Cour de justice de l’Union européenne, le 19 avril 2012, n°C-121/11

Par un arrêt en date du 19 avril 2012, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’État belge, a précisé les conditions dans lesquelles une décision autorisant la poursuite de l’exploitation d’une décharge existante doit être soumise à une évaluation des incidences sur l’environnement. En l’espèce, une autorisation d’exploiter un centre d’enfouissement technique, initialement délivrée en 1979 pour une durée de trente ans, avait fait l’objet de modifications successives. Conformément à la réglementation visant à mettre les installations en conformité avec le droit de l’Union, l’exploitant a soumis un plan d’aménagement du site. Sur la base de ce plan, l’autorité communale compétente a autorisé, par une décision du 14 mai 2008, la poursuite de l’exploitation jusqu’au terme de l’autorisation initiale, tout en abrogeant les anciennes conditions d’exploitation et en en imposant de nouvelles.

Une association de protection de l’environnement a formé un recours en annulation contre cette décision, soutenant qu’elle aurait dû être précédée d’une étude d’incidences environnementales. Elle estimait en effet que la décision de poursuivre l’exploitation constituait une « autorisation » au sens de la directive 85/337/CEE concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement. Le Conseil d’État belge, confronté à cette argumentation, a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si une décision relative à la poursuite de l’exploitation d’une décharge, prise sur le fondement de l’article 14, sous b), de la directive 1999/31/CE, constituait une « autorisation » au sens de la directive 85/337/CEE. La question posée revenait donc à déterminer si la mise en conformité d’une installation existante avec des normes environnementales plus strictes déclenchait par elle-même l’obligation d’une nouvelle évaluation environnementale complète.

La Cour de justice répond que la décision de poursuivre l’exploitation d’une décharge existante ne constitue une « autorisation » soumise à l’obligation d’évaluation environnementale que dans une hypothèse précise. Elle conditionne cette qualification au fait que la décision « autorise une modification ou une extension de l’installation ou du site, par des travaux ou des interventions altérant sa réalité physique, pouvant avoir des incidences négatives importantes sur l’environnement ». Il s’ensuit que le simple ajustement des conditions d’exploitation d’un site existant, sans transformation matérielle notable, échappe au champ d’application de la procédure d’évaluation. L’analyse de la Cour repose sur une distinction rigoureuse entre la notion d’autorisation et l’existence d’un projet matériel (I), ce qui confère au juge national un rôle déterminant dans l’appréciation concrète des modifications apportées au site (II).

I. L’interprétation restrictive de la notion d’« autorisation » subordonnée à l’existence d’un « projet »

La Cour de justice adopte une approche stricte, liant indissociablement la qualification d’« autorisation » à la présence d’un « projet » impliquant une modification physique du site. Elle rappelle ainsi la définition matérielle du projet (A) avant d’en déduire que la simple décision de poursuite d’exploitation est, par principe, exclue du champ de la directive 85/337/CEE (B).

A. Le rappel de la définition matérielle du « projet »

La Cour souligne que la notion d’« autorisation » est définie à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 85/337 comme « la décision de l’autorité ou des autorités compétentes qui ouvre le droit du maître d’ouvrage de réaliser le projet ». Il ne peut donc y avoir d’autorisation que si un projet doit être réalisé. Or, le raisonnement de la Cour repose entièrement sur la définition qu’elle donne à ce second terme. Se référant à une jurisprudence antérieure, elle rappelle que le terme « projet » vise des « travaux ou des interventions, modifiant la réalité physique du site ».

Cette définition matérielle est fondamentale, car elle écarte du champ d’application de la directive les décisions purement administratives qui ne se traduisent pas par une altération tangible de l’environnement physique. En conséquence, « le simple renouvellement d’une autorisation existante d’exploiter un site d’enfouissement ne peut, en l’absence de travaux ou d’interventions modifiant la réalité physique du site, être qualifié de ‘projet’ ». La Cour établit ainsi une hiérarchie claire : sans projet au sens matériel, aucune autorisation au sens de la directive 85/337 ne peut être identifiée, et donc aucune obligation d’évaluation environnementale ne peut être imposée.

