Par un arrêt en date du 5 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les obligations des États membres en matière de protection de l’environnement. En l’espèce, la région de Ligurie avait adopté une réglementation dérogeant au régime de protection des oiseaux sauvages. Cette réglementation locale autorisait des pratiques non conformes aux conditions strictes prévues par la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979. Estimant que cette législation régionale violait le droit de l’Union, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement à l’encontre de la République italienne. L’État membre n’ayant pas remédié à la situation, la Commission a saisi la Cour de justice afin de faire constater la violation de ses obligations. La Cour était ainsi amenée à déterminer si l’adoption par une collectivité infra-étatique d’une norme contraire aux exigences d’une directive suffisait à caractériser un manquement de l’État membre concerné. La Cour de justice répond par l’affirmative. Elle juge que « du fait de l’adoption et de l’application, par la région de Ligurie, d’une réglementation autorisant des dérogations au régime de protection des oiseaux sauvages qui ne respecte pas les conditions fixées à l’article 9 de la directive 79/409/CEE […], la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci ».
La solution, qui s’inscrit dans une jurisprudence constante, rappelle qu’un État membre ne saurait se prévaloir de son organisation interne pour justifier la méconnaissance du droit de l’Union (I). Elle réaffirme par ailleurs avec force le principe d’effectivité des normes européennes en matière de protection de l’environnement (II).
I. La constatation du manquement d’État par l’action d’une entité infra-étatique
La Cour de justice retient une conception unitaire de l’État membre pour lui imputer la responsabilité de la violation (A), laquelle découle matériellement du non-respect des conditions de fond posées par la directive (B).
A. L’imputabilité du fait d’une collectivité régionale à l’État membre
La Cour de justice considère que l’adoption d’une norme par une autorité régionale est un acte imputable à l’État membre dans son ensemble. Ce dernier est en effet le seul interlocuteur des institutions de l’Union et le seul garant du respect de ses engagements sur l’intégralité de son territoire. L’organisation interne de l’État, qu’elle soit fédérale ou régionale, est indifférente pour l’application du droit de l’Union. La République italienne ne pouvait donc pas se dégager de sa responsabilité en invoquant l’autonomie législative de la région de Ligurie.
Cette position assure la cohérence et l’uniformité de l’ordre juridique de l’Union. Elle contraint les États membres à mettre en place les mécanismes de contrôle et de coopération internes nécessaires pour garantir la parfaite conformité de l’ensemble de leur législation, y compris celle des entités décentralisées, aux obligations européennes. La responsabilité de l’État est engagée dès lors qu’une norme incompatible avec le droit de l’Union est en vigueur sur son territoire, indépendamment de l’organe qui l’a édictée.
B. Le non-respect des conditions de dérogation comme source de la violation
Le manquement ne résulte pas de l’existence même d’un régime dérogatoire, mais de sa non-conformité avec les exigences de la directive. L’article 9 de la directive 79/409/CEE encadre strictement les possibilités de dérogation au régime général de protection des oiseaux sauvages. Ces exceptions doivent être justifiées par des motifs précis et limitativement énumérés, et ne peuvent être mises en œuvre qu’en l’absence d’autre solution satisfaisante.
En l’espèce, la réglementation adoptée par la région de Ligurie ne respectait pas ces conditions de fond. La Cour constate donc que le droit interne a créé une situation juridique contraire aux objectifs clairs et inconditionnels du texte européen. L’arrêt illustre le contrôle rigoureux exercé par la Cour sur l’application des dispositions dérogatoires, qui, par nature, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. L’État membre manquait ainsi à son obligation de garantir une transposition et une application correctes de la directive.
II. La portée de l’arrêt : rappel de la primauté et de l’effectivité du droit de l’Union
La décision renforce la primauté du droit de l’Union sur les normes nationales, y compris en matière environnementale (A), et garantit par là même l’effet utile des directives de protection (B).
A. La réaffirmation de la primauté du droit de l’Union en matière environnementale
Cet arrêt constitue une manifestation classique du principe de primauté du droit de l’Union. Il rappelle que toute norme nationale, quelle que soit sa nature ou son rang, doit céder le pas face à une disposition du droit de l’Union dotée d’un effet direct. En matière de protection de l’environnement, compétence partagée entre l’Union et les États membres, l’harmonisation réalisée par une directive impose une limite à la compétence normative des législateurs nationaux et régionaux.
La condamnation de la République italienne confirme que les objectifs environnementaux fixés au niveau de l’Union ne sauraient être compromis par des initiatives locales. La solution assure ainsi une protection homogène des espèces sur l’ensemble du territoire de l’Union, conformément à la finalité de la directive. Elle oblige l’État membre à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à l’infraction, ce qui implique l’abrogation ou la modification de la législation régionale litigieuse.
B. La garantie de l’effet utile des directives de protection
En sanctionnant le maintien en vigueur d’une réglementation nationale contraire à la directive, la Cour préserve l’effet utile de cette dernière. L’obligation pour les États membres ne se limite pas à une simple transposition formelle du texte, mais implique d’en assurer l’application pleine et entière. Laisser subsister une norme interne qui contredit les objectifs d’une directive priverait celle-ci de toute portée pratique et viderait l’obligation de transposition de sa substance.
La décision a donc une portée préventive et corrective. Elle incite les États membres non seulement à contrôler la conformité de leurs législations lors de la transposition, mais aussi à surveiller leur application dans le temps. En déclarant que « l’adoption et l’application » de la loi régionale constituent le manquement, la Cour souligne que l’infraction perdure tant que la norme litigieuse produit des effets juridiques. Elle garantit ainsi que les objectifs de conservation de la nature prévus par le droit de l’Union ne restent pas lettre morte.