Cour de justice de l’Union européenne, le 19 avril 2012, n°C-523/10

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 19 avril 2012, un arrêt fondamental concernant l’interprétation du règlement relatif à la compétence judiciaire. Une entreprise titulaire d’une marque nationale a découvert qu’une société concurrente établie dans un autre État membre utilisait son signe comme mot clé publicitaire. La défenderesse avait réservé ce terme sur un moteur de recherche opérant sous un domaine national étranger afin de promouvoir ses propres produits. Saisie d’une action en cessation, la juridiction de première instance autrichienne a décliné sa compétence au motif que le site internet visait exclusivement le marché voisin. La juridiction d’appel a infirmé cette décision en confirmant la compétence internationale mais a finalement rejeté la demande au fond pour défaut de droit. Saisi d’un recours, l’Oberster Gerichtshof siégeant à Vienne a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’application du critère délictuel. Le problème de droit porte sur la détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit en cas d’atteinte à une marque sur internet. La Cour a jugé qu’un tel litige peut être porté devant les juridictions de l’État d’enregistrement ou celles du lieu d’établissement de l’annonceur. Cette décision impose d’analyser d’abord la compétence liée à la matérialisation du dommage avant d’envisager celle résultant de l’événement causal à l’origine du litige.

I. L’affirmation de la compétence fondée sur le lieu de la matérialisation du dommage

A. La protection nécessaire de la territorialité de la marque nationale

La Cour rappelle que la protection conférée par l’enregistrement d’une marque nationale demeure, par principe, strictement limitée au territoire de l’État membre concerné. Le titulaire d’un tel droit ne saurait donc se prévaloir d’une protection juridique en dehors de cet espace géographique de souveraineté pour ses activités. L’arrêt souligne que « l’objectif de la prévisibilité » ainsi que « celui de la bonne administration de la justice » imposent d’attribuer la compétence à l’État d’enregistrement. Cette solution permet au demandeur d’identifier facilement la juridiction compétente tandis que le défendeur peut raisonnablement prévoir le lieu de son éventuelle attraction.

B. Le lien étroit entre le for et l’évaluation de l’atteinte au droit

Les juges de l’État membre où la marque est enregistrée apparaissent comme les mieux à même d’apprécier l’existence d’une atteinte au droit protégé. Ils disposent d’une compétence territoriale exclusive pour connaître de l’intégralité du dommage prétendument causé ainsi que de la demande visant à faire cesser l’usage. La Cour affirme que ces juridictions sont habilitées à examiner si l’utilisation d’un mot clé identique porte effectivement atteinte à la fonction de la marque. Cette proximité géographique garantit une efficacité procédurale optimale en permettant au juge du fond de statuer selon les règles du droit matériel applicable. La détermination du lieu du dommage n’épuise cependant pas les options offertes au demandeur qui peut également se fonder sur l’origine même de l’acte litigieux.

II. La compétence alternative fondée sur le lieu de l’événement causal

A. L’identification de l’événement causal dans le comportement de l’annonceur

La Cour précise que le lieu de l’événement causal constitue un rattachement significatif susceptible de fournir des indications utiles pour l’administration des preuves nécessaires. Dans le contexte de la publicité sur internet, il convient de considérer comme fait générateur le déclenchement du processus technique d’affichage par l’opérateur économique. L’arrêt précise que « le fait générateur d’une atteinte éventuelle au droit des marques réside donc dans le comportement de l’annonceur ayant recours au service ». Ce choix technique opéré par l’utilisateur du moteur de recherche définit le point de départ de la responsabilité civile envisagée par la juridiction.

B. L’exigence de prévisibilité au regard de la localisation du serveur technique

Le lieu d’établissement de l’annonceur est retenu car il constitue un endroit certain et identifiable pour les deux parties au procès en responsabilité. La Cour écarte expressément le critère de la localisation du serveur informatique appartenant à l’exploitant du moteur de recherche utilisé pour la campagne. Une telle localisation demeure trop incertaine pour répondre aux objectifs de sécurité juridique poursuivis par le règlement européen sur la compétence des juridictions civiles. En privilégiant le siège social de l’auteur de la publicité, la jurisprudence assure une organisation utile du procès et facilite le recueil des éléments probatoires. Cette dualité de fors offre ainsi au titulaire de la marque une option procédurale cohérente avec la réalité numérique des échanges commerciaux transfrontaliers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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