Par un arrêt en date du 19 décembre 2012, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur l’interprétation de la deuxième directive en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
En l’espèce, une société de vente par correspondance recourait aux services d’agents pour vendre ses produits. Ces agents percevaient une commission de 10 % sur les montants versés à la société, y compris pour les achats réalisés par des clients tiers qu’ils avaient démarchés. La société s’acquittait de la TVA sur l’intégralité du prix catalogue, sans déduire le montant de la commission versée ultérieurement à l’agent. La société a alors réclamé à l’administration fiscale le remboursement de la TVA correspondant à cette commission, arguant qu’elle constituait une réduction de la base d’imposition des livraisons de biens.
L’administration fiscale a refusé ce remboursement pour la période allant de 1973 au 1er janvier 1978, au motif que la législation applicable à l’époque, à savoir la deuxième directive TVA, ne prévoyait pas de mécanisme de réduction de la base d’imposition pour des événements postérieurs à la livraison. La juridiction nationale saisie du litige a alors posé une question préjudicielle à la Cour de justice afin de savoir si la deuxième directive devait être interprétée comme conférant à un assujetti le droit de réduire a posteriori la base d’imposition d’une livraison, lorsqu’une commission est versée après que cette livraison est intervenue.
À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative, considérant que le régime de la deuxième directive ne permettait pas une telle réduction rétroactive de l’assiette de la taxe.
La solution retenue par la Cour repose sur une lecture littérale des textes applicables à la période concernée, laquelle établit une fixation intangible de la base d’imposition (I). Cette approche conduit la Cour à écarter une application de principes généraux du droit de la TVA qui auraient pu justifier une solution contraire, soulignant ainsi la portée limitée de l’harmonisation fiscale à cette époque (II).
I. La fixation intangible de la base d’imposition sous l’empire de la deuxième directive
La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse stricte des dispositions de la deuxième directive, laquelle consacre le caractère définitif de la dette fiscale au moment de la livraison (A) et s’appuie sur une conception factuelle de la contre-valeur perçue (B).
A. L’instantanéité du fait générateur et l’absence de mécanisme de régularisation
La Cour rappelle que, selon la deuxième directive, « le fait générateur de la taxe a lieu au moment où la livraison est effectuée ». Elle en déduit que la dette fiscale naît à ce moment précis, pour un montant calculé sur la base d’imposition déterminée à cette même date.
Le raisonnement des juges souligne une lacune volontaire ou involontaire du texte, en relevant qu’« aucune disposition de la deuxième directive ne prévoyait la fixation à un moment postérieur de la survenance du fait générateur de la taxe, ou reportant celui-ci d’une autre manière ». Plus encore, la Cour constate que le texte « ne comporte, en outre, aucune disposition prévoyant la modification d’une dette fiscale ayant pris naissance ». Cette interprétation rigoriste lie donc inextricablement la naissance de la dette et son montant définitif à l’instant unique de la livraison, fermant la porte à toute réévaluation ultérieure fondée sur des événements postérieurs, telle que l’octroi d’une commission.
B. Une définition restrictive de la notion de contre-valeur
Pour déterminer la base d’imposition, la Cour examine la notion de « contre-valeur » telle que définie par la deuxième directive, qui correspond à « tout ce qui est reçu en contrepartie de la livraison du bien ». La Cour adopte une vision purement factuelle de cette contrepartie.
Dans l’affaire soumise, le consommateur final, c’est-à-dire le client indirect, payait le prix intégral figurant au catalogue. La commission, quant à elle, n’était pas reversée à ce client mais à l’agent, en rémunération de son service d’intermédiation. Ainsi, la somme effectivement perçue par le fournisseur en contrepartie de la livraison au consommateur final correspondait bien au prix catalogue. La Cour estime donc que « la contre-valeur de la livraison correspondait au prix catalogue intégral non réduit et que la base d’imposition était donc constituée par ce prix ». La commission versée à l’agent est ainsi analysée non comme une réduction de prix de la livraison initiale, mais comme une charge distincte pour la société, sans effet sur l’assiette de la TVA.
II. Le rejet d’une interprétation téléologique fondée sur les principes de la TVA
Face à cette lecture littérale, la société requérante invoquait des principes généraux, notamment celui de la neutralité fiscale. La Cour écarte cependant cet argument (A) et renforce son raisonnement en opérant une distinction nette entre le régime de la deuxième directive et celui, postérieur, de la sixième directive (B).
A. La portée limitée du principe de neutralité fiscale
La Cour reconnaît que le principe de neutralité fiscale est un principe fondamental du système commun de TVA. Toutefois, elle en limite la portée en précisant qu’il « n’est pas une règle de droit primaire permettant, à elle seule, de déterminer la base d’imposition ». En d’autres termes, ce principe ne peut pas suppléer une absence de disposition textuelle expresse.
Il ne saurait donc être invoqué pour créer un droit à la réduction de la base d’imposition là où la directive applicable ne le prévoit pas. La Cour refuse de laisser un principe général, aussi fondamental soit-il, corriger le silence du texte. De surcroît, elle constate que le montant perçu par l’administration fiscale correspond bien à celui payé par le consommateur final, ce qui, selon une autre acception du principe de neutralité, conforte la position de l’administration. Cet argumentaire illustre la primauté de la lettre du texte sur son esprit, du moins pour la période considérée.
B. La distinction opérée avec le régime de la sixième directive
Pour conforter son analyse, la Cour met en exergue l’évolution législative postérieure. Elle souligne que la sixième directive, qui a remplacé la deuxième à partir de 1978, a introduit une disposition spécifique, son article 11, C, paragraphe 1, qui oblige les États membres à réduire la base d’imposition « en cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non-paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération ».
L’existence de cette nouvelle disposition est, pour la Cour, la preuve que ce mécanisme de régularisation n’était pas inhérent au système antérieur. Elle affirme que « le fait que le Conseil de l’Union européenne ait adopté l’article 11, C, paragraphe 1, de la sixième directive, en sus de son article 11, a, corrobore l’interprétation selon laquelle ledit article 11, C, n’était pas inhérent […] à son prédécesseur, l’article 8, sous a), de la deuxième directive ». Par cet argument a contrario, la Cour justifie la différence de traitement entre la période antérieure et la période postérieure à 1978, et légitime sa lecture restrictive de la deuxième directive en la présentant comme le reflet d’un état d’harmonisation fiscale alors moins abouti.