Par un arrêt du 19 décembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la qualification d’un financement public destiné à la construction d’une infrastructure aéroportuaire au regard des règles de l’Union en matière d’aides d’État. En l’espèce, une société exploitant un aéroport allemand, détenue par des entités publiques, avait bénéficié d’un apport en capital de la part de ses actionnaires afin de financer la construction d’une nouvelle piste. Cette construction était une condition nécessaire à l’installation sur le site d’une importante société de fret aérien qui déplaçait sa plate-forme européenne. Suite à une notification par les autorités allemandes, la Commission européenne avait ouvert une procédure formelle d’examen. Dans sa décision finale, la Commission a qualifié l’apport en capital d’aide d’État, tout en la déclarant compatible avec le marché intérieur. Les sociétés gestionnaires de l’aéroport ont alors saisi le Tribunal de l’Union européenne, demandant l’annulation de cette décision en tant qu’elle qualifiait la mesure d’aide d’État. Le Tribunal a rejeté l’essentiel de leurs arguments, confirmant que le financement de la construction de la piste constituait bien une aide, tout en annulant la décision sur la détermination de son montant exact. Les sociétés requérantes ont formé un pourvoi devant la Cour de justice afin d’obtenir l’annulation de l’arrêt du Tribunal.
La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si le financement public de la construction d’une infrastructure aéroportuaire, telle qu’une piste de décollage, doit être qualifié d’activité économique soumise aux règles sur les aides d’État. Il s’agissait plus précisément de déterminer si cette activité de construction pouvait être dissociée de l’activité ultérieure d’exploitation commerciale de ladite infrastructure pour échapper à la qualification d’entreprise au sens de l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
La Cour de justice rejette le pourvoi, validant ainsi l’analyse du Tribunal. Elle juge que l’activité de construction de l’infrastructure et son exploitation économique ultérieure sont indissociablement liées, empêchant que la première soit soustraite au contrôle des aides d’État. La Cour estime que dès lors que l’infrastructure est destinée à être utilisée pour la fourniture de services aéroportuaires contre rémunération, sa construction participe de cette activité économique. Cette solution confirme une conception fonctionnelle de la notion d’entreprise en droit de la concurrence (I), et achève de soumettre le développement des infrastructures aéroportuaires au contrôle de la Commission (II).
I. La consécration d’une approche fonctionnelle de l’activité économique aéroportuaire
La Cour confirme le raisonnement du Tribunal en retenant une définition large de l’activité économique, fondée sur le lien indissociable entre la construction de l’infrastructure et son exploitation commerciale (A), tout en écartant les critères liés au caractère public ou à l’absence de rentabilité de l’investissement (B).
A. La confirmation du caractère indissociable de la construction et de l’exploitation de l’infrastructure
La Cour valide la méthode du Tribunal qui a refusé de scinder artificiellement le projet aéroportuaire en deux phases distinctes : la construction relevant d’une politique d’aménagement du territoire, et l’exploitation relevant d’une activité de marché. Pour les requérantes, la construction d’une piste relevait d’une mesure de politique économique générale, distincte de son exploitation ultérieure. La Cour écarte cette analyse en jugeant que la construction d’une infrastructure n’est pas une fin en soi, mais doit être appréciée au regard de son utilisation future. Le Tribunal avait déjà constaté que l’entité qui construisait la piste était la même que celle qui allait l’exploiter commercialement en percevant des redevances. La Cour approuve cette démarche en considérant que « la construction de la nouvelle piste sud ne pouvait être dissociée de l’exploitation, par [la société requérante], des infrastructures aéroportuaires, qui constitue une activité économique ».
Dès lors que l’infrastructure est l’outil nécessaire à une prestation de services sur un marché concurrentiel, sa création devient elle-même une composante de cette activité économique globale. L’intention commerciale de l’opérateur en aval contamine ainsi la nature de l’activité de construction en amont. En se concentrant sur la finalité de l’investissement, la Cour adopte une approche pragmatique qui empêche les opérateurs publics de se prévaloir de la nature infrastructurelle d’un projet pour échapper au droit de la concurrence. L’analyse est donc fonctionnelle : c’est la fonction économique de l’infrastructure qui détermine le régime juridique applicable à son financement.
B. Le rejet d’une qualification fondée sur la nature publique ou non rentable de l’investissement
Les requérantes soutenaient également que l’activité de construction d’une piste ne pouvait être qualifiée d’économique, car elle ne serait pas rentable et qu’aucun opérateur privé ne s’engagerait dans un tel investissement sans soutien public. Elles en déduisaient que cette activité relevait par nature des prérogatives de la puissance publique. La Cour rejette fermement cet argument, s’alignant sur une jurisprudence bien établie. Elle rappelle, en approuvant le Tribunal, que « le fait qu’une activité ne soit pas assurée par des opérateurs privés ou le fait qu’elle ne soit pas rentable n’étaient pas des critères pertinents aux fins de la qualifier ou non d’activité économique ».
La seule exception admise concerne les activités qui relèvent par leur nature même de l’exercice de prérogatives de puissance publique, telles que les missions de sécurité, de police ou de contrôle du trafic aérien. Or, la construction d’une piste, même si elle est décidée par une autorité publique dans un but d’aménagement du territoire, ne constitue pas en soi une telle prérogative. Le Tribunal avait d’ailleurs souligné que les requérantes elles-mêmes ne prétendaient pas que la construction « relevait, en tant que telle, de prérogatives de puissance publique ». En affirmant cette position, la Cour confirme que le statut public de l’investisseur ou le déficit d’exploitation d’une activité ne suffisent pas à la soustraire au champ d’application du droit des aides d’État si elle consiste à offrir des biens ou des services sur un marché.
II. La portée de la soumission du financement des infrastructures aéroportuaires au droit des aides d’État
Au-delà de la qualification de l’activité, l’arrêt revêt une portée considérable en faisant primer l’interprétation jurisprudentielle du traité sur les communications antérieures de la Commission (A), ce qui consolide durablement le contrôle exercé sur les aides au développement des aéroports, y compris régionaux (B).
A. La primauté de la jurisprudence sur la communication administrative antérieure
Les requérantes invoquaient le principe de confiance légitime en se fondant sur une communication de la Commission de 1994, qui indiquait que la réalisation de projets d’infrastructures constituait une mesure de politique économique générale échappant au contrôle des aides d’État. Le Tribunal, approuvé par la Cour, a cependant estimé que cette communication ne pouvait plus être invoquée. Il a relevé que le secteur aéroportuaire avait connu des évolutions importantes et, surtout, que la jurisprudence, depuis les arrêts *Aéroports de Paris* de 2000 et 2002, avait reconnu que la gestion aéroportuaire constituait une activité économique. La Commission était donc tenue de se conformer à cette interprétation du traité, même si cela revenait à contredire sa propre communication.
La Cour confirme ainsi que les communications de la Commission, bien qu’elles lient cette dernière, ne peuvent prévaloir sur le droit primaire tel qu’interprété par le juge de l’Union. Face à une évolution jurisprudentielle, la Commission « se devait […] de prendre en compte cette évolution et cette interprétation ». Cet arrêt illustre la nature dynamique du droit de l’Union, où l’interprétation des traités par la Cour peut rendre obsolètes des lignes directrices administratives. Le principe de sécurité juridique n’est pas violé, car les opérateurs économiques diligents étaient censés connaître cette évolution jurisprudentielle majeure intervenue plusieurs années avant l’octroi du financement en cause. La confiance légitime ne saurait être fondée sur une pratique administrative devenue contraire à une interprétation claire de la Cour.
B. La consolidation du contrôle des aides pour le développement des aéroports régionaux
En rejetant définitivement la distinction entre la construction et l’exploitation des infrastructures, cet arrêt achève de placer le financement public des aéroports sous la surveillance de la Commission. Il met fin à une ambiguïté qui permettait aux États membres de financer massivement des aéroports, notamment régionaux, en présentant ces investissements comme des mesures de politique des transports ou d’aménagement du territoire. Désormais, tout apport de capitaux publics pour construire ou agrandir un aéroport est susceptible de constituer une aide d’État. Il appartiendra alors à l’État membre de démontrer soit que l’investissement a été réalisé aux conditions d’un investisseur privé en économie de marché, soit que l’aide est compatible avec le marché intérieur au titre des dérogations prévues par le traité, par exemple pour favoriser le développement de certaines régions.
La solution a une portée générale et s’applique à tous les aéroports, quelle que soit leur taille. Elle renforce la cohérence du marché intérieur en assurant une concurrence plus équitable non seulement entre les compagnies aériennes, mais aussi entre les gestionnaires d’aéroports qui rivalisent pour attirer ces compagnies. En soumettant ces financements à un contrôle de compatibilité, la Cour garantit que les deniers publics ne sont pas utilisés pour créer ou maintenir des infrastructures non viables qui fausseraient la concurrence sans répondre à un véritable objectif d’intérêt général reconnu par le droit de l’Union.