B. L’exclusion de principe de la décision de poursuite d’exploitation du champ de la directive 85/337

Appliquant cette logique au cas d’espèce, la Cour examine la nature de la décision prise en application de l’article 14 de la directive 1999/31. Cette disposition organise la mise en conformité des décharges existantes. L’exploitant doit présenter un plan d’aménagement, sur la base duquel l’autorité compétente prend une « décision définitive quant à la poursuite de l’exploitation ». La Cour considère que cette procédure a pour objet de régulariser une situation existante afin de la rendre conforme à de nouvelles exigences de protection de l’environnement.

Par conséquent, une telle décision n’a pas pour objet premier d’autoriser de nouveaux travaux ou une nouvelle installation. Elle vise à encadrer la continuation d’une activité déjà autorisée par le passé, fût-ce sous des conditions nouvelles. Dans cette mesure, elle ne constitue pas en elle-même l’autorisation d’un nouveau projet. Cette interprétation est cohérente avec l’objectif de la directive 1999/31, qui est d’améliorer la gestion des décharges existantes plutôt que de paralyser leur fonctionnement par l’imposition systématique de nouvelles procédures d’évaluation. La solution de principe est donc que la décision de poursuite d’exploitation échappe à l’obligation d’évaluation.

Cependant, la Cour nuance aussitôt ce principe en introduisant une exception significative, dont l’application dépend d’une analyse factuelle détaillée. Cette analyse confère une responsabilité importante au juge national, qui devra examiner concrètement la portée du plan d’aménagement et de la décision qui l’approuve.

II. La portée de la solution : un contrôle concret laissé à l’appréciation du juge national

Si la Cour de justice pose un principe clair, elle en définit également les limites, créant ainsi une exception qui devient la clé de l’analyse. Cette exception repose sur le critère des incidences négatives importantes sur l’environnement (A) et fait du juge national l’arbitre final dans l’appréciation des modifications matérielles du site (B).

A. Le critère déterminant des incidences négatives importantes sur l’environnement

La Cour précise que la décision de poursuite d’exploitation peut finalement être qualifiée d’« autorisation » si le plan d’aménagement sur lequel elle se fonde implique plus qu’un simple ajustement des conditions. La solution bascule si ce plan prévoit « une modification ou une extension de l’installation ou du site, par des travaux ou des interventions altérant sa réalité physique, pouvant avoir des incidences négatives importantes sur l’environnement ». La Cour renvoie ici au point 13 de l’annexe II de la directive 85/337, qui vise précisément les modifications ou extensions de projets existants.

L’analyse doit donc porter sur le contenu même du plan d’aménagement. Si ce dernier ne fait que décrire des mesures de gestion ou des adaptations techniques mineures, la condition n’est pas remplie. En revanche, s’il inclut des travaux d’excavation pour une nouvelle alvéole, l’extension du périmètre du site, ou la construction de nouvelles infrastructures significatives, il pourrait être considéré comme un projet à part entière. La double condition est alors cumulative : il faut non seulement une altération physique, mais aussi que celle-ci soit susceptible d’avoir des incidences négatives importantes sur l’environnement, ce qui suppose un examen au cas par cas.

B. Le rôle dévolu au juge national dans l’appréciation des modifications du site

La Cour de justice, fidèle à son rôle dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, fournit la clé d’interprétation mais se garde de trancher le litige au principal. Elle énonce qu’il « appartient, ainsi, à la juridiction de renvoi de vérifier si la décision définitive relative au plan d’aménagement » remplit les conditions qu’elle a fixées. Le juge national se voit ainsi confier une mission d’appréciation concrète des faits. Il devra examiner en détail le plan d’aménagement et la décision administrative du 14 mai 2008 pour déterminer si les nouvelles conditions d’exploitation s’accompagnent de travaux constitutifs d’un projet.

Dans cette évaluation, la Cour introduit une dernière subtilité. Le juge national devra tenir compte du fait que l’objectif du plan d’aménagement est, par nature, d’améliorer la protection de l’environnement en adaptant le site à des normes plus exigeantes. Cette finalité positive pourrait rendre plus difficile la démonstration d’« incidences négatives importantes ». Autrement dit, le juge devra distinguer entre les transformations inhérentes à l’amélioration environnementale du site et celles qui, par leur ampleur, constitueraient un nouveau projet avec ses propres impacts potentiellement négatifs. La charge de l’analyse factuelle et de la qualification juridique finale repose donc entièrement sur les épaules du juge national.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture