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur l’étendue des obligations étatiques. Les juges cherchent à déterminer si la fiction de l’unité familiale s’impose à l’organisme compétent à titre subsidiaire pour le calcul des droits.
La Cour de justice affirme que l’obligation de prendre en compte la famille s’applique tant pour la législation prioritaire que pour la législation subsidiaire. Le montant du complément différentiel doit être calculé par rapport au revenu effectivement perçu par le travailleur dans son État d’emploi habituel.
I. L’opposabilité de la fiction de l’unité familiale aux États membres compétents
A. La consécration d’une lecture globale de la situation familiale
L’article 60 du règlement n° 987/2009 impose de considérer « l’ensemble de la famille […] comme si toutes les personnes concernées étaient soumises à la législation de l’État membre concerné ». Cette fiction juridique garantit que la résidence des membres de la famille hors de l’État compétent ne fait pas obstacle au versement.
La juridiction européenne rappelle que l’objectif principal de cette disposition est de faciliter la libre circulation des travailleurs migrants au sein du marché unique. Le conjoint du travailleur est donc parfaitement en droit d’invoquer ce principe d’assimilation pour réclamer le bénéfice de prestations familiales légalement prévues.
B. Le rejet d’une limitation de l’assimilation à la seule législation prioritaire
Le texte européen ne comporte aucune restriction limitant l’application de cette fiction juridique au seul État membre désigné comme compétent à titre prioritaire. L’obligation de prise en compte globale s’applique ainsi indifféremment à la législation prioritaire et à celle intervenant sous forme de complément différentiel subsidiaire.
Une interprétation restrictive priverait les travailleurs de la garantie d’un « montant total des prestations qui est identique au montant de la prestation la plus favorable ». L’efficacité du système de coordination repose sur cette égalité de traitement entre les différentes législations nationales potentiellement applicables à la famille.
II. La détermination du complément différentiel au regard des revenus effectifs
A. La protection de la continuité du niveau de vie du travailleur
Le droit de l’Union européenne vise à assurer au bénéficiaire un montant total de prestations sociales équivalent à la protection la plus avantageuse disponible. Cette règle anti-cumul permet de compenser l’écart entre les niveaux de protection des différents États membres impliqués par la situation du travailleur.
L’allocation de garde d’enfant constitue une prestation de remplacement du revenu professionnel permettant au parent de conserver un niveau de vie proportionné à son activité. Pour atteindre cet objectif, les conditions de rémunération doivent être appréciées concrètement dans l’État membre où le travailleur exerce son emploi.
B. L’éviction du recours à un revenu hypothétique national
Le montant du complément différentiel doit être calculé par rapport au revenu effectivement perçu par le travailleur migrant dans son État membre d’emploi réel. La Cour rejette ainsi la méthode consistant à utiliser un revenu de référence hypothétique sans lien direct avec les ressources véritables de l’intéressé.
Cette solution évite les difficultés pratiques liées à la détermination d’une rémunération théorique pour une activité professionnelle comparable dans l’État membre compétent subsidiairement. Le juge européen sécurise ainsi le droit des frontaliers à percevoir des prestations familiales fondées sur leur réalité économique et sociale